Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi en commission s’est déroulé dans des conditions particulières, puisque j’ai été désigné rapporteur provisoire le 7 septembre, avant d’être confirmé dans mes fonctions le 6 octobre. Je remercie les présidents et les membres successifs de la commission de m’avoir fait confiance.
Ce projet de loi vise, pour l’essentiel, à regrouper dans un même établissement public les 400 salariés de Voies navigables de France et les 4 400 agents des services de l’État qui travaillent pour les voies navigables. En effet, depuis sa création en 1991, l’État a confié à l’établissement public VNF la gestion de la plus grande partie du domaine public fluvial, en gardant les services de la navigation dans le giron du ministère. Ainsi, VNF est donneur d’ordre, mais il n’a pas d’autorité hiérarchique sur les services de la navigation : en termes de management, on appelle cela l’autorité « fonctionnelle », et tout gestionnaire sait combien ce système gêne l’action.
Vingt ans après, le Gouvernement propose de mettre fin à cette organisation : c’est d’autant plus opportun, et nécessaire, que l’heure est à la relance de la voie d’eau pour atteindre le report modal fixé par le Grenelle de l’environnement.
Ce projet de loi a été négocié avec les organisations représentatives des personnels concernés pendant six mois. Les négociations ont abouti, au début de l’été dernier, à la signature de deux documents cadres. Pour les agents publics, un protocole d’accord a été signé le 24 juin dernier par la CGT, la CFDT, l’UNSA ; seule FO a voté contre. Pour les salariés du privé, un accord cadre a été accepté le 1er juillet par la CFDT, seule organisation représentative du personnel de VNF.
Que disent ces accords ? D’abord, que l’établissement public industriel et commercial VNF devient un établissement public administratif, dénommé « Agence nationale des voies navigables » ; que les voies navigables demeurent la propriété de l’État ; que les avantages individuels et collectifs des agents publics et des salariés du privé sont préservés : leur emploi, bien sûr, mais également leurs avantages statutaires ou contractuels, individuels et collectifs. Ces accords précisent ensuite qu’aucun agent ne se verra imposer une mobilité géographique. Enfin, ils affirment que la relance de la voie d’eau concerne toutes les voies navigables, et pas seulement celles qui sont dédiées au fret. Dans ces conditions, on comprend pourquoi l’acceptabilité sociale a pu être majoritairement obtenue.
Nous sommes nombreux, cependant, à constater le décalage entre l’ampleur du travail à accomplir pour développer nos voies navigables et la focalisation si étroite de ce texte : tous les grands sujets d’aménagement du territoire en sont absents, puisqu’on ne fait ici que changer la gouvernance de VNF.
En réalité, c’est dans le schéma national d’infrastructures de transport, le SNIT, et dans les budgets successifs que nous aurons une première réponse à la problématique des voies navigables en France. Pour l’heure, il vaut mieux faciliter l’effort entrepris en acceptant ce texte, même partiel, et en l’améliorant.
Je voudrais néanmoins évoquer en quelques mots la problématique de nos voies navigables. Je n’étonnerai personne en disant qu’elles sont en mauvais état et qu’elles sont peu adaptées au fret contemporain. Nos voies navigables sont parmi les plus longues d’Europe, avec 8 500 kilomètres, mais leur gabarit est insuffisant, notre réseau manque de cohérence et les équipements sont généralement en très mauvais état, faute d’entretien, et ce depuis des dizaines d’années.
Dans la compétition logistique entre la route, le fer et l’eau, les voies navigables ne sont économiquement avantageuses qu’à partir d’un certain seuil de « massification » : elles peuvent être compétitives pour le transport lorsqu’elles peuvent faire circuler des péniches de plus de 650 tonnes, c'est-à-dire lorsque les voies sont dites « à grand gabarit ».
Or, sur l’ensemble de notre réseau, à peine 20 % de nos voies navigables atteignent ce seuil ; songez qu’en Allemagne c’est 70 % des voies navigables qui sont à grand gabarit ! On comprend pourquoi une autoroute fluviale relie le port de Rotterdam à Duisbourg, en Allemagne, d’où partent chaque jour une centaine de trains vers le reste de l’Europe...
Qui plus est, nos voies d’eau à grand gabarit sont mal reliées entre elles, car elles sont enclavées dans nos grands bassins : c’est tout l’enjeu du canal Seine-Nord, dont nous allons reparler, que de relier le bassin de la Seine au reste de l’Europe par la voie navigable.
Nos grandes voies d’eau enfin manquent d’entretien. Dans le rapport qu’il nous a remis en avril dernier sur l’état de nos voies navigables, le Gouvernement constate lui-même que le réseau est « vieilli, usé » et il chiffre la modernisation des seules voies à grand gabarit à 2, 5 milliards d’euros, dont 1, 2 milliard d’euros pour sa simple remise en état.
On comprend, dans ces conditions, les difficultés du report modal : depuis dix ans, le fret fluvial progresse de 9 % chaque année, notamment grâce aux conteneurs, mais sa part dans le trafic global est stable, en dessous de 4 %. C’est dire que nous avons du chemin à faire pour atteindre l’objectif intermodal du Grenelle. Pour le seul fret fluvial, il faudrait doubler le trafic d’ici à 2018 !
L’intérêt de nos voies d’eau, cependant, va bien au-delà du seul secteur du transport. Nous redécouvrons que nos voies navigables sont une chance pour notre pays : elles sont importantes pour l’accès à l’eau potable, pour l’industrie et pour l’agriculture. Nos barrages et les réservoirs sont utiles dans la prévention des inondations ou bien encore en cas de sécheresse. Les voies d’eau prennent de la valeur dans la vie quotidienne de nos concitoyens : on ne compte plus les aménagements de berges et les programmes de rénovation de quais dans les villes, témoins de cette redécouverte des plaisirs au fil de l’eau et de la qualité de vie au bord d’un canal.
Nos voies navigables, enfin, sont un facteur d’attractivité important pour la France, qui se glorifie d’être la première destination touristique mondiale. En d’autres termes, le gestionnaire de la voie d’eau doit, bien évidemment, se soucier du trafic fluvial ; mais il participe également à une mission bien plus large d’aménagement durable du territoire, une mission qui implique peu ou prou les collectivités publiques dans leur ensemble – État et collectivités territoriales – et à laquelle nos concitoyens sont très attentifs.
Le Gouvernement, pour atteindre l’objectif intermodal du Grenelle, investit dans le fluvial. L’idée d’une « relance de la voie d’eau » n’est pas nouvelle : c’est même celle qui a présidé à la création de VNF, il y a vingt ans, par le gouvernement de M. Rocard. « Le renouveau fluvial est un fait européen », avait déclaré le ministre de l’équipement Michel Delebarre. L’État confiait alors la gestion de son réseau à l’EPIC VNF, en lui affectant le produit d’une taxe nouvelle : la taxe hydraulique, qui représente aujourd’hui plus des deux tiers des ressources de l’établissement public.
L’État, cependant, a laissé son établissement public bien seul pendant de bien longues années. Songez qu’il a fallu attendre la fin de l’année 2004 pour que l’État formalise une stratégie, dans un contrat d’objectifs et de moyens, alors que la loi de 1991 prescrivait la définition d’un document stratégique pour cadrer l’action de son établissement public.
C’est donc seulement dans les années 2000 que la relance de la voie d’eau a pris de la consistance. Depuis le Grenelle de l’environnement, les choses s’accélèrent. Ainsi, le canal Seine-Nord, dont la réalisation a été annoncée pour 2019, permettra d’ouvrir la voie vers l’Europe du nord.
Dans ces conditions, VNF a défini en 2010 un programme très ambitieux, d’un montant global de 2, 5 milliards d’euros pour la décennie. Ce programme comprend des investissements pour élargir les gabarits, moderniser les barrages et les écluses, ouvrir les voies principales 24 heures sur 24, comme chez nos voisins belges, hollandais et allemands.
L’État concentre donc ses efforts sur le fret fluvial compétitif, c’est-à-dire sur les voies à grand gabarit, avec en ligne de mire l’objectif du report modal défini par la loi de programme du Grenelle.
Les moyens suivront-ils ? Je crois que nous pouvons tous reconnaître que les investissements progressent. Du début des années 2000 à aujourd’hui, le rythme des investissements a quasiment doublé : nous sommes passés de 100 millions d’euros par an à 185 millions l’an passé, et VNF compte investir 200 millions cette année. Il y a eu le plan de relance, qui a apporté 50 millions d’euros annuels en 2009 et 2010. Pour cette année, nous avons voté une augmentation de la taxe hydraulique en loi de finances, qui devrait rapporter 30 millions supplémentaires, et l’Agence de financement des infrastructures de transport de France contribuera pour 40 millions. Les régions contribuent également, dans le cadre des contrats de plan État-région : pour la période 2010-2013, les crédits contractualisés représentent un peu plus de 20 % des investissements programmés par VNF.
Ce rythme encourageant, qui correspond au programme de VNF pour les dix ans à venir, sera-t-il tenu ? Il est bien sûr difficile de le garantir, mais les engagements tenus à ce jour me paraissent justifier notre entier soutien à l’action entreprise : le programme de modernisation de notre réseau à grand gabarit est enfin lancé, il faut le soutenir !
Je crois donc que c’est ainsi qu’il nous faut comprendre ce texte : nous allons parler établissement public, institutions représentatives du personnel, modalités de transfert des personnels en cas de décentralisation des voies d’eau, mais le souffle qui anime ce texte, vous l’avez compris, est ailleurs. Le Gouvernement investit pour la voie d’eau et il compte, avec ce texte technique, lui donner les meilleures chances d’arriver à bon port, ce qui ne nous interdit pas, bien entendu, d’améliorer les dispositions proposées !
Sans entrer dans le détail, je relèverai que la commission a apporté des améliorations sur quatre points.
Premièrement, nous avons maintenu le nom de VNF à l’établissement gestionnaire des voies navigables : depuis vingt ans, VNF a acquis une notoriété, en particulier auprès de ses clients, et les agents des services de la navigation utilisent des vêtements de travail et des véhicules siglés « VNF ». Dans ces conditions, le maintien du nom nous est apparu de bon sens et de bonne gestion.
Deuxièmement, nous avons élargi et précisé les missions de l’établissement public. Le Gouvernement propose d’en faire un établissement public administratif, parce que VNF, après le regroupement, comptera 93 % d’agents de droit public, parce que 85 % de ses ressources proviendront de subventions et de taxes, mais aussi parce que les agents des services de la navigation ont manifesté leur préférence pour un EPA, dans lequel ils voient une garantie pour leur emploi.
Nous devons nous assurer, cependant, que ce statut n’empêche pas l’action de l’établissement en matière de développement de la voie d’eau, lequel a une forte composante industrielle et commerciale.
C’est pourquoi la commission a accepté de confier à cet EPA des compétences qui relèvent généralement de l’EPIC.
Le législateur peut tout à fait composer le type d’établissement public qu’il estime le plus souhaitable par rapport à l’objectif visé. Il est même le seul à pouvoir le faire, en vertu de l’article 34 de la Constitution, qui dispose que la loi détermine les grands principes et donne au pouvoir réglementaire les indications pour que ces grands principes soient respectés.
En conséquence, la commission a accepté que VNF puisse conduire des opérations d’aménagement pour valoriser le domaine public fluvial, y compris en créant des filiales et en prenant des participations dans des sociétés et groupements.
La commission a toutefois établi un lien plus direct de ces opérations avec les missions de VNF. Ainsi, nous débattrons à l’article 1er de l’opportunité de deux conditions supplémentaires : celle d’un capital majoritairement public pour les filiales et les sociétés auxquelles VNF aura recours, et celle d’une concertation avec les collectivités territoriales.
S’agissant toujours des missions, la commission a tenu à lever toute ambiguïté sur le fait que l’État conserve bien une compétence générale sur les voies navigables non transférées aux collectivités locales.
Nous avons bien évidemment complété la mission de gestion hydraulique, en précisant que VNF devrait concilier les usages diversifiés de la ressource aquatique et assurer l’entretien comme la surveillance des ouvrages et des aménagements hydrauliques.
Nous avons inclus dans les missions de VNF la conservation du patrimoine qui lui est afférent.
Troisièmement, nous avons cherché à accompagner au mieux le regroupement des agents de droit public et des salariés de droit privé. Le texte prévoit ainsi que VNF les comptera tous dans son personnel, de manière pérenne. C’est reconnaître que « la communauté du fluvial » a deux composantes, l’une publique, l’autre privée, partageant le même objectif : développer les voies navigables.
Dès lors, nous avons adopté une rédaction indiquant clairement au pouvoir réglementaire que chacune de ces deux composantes doit pouvoir s’exprimer collectivement, dans le fonctionnement ordinaire et pérenne de VNF. Ce principe a des répercussions très précises sur le nombre de représentants du personnel au conseil d’administration, ainsi que sur les institutions représentatives du personnel. Nous y reviendrons amplement dans l’examen des articles.
Quatrièmement, enfin, nous avons tenu à éviter tout empiètement de ce texte sur les accords passés entre l’État et les collectivités territoriales sur le transfert de voies navigables. La décentralisation des voies dites « secondaires » est un enjeu très important. Le présent texte se contente donc de préciser que les transferts à venir, qui restent facultatifs, se feront depuis VNF, et non plus depuis l’État. Cependant, cette modalité technique ne doit pas être défavorable aux accords d’expérimentation passés à ce jour, comme c’est le cas pour la région Bourgogne. Pour s’en assurer, la commission a précisé la rédaction du texte.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, ce texte technique et limité dans son objet…