Mes collègues et moi-même, qui sommes à leur écoute dans les départements et les régions, pouvons témoigner de ce grave manquement de la part des hiérarchies placées sous votre autorité. Sans cette impulsion de votre part, cette réforme aura de graves conséquences.
En matière de recrutement, reportons-nous au rapport du député Bernard, qui signale que, pour les militaires du rang, la situation est préoccupante : « Le besoin est certes satisfait mais la qualité baisse et la motivation des nouvelles recrues semble moins forte, le nombre important d’abandons au cours des premiers mois de vie militaire en témoignant […] ». Dites-nous quels sont les postes qui en sont d’ores et déjà affectés et quelles seront les conséquences sur les forces projetées.
Quant aux bases de défense, il serait apparemment trop tôt pour disposer de « retour d’expérience » à leur sujet. Alors à partir de quel bilan est-il décidé de mettre en œuvre plus ou moins de bases de défense ? Tout cela est bien flou.
Je vous mets en garde contre une idée souvent répandue : certaines innovations commencent toujours par coûter plus cher avant de générer des économies, dit-on. II faudra prendre en compte les gains issus de la déflation des effectifs et les dépenses nouvelles liées aux mesures d’accompagnement. Dans l’immédiat, les suppressions d’effectifs ne dégagent pas de marge de manœuvre, sans parler de dépenses sous-évaluées ou non prévues qui ne manquent pas d’apparaître au fur et à mesure des restructurations.
Nous connaissons le précédent de la professionnalisation. Il était prévu que celle-ci entraînerait de fortes économies. Nous avons pu en mesurer le résultat ! La réforme que vous portez aurait-elle été aussi bien planifiée que le passage à l’armée professionnelle ? J’en tremble d’avance ! La « grande manœuvre des ressources humaines » est un enjeu de taille. Avec une armée au format réduit, plus ramassée, avec des moyens financiers aléatoires et avec une croissance régulière des opérations militaires dures à l’extérieur, on ne saurait improviser une telle manœuvre sans risquer de désorganiser nos forces durablement.
Car c’est bien un étrange sentiment d’impréparation de l’avenir qui prévaut.
Le premier exemple que je souhaite vous citer à ce titre est celui du retour de la France au sein du commandement intégré de l’Otan. Le coût n’en aurait-il pas été anticipé alors qu’il s’agissait d’une mesure phare du Président Sarkozy ? II vous en avait parlé. Mais aurait-il oublié le ministre des finances ?
Si tel n’est pas le cas, ce dernier aura donc omis d’en prévoir le coût. II est vrai qu’en une période si faste pour les finances publiques, où chaque jour sont distribués des milliards d’euros que nous n’avons pas, ce ne sont pas quelques centaines de millions d’euros qui vont arrêter le pèlerin. Au diable l’avarice !
Combien en coûtera-t-il pour la période 2010-2014 : 700 millions, 900 millions d’euros ? Sur quelle ligne ces crédits seront-ils prévus, et comment entendez-vous financer cette opération ? À combien reviendra chaque étoile ?
Votre réponse sera importante car, dans le même temps, la réintégration de toutes les instances de l’OTAN a signé l’abandon d’une réelle politique de défense européenne autonome, et ce malgré vos dénégations.
Deuxième exemple : la Cour des comptes s’interroge sur le transfert du ministère à Balard. Le choix d’un partenariat public-privé pose la question de savoir dans quelle mesure ce choix préserve les intérêts de l’État à court terme et à long terme. Quel en sera le coût exact pour le budget de la défense ? Votre réponse, que j’espère précise, engage l’avenir.
Autre exemple d’impréparation : le premier vol de l’A400M aurait lieu en fin d’année. Or l’accord trouvé pour prolonger le programme aura un surcoût ; certains parlent de 2 milliards d’euros, dont 1 milliard d’ici à 2014. Qui va payer? Sur quelle ligne ces crédits seront prévus et comment comptez-vous financer ce surcoût ?
À partir de ces quelques exemples, nous sommes en droit et en devoir de nous poser des questions sur la sincérité de votre budget et sur les aléas qui conditionnent l’architecture budgétaire de la défense : aléas relatifs à la LPM, évalués par les rapporteurs spéciaux de la commission des finances du Sénat à environ 9, 5 milliards d’euros, dont 1 sur 3, 7 pour les ressources exceptionnelles.
Nos collègues ont par ailleurs soulevé une question budgétaire relative à la décision de ne pas appliquer la loi de programmation des finances publiques 2009-2012 aux budgets de la défense. Ils écrivent : « Le choix de faire prévaloir la loi de programmation militaire sur la loi de programmation des finances publiques devrait, sur la période 2009-2014, réduire les crédits de paiement de la mission Défense d’environ 3, 5 milliards d’euros, et son pouvoir d’achat de 1, 5 milliard d’euros ». « Dans le cas de l’année 2010 », je cite toujours les rapporteurs spéciaux de la commission des finances, « ce choix réduit le pouvoir d’achat de la mission Défense de plus de 200 millions d’euros. Cet effort porte en totalité sur les crédits d’équipement, qui, selon les informations dont disposent les rapporteurs spéciaux, devraient être inférieurs, à périmètre constant, d’environ 200 millions d’euros aux montants prévus par la loi de programmation militaire ». Pourriez-vous nous fournir des explications quant à cette décision qui semble limiter les crédits dévolus à la défense ?
Je conclus : monsieur le ministre, si vos chiffres sont bons, alors ils seront en harmonie avec la loi de programmation militaire. Mais la charpente vacille déjà et son architecture déséquilibrée faite de rustines ne saurait inspirer au Parlement une grande confiance. Elle commence à ressembler à sa sœur aînée.
Monsieur le ministre, la problématique de la défense est un sujet complexe, car la garantie de posséder une bonne défense réside aussi dans des éléments qui n’ont - en apparence - rien à voir avec la question militaire.
Une bonne santé économique et une solide cohésion sociale sont, en effet, indispensables pour protéger notre outil de défense.
Il faut pouvoir compter sur une économie saine et dynamique. Or nous en sommes bien loin, et nous le déplorons ! La politique obstinée et dogmatique du Gouvernement met la santé économique du pays à rude épreuve. La dette publique atteint des fonds abyssaux. C’est cela qui met en danger l’effort économique pour la défense.
Pour réussir, il faut aussi pouvoir compter sur une forte cohésion sociale. Or nous nous en éloignons chaque jour un peu plus. Vos manœuvres autour de l’identité nationale, ainsi que l’action destructurante du chômage qui explose, ne contribuent pas à rendre notre société plus unie, plus solidaire, plus fraternelle. Bref, ces ingrédients indispensables ne sont plus réunis pour garantir l’avenir de notre défense. Celle-ci ne peut subsister, en République, qu’avec le soutien du peuple et de la nation. C’est, en tout cas, notre profonde conviction.
Je vous rends responsables, vous et l’ensemble du Gouvernement, mais aussi votre moutonnière majorité