… et vous entendez comme moi les cris d’orfraie de tous ceux qui veulent, au plus vite, nous faire rentrer « dans les clous » de Maastricht. À vrai dire, je crains qu’au nom de l’orthodoxie budgétaire on ne sacrifie encore une fois notre outil militaire, dont le général Georgelin rappelait, à juste titre, devant notre commission, qu’il ne peut se construire que dans la longue durée.
Ce sont 8 400 suppressions d’emplois qui vont intervenir en 2010. Au total, sur la période 2009-2011, 25 000 réductions d’emplois vont conduire l’armée française à un format qu’elle n’avait jamais connu depuis le XVIIe siècle : 237 000 militaires, auxquels il est juste d’ajouter 72 600 civils.
Tout cela, me direz-vous, s’explique par le contexte : la guerre froide est derrière nous ; la France n’est plus menacée d’invasion ; les menaces sont multiformes. J’ai entendu tout à l’heure Mme Demessine tenir ce type de propos…
Je crains malheureusement que la réalité ne soit différente. Il existe un lien logique entre le rétrécissement du format de notre défense et la réintégration de la France au sein de l’organisation militaire de l’OTAN. Les pays européens membres de l’OTAN s’en remettent à cette organisation et, de fait, aux États-Unis du soin d’assurer leur défense. Ils ont réduit leur effort militaire aux alentours de 1 % de leur PIB. J’ai bien peur que, malgré les crédits inscrits en loi de programmation militaire, nous ne suivions le même chemin… Je prendrai un seul exemple, celui de la dissuasion nucléaire.
La France est la seule puissance nucléaire au monde à avoir renoncé à la composante sol-sol de sa triade. Nous nous targuons de ces renoncements, en effet significatifs, comme du démantèlement de nos usines produisant des matières fissiles à usage militaire. Nous organisons des visites à Marcoule et à Pierrelatte à destination d’experts étrangers. Ces derniers peuvent constater que la France a renoncé à développer son arsenal non seulement en qualité, depuis la fermeture de son site d’expérimentations de Mururoa, mais aussi en quantité, et cela avant même qu’une négociation n’ait été engagée pour convenir d’un traité prohibant la production de telles matières fissiles.
Cela signifie, en clair, que nous nous sommes résignés à confier aux États-Unis le soin d’exercer la défense non pas de la France, mais de l’Europe, par le biais de ce qu’ils appellent extended deterrence, que nous traduisons par « dissuasion élargie ». C’est fâcheux pour la défense européenne !
Regardons ce qui se passe autour de nous : les armes nucléaires tactiques américaines stationnées en Europe vont arriver à obsolescence dans les années qui viennent. Les États-Unis envisagent de les moderniser, en particulier la bombe gravitaire B61. Mais les Européens l’entendent-ils de cette oreille ? Selon les échos qui nous parviennent d’outre-Rhin, nos amis allemands souhaitent que ces armes soient purement et simplement retirées. On peut imaginer qu’après la conclusion d’un traité prolongeant l’accord START entre les États-Unis et la Russie une nouvelle négociation s’engage sur les armes en réserve et sur les armes nucléaires tactiques, qui se comptent encore par milliers de part et d’autre.
Notons que l’accord dit « post-START », qui devrait intervenir dans les prochaines semaines, plafonnera dans une fourchette allant de 1 500 à 1 650 le nombre de têtes nucléaires opérationnellement déployées. Notre arsenal, plafonné à 300 têtes, dont un tiers est opérationnellement déployé, paraît bien infime à côté de ces gigantesques stocks d’armes.
Dans le même temps, il semblerait que la Grande-Bretagne envisage de réduire à trois le nombre de ses SNLE. Une telle décision, si elle devait intervenir, remettrait forcément en cause le principe de la permanence à la mer d’un sous-marin lanceur d’engins. On ne peut évidemment souhaiter que la Grande-Bretagne, cette vieille et grande nation qui a symbolisé, pendant la Seconde Guerre mondiale, la liberté de l’Europe, prenne une aussi lourde et irrévocable décision. Cela signifierait en effet qu’elle s’en remet désormais entièrement à la relation spéciale qu’elle entretient avec les États-Unis pour assurer sa défense et celle de ses intérêts.
Or il se pourrait bien que les États-Unis, de plus en plus polarisés par le Pacifique et par l’Asie, se désintéressent un jour de l’Europe, …