Intervention de Charles Guené

Réunion du 30 mai 2006 à 16h00
Gestion durable des matières et des déchets radioactifs — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Charles GuenéCharles Guené :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais tout d'abord exprimer, en tant que parlementaire d'un des départements concernés de très près, la Haute-Marne, la satisfaction que me procure, par sa qualité, le projet de loi qui nous est soumis.

Nous pouvons tous nous féliciter du délai que celui-ci nous accorde, résultat d'un constat lucide de la communauté scientifique et de la classe politique, mais aussi du dispositif national qui est mis en oeuvre pour toute la filière.

Indépendamment des modifications que pourront apporter les travaux de la commission des affaires économiques du Sénat, sous la houlette experte de notre collègue Henri Revol, je souhaiterais vous remercier, monsieur le ministre, du dialogue que vous avez su instaurer autour de ce texte majeur pour notre avenir et qui a déjà porté ses fruits lors de sa lecture à l'Assemblée nationale.

Mes excellents collègues s'étant consacrés aux aspects techniques et scientifiques du dossier, et la commission des lois n'étant pas saisie, j'ai pensé opportun d'intervenir plus particulièrement sur la dimension humaine et politique du projet de loi.

À travers l'ensemble des débats et entretiens qui se sont déroulés au cours des dernières années, deux constantes se font jour : la nécessité de fixer le cadre des décisions au regard des populations et le besoin impérieux de rendre crédible le projet de développement des territoires concernés.

Je m'attacherai tout d'abord au processus décisionnel.

Il est évident que nous sommes en face d'une problématique de dimension planétaire. Même si les approches sont parfois différentes, elles convergent toutes vers la recherche du consensus. Encore faut-il s'accorder sur la nature des décisions et sur les modalités des processus mis en place.

Aussi je crois utile de rappeler que les décisions en la matière sont au nombre de deux : d'abord, la décision relative à la nature de la solution de référence, tout particulièrement s'agissant de la pertinence du stockage géologique en profondeur, qui fait l'objet de l'article 7 bis, introduit à l'Assemblée nationale à la suite de l'adoption de l'amendement de MM. Birraux et Chatel ; ensuite, la décision même de créer à un endroit donné un centre de stockage, dont le processus fait l'objet des dispositions de l'article 8 du projet de loi.

Nous nous situerons dans le contexte international pour mieux éclairer les choix actuels et ceux qu'ouvre le texte que nous examinons.

Les réponses internationales à ces questions sont variées. À l'exception de la Finlande, les nations n'ont pas cherché à lier ces deux questions et la plupart d'entre elles réservent au Parlement le choix de principe de la solution technique, laissant au niveau local le choix du site.

Sur le plan local, suivant les cultures, on cherche à sécuriser l'investissement public par des procédures référendaires, comme en Suisse, ou l'on s'en remet à des procédures plus empiriques et au fil de l'évolution, comme au Canada.

Pour être tout à fait exhaustif, disons également que l'idée d'un « paquet nucléaire », soutenue par l'Autriche et la France, a germé en Europe et que l'on s'achemine actuellement vers une directive-cadre préconisant des plans nationaux. Notre débat se situe donc résolument, au seuil de notre décision, dans un environnement national.

Le Gouvernement, et M. le ministre ne me démentira pas, entend avec nous laisser au Parlement la décision de principe quant au stockage profond. Je reste convaincu qu'il s'agit de la bonne solution. Il eût été néfaste, à mon sens, d'exiger un chèque en blanc de la part du Parlement, et je me réjouis que l'Assemblée nationale ait pu enrichir le texte d'un dispositif permettant à nouveau l'intervention de la représentation parlementaire, ce qui constitue un véritable prolongement des dispositions de la loi Bataille, et cela pour dix années.

Même si la formulation reste alambiquée, nous devons considérer que le processus démocratique est ainsi satisfait, puisque les conditions n'étaient pas réunies sur les plans techniques et scientifiques. Prenons toutefois ensemble la mesure du fait que, même si le principe est tranché, il s'agit d'un moratoire.

J'en viens maintenant au second point, c'est-à-dire au choix du site lui-même pour un stockage en profondeur, tout particulièrement au regard de la démocratie participative locale.

Comme mon excellent collègue et ami Bruno Sido l'a dit, la Haute-Marne et la Meuse sont actuellement « agitées » par la pétition en vue d'obtenir un référendum sur « la constitution d'un centre d'enfouissement à Bure ». L'examen du présent projet de loi est pour nous l'occasion de répondre à cette sollicitation en faisant le point du droit.

Nous avons vu que la décision de principe quant au choix du mode de stockage stricto sensu reste inscrite dans le processus institué par la loi Bataille et qu'il ne peut donc être question de transférer la décision à un référendum d'origine locale. On pourrait cependant s'interroger sur la possibilité de soumettre à une semblable procédure la décision concernant le choix du lieu de ce stockage.

Les nouvelles dispositions relatives à la démocratie participative comme la jurisprudence sont édifiantes à cet égard et fixent précisément le cadre d'une telle démarche.

Le droit de pétition visé au premier alinéa de l'article 72-1 de la Constitution doit se limiter à adresser un voeu à des autorités locales, libres de l'inscrire ou non à l'ordre du jour de leur assemblée. Cependant, les règles d'application sont strictes, et le texte du 18 mars 2003 a renforcé leur caractère impératif : il doit s'agir d'une question relevant de la compétence de la collectivité.

Ces conditions ne sont manifestement pas remplies aujourd'hui puisque les collectivités territoriales ne disposent ni du pouvoir de décider du stockage en couche profonde ni, a fortiori, de celui d'en choisir le lieu.

De la même manière, les collectivités territoriales ne peuvent de leur propre chef organiser un référendum dans les conditions de la loi organique, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 72-1, puisque le référendum ne peut porter que sur un projet de délibération relevant de leur compétence.

Par conséquent, pour l'heure, le juge administratif serait contraint d'annuler toute délibération dans ce sens, et toute inscription d'un tel projet à l'ordre du jour serait frappée d'illégalité. Nos débats de 2003 ont été sans ambiguïté à cet égard : notre République reste une démocratie représentative et n'a pas « versé » dans la démocratie directe.

Ces choses étant dites, il est important de mesurer l'apport du texte que nous nous apprêtons à voter.

Avec l'articulation proposée à l'article 7 bis, il y a statu quo et report de la forme de décision organisée par la loi Bataille ; le Parlement devra voter un nouveau projet de loi fixant les règles de réversibilité, ce qui conditionnera en réalité toute création d'un centre de stockage en profondeur.

En revanche, en ce qui concerne la localisation même du centre, laquelle relève du domaine réglementaire, il est prévu que la décision devra être précédée d'un avis des collectivités territoriales concernées.

À ce niveau, il s'agit d'une innovation. En effet, le juge administratif admet, selon la jurisprudence Saint-Michel-de-Maurienne - Conseil d'État, 1er mars 1996 -, que l'intérêt local subsiste lorsqu'il y a intervention de la collectivité, même si la décision finale échoit à une autre autorité.

On peut dès lors estimer qu'une pétition sera recevable, pour peu qu'elle soit bien formulée, et que l'inscription à l'ordre du jour pourra être demandée. Bien évidemment, les collectivités pourront également soumettre leur projet de délibération spontanément à référendum.

Il y a là une ouverture non négligeable, et, à titre personnel, je m'en réjouis car cette faculté vient enrichir le débat et le mode de gouvernance du dossier pour l'avenir.

Il convient de noter que cette hypothèse est reportée à dix ans, date à laquelle des paramètres nouveaux interviendront et permettront certainement de mieux appréhender les questions posées. Je veux parler de l'évolution des règles du débat démocratique et des usages en matière de démocratie participative, mais également de la pression accrue exercée par l'évolution du contexte en termes de ressources énergétiques ou d'environnement, tous éléments qui affecteront nécessairement la maturité citoyenne.

Je m'interroge toutefois sur la concurrence possible entre les recours concomitants de collectivités territoriales à l'utilisation du référendum, puisque, dans le cadre de l'article 72-1 de la Constitution, elles seront toutes compétentes ! Si je ne dépose pas d'amendement pour préciser la hiérarchie, c'est parce qu'il nous reste dix ans pour régler les modalités, et je pense, monsieur le ministre, que vous m'en saurez gré, ...

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