Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le canal du Midi, les canaux de Bourgogne sont également un sujet d’expérimentation capable de nous éclairer sur les perspectives du texte que nous examinons aujourd’hui.
Qu’il me soit permis de revenir sur un certain nombre de chiffres qui ont déjà été rappelés avec talent par mes collègues. La France dispose du plus vaste réseau fluvial d’Europe, avec 8 500 kilomètres, soit 22 % de l’ensemble du réseau européen. Chacun en convient, la voie d’eau est pour notre pays un atout exceptionnel : pour réduire notre dépendance énergétique et promouvoir un mode de transport fiable et peu polluant, pour favoriser l’aménagement du territoire et développer notre potentiel touristique, ainsi que pour protéger la ressource en eau et la biodiversité.
Malheureusement, depuis plusieurs années, l’État s’est désintéressé – je l’ai toujours dénoncé – de notre réseau fluvial, et le programme d’investissement de 840 millions d’euros que vous annoncez aujourd’hui sur quatre ans est très insuffisant au regard des enjeux ; je pense notamment à la remise en état du réseau principal, qui est estimée par VNF à 1, 5 milliard d’euros.
Selon VNF, 66 % des barrages et 54 % des écluses sont en très mauvais état et nécessitent une réfection d’urgence.
Par ailleurs, vous ne pouvez prétendre aujourd’hui que les 840 millions d’euros annoncés sont réellement financés : en effet, monsieur le ministre, le relèvement de la taxe hydraulique et la contribution de l’AFITF représentent seulement 70 millions d’euros par an, soit 280 millions d’euros sur quatre ans. On est loin des 780 millions d’euros annoncés !
Il sera difficile, voire impossible, de faire mieux avec moins. L’abandon du réseau secondaire qui se profile à l’horizon, jusqu’à sa fermeture prévisible, ainsi que le préconisent les travaux préparatoires à la mise en place de la RGPP que j’ai dénoncés en un autre temps, serait selon moi une erreur : vous sous-estimez la fonction hydraulique du réseau secondaire dans l’aménagement du territoire.
Parallèlement, monsieur le ministre, et ce point m’inquiète beaucoup, le texte empêche les collectivités, dont celle que je préside momentanément, qui souhaitent s’engager de le faire : l’article 5 du projet de loi prévoit de réduire drastiquement la compensation des dépenses de personnel, et ce malgré les garanties prises et les accords signés en commission pour les collectivités en expérimentation.
Vous livrez aux collectivités des infrastructures en très mauvais état, mais vous refusez de compenser les investissements. Pour la seule région Bourgogne, la facture de remise en état des ouvrages s’élève pour les vingt prochaines années à 348 millions d’euros. Or vous proposez seulement de les compenser à hauteur du tiers ou de la moitié. Comment résoudre cette équation au moment où les collectivités, les régions, les départements voient leur autonomie fiscale perdue et leurs dotations gelées ? Les collectivités ne pourront pas consentir l’effort nécessaire, comme elles l’ont fait par le passé pour les lycées !
Pour autant, en respect du protocole d’accord sur le nouvel établissement public conclu en juin dernier avec les organisations syndicales, nous avons examiné attentivement le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui afin de donner une perspective et un nouveau départ à nos canaux, du moins sur le plan de la gouvernance à défaut de disposer des moyens nécessaires.
Vous le savez, VNF a été créée en 1991 par Michel Rocard, alors maire de Conflans-Sainte-Honorine, qui connaissait bien les problèmes des voies navigables. Il eut l’idée le premier de pérenniser les efforts financiers supplémentaires pour remettre en état le réseau et lancer le projet Seine-Nord Europe, soit près de 500 millions de francs à l’époque, grâce à la création de la taxe hydraulique.
En 1992, VNF a absorbé l’ancien ONN, l’Office national de la navigation, orienté, lui, principalement sur la navigation, les services de navigation étant mis à sa disposition tandis que les voies qui lui étaient confiées lui étaient transmises pour gestion et non en propriété.
Déjà, à cette période, avait eu lieu un débat syndical très fort sur les transferts du domaine et des personnels de l’État. La décision de l’époque avait été un compromis qui a permis jusqu’ici, d’une part, de relancer les investissements et, d’autre part, de conduire le projet Seine-Nord Europe jusqu’à la consultation des candidats au contrat, consultation qui est en cours.
Malgré les efforts, que je salue, de VNF pour trouver des recettes supplémentaires liées au domaine, le réseau a continué de se dégrader, tant sur le réseau magistral – grand gabarit et réseau connexe – que sur le réseau moins fréquenté par le fret et à usage principalement touristique, faute d’un montant suffisant d’investissements.
L’autre difficulté récurrente est le manque de personnel nécessaire correctement positionné pour assurer des horaires de service compatibles avec les demandes des clients sur le réseau magistral. J’en ai eu la triste confirmation récemment lors de l’accord passé par VNF avec le groupe PSA Peugeot Citroën sur les réseaux secondaires, accord qui met en lumière le manque de personnel et de moyens.
Dans ce contexte, VNF a proposé de prioriser le réseau et les investissements, et d’orienter les métiers vers la maintenance préventive complémentaire aux investissements. Cela signifie que les métiers de la voie d’eau vont passer d’un métier directement lié à l’ouvrage – l’écluse ou le barrage éventuellement manuel – à plusieurs ouvrages via les commandes à distance. Cela signifie également que de nombreux barrages manuels à aiguilles seront supprimés et qu’il faudra une maintenance préventive complétée d’un entretien courant pour plusieurs ouvrages.
Ce texte, vous le dites, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, permettra à VNF de maîtriser les moyens qui sont aujourd’hui mis à sa disposition sans subir des contraintes autres que celles de son projet, de la loi de finances et du futur contrat d’objectifs et de performance en cours de négociation avec l’État.
En effet, aujourd’hui, les modifications d’effectifs et leurs affectations sont décidées par le ministère et les échelons locaux de l’État, et ne correspondent pas toujours aux priorités de l’établissement.
De plus, le projet de VNF comporte la création d’emplois saisonniers sur les canaux touristiques, où l’activité est concentrée durant l’été. Les contrats de droit privé conservent leur ancienneté et seront renouvelés tous les ans.
Pour les fonctionnaires, l’intégration à cette nouvelle VNF se fera en position normale d’activité, avec la garantie de non-mobilité imposée et de revenus conservés ; je pense notamment aux primes. Ce sont les points positifs de ce texte.
La complexité du futur système tient à la représentation mixant salariés de droit public et salariés de droit privé tout en maintenant leurs particularités dans des systèmes adaptés et une représentativité conservée. La synthèse opérée par M. le rapporteur semble répondre aux soucis de l’ensemble des partenaires, et je lui en sais gré.
Reste que les conditions dans lesquelles le groupe socialiste a dû travailler sur ce texte sont pour le moins problématiques. Nous avons sur certains points l’impression de signer un chèque en blanc. À toutes nos questions concernant les modalités de représentation, comme le choix du statut hybride d’un EPA qui conserve néanmoins les missions d’un EPIC, M. le rapporteur nous a répondu qu’il en allait de « l’équilibre psychologique » des personnels et des syndicats. Vous avouerez que c’est une explication un peu courte. Nous attendons de vous, monsieur le ministre, que vous nous donniez des explications plus précises sur ces sujets.
Par ailleurs, nous avons déposé des amendements. Certains visent à encadrer l’exercice des activités annexes de VNF, notamment la valorisation du domaine public.
Nous ne voulons pas que les choses se passent aussi mal que dans certaines villes avec France Domaine.
D’ici à la fin de l’année, les modifications de périmètre de l’agence vont conduire VNF à conclure avec ses tutelles et France Domaine une convention pour l’ensemble des bâtiments sièges, centres d’exploitation et maisons éclusières nécessaires, aujourd’hui gérés par l’État, mais entretenus par VNF. Il y a dans ce domaine des possibilités d’amélioration de la gestion et des économies à réaliser.
Aussi, monsieur le ministre, sous réserve que nos amendements soient adoptés ou pris en compte, nous ne nous opposerons pas à ce texte.