Intervention de René Beaumont

Réunion du 10 juillet 2008 à 11h00
Installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation — Discussion d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de René BeaumontRené Beaumont, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis, en deuxième lecture, de la proposition de loi visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation.

Comme beaucoup de textes d’initiative parlementaire, celui-ci a cheminé assez lentement.

Déposé par nos collègues députés Damien Meslot et Pierre Morange, au lendemain des tragiques incendies de l’été 2005, adopté par l’Assemblée nationale à l’automne 2005, il n’a dû qu’à l’insistance de Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques du Sénat, d’être enfin examiné par le Sénat, en première lecture, le 25 janvier 2007, soit dix-neuf mois après ! Et il a fallu encore attendre presque dix-huit mois avant la deuxième lecture à l’Assemblée nationale, qui a eu lieu le 17 juin 2007.

Je me félicite, madame la ministre que « l’histoire s’accélère » enfin, grâce à l’inscription de la proposition de loi à l’ordre du jour de la présente session extraordinaire, qui nous permet d’espérer son adoption prochaine.

Comme l’indiquait en première lecture son rapporteur à l’Assemblée nationale, M. Damien Meslot, elle constitue, en effet, « une mesure simple », nécessaire sinon suffisante, susceptible de réduire le coût humain très lourd des incendies domestiques. Vous y avez largement insisté dans votre propos, madame la ministre.

Hier encore, à Ostricourt, dans le Nord, deux jeunes enfants sont morts et deux autres ont été grièvement blessés dans l’incendie qui s’était déclaré dans leur chambre, au premier étage de la maison familiale.

D’après les statistiques des services départementaux d’incendie et de secours, on a déploré, en 2006, 7 000 victimes de feux d’habitation, dont 257 morts et 658 blessés graves. Beaucoup de ces drames, qui brisent des vies et des familles, pourraient pourtant être évités.

Nous avions donc, mes chers collègues, approuvé dans son principe, en première lecture, cette « mesure simple ».

Mais nous avions modifié son dispositif sur trois points.

D’abord, nous avions souhaité insister fortement sur le fait qu’un important effort d’information du public sur la prévention des incendies et la conduite à tenir en cas de sinistre constituait un préalable indispensable à la mesure proposée et une condition nécessaire de son efficacité, d’autant plus, nous le savons bien, qu’en cas d’incendie, on a tendance à avoir spontanément les mauvais réflexes : ouvrir les portes et les fenêtres, entrer dans la fumée pour essayer d’éteindre le feu, ou tenter de fuir quand il faudrait se calfeutrer. Il faut donc développer une vraie pédagogie en la matière.

C’est pourquoi nous avions adopté, à l’article 4, un amendement visant à imposer que le délai de cinq ans prévu avant l’entrée en vigueur de la loi soit mis à profit pour organiser des campagnes d’information et de sensibilisation du public, dont il serait rendu compte au Parlement en même temps que le premier bilan d’application de la loi.

Mais nous avions aussi modifié le dispositif adopté par l’Assemblée nationale sur deux points importants.

L’Assemblée nationale avait prévu de rendre obligatoire l’installation d’une seule catégorie de détecteurs de fumée, les « détecteurs avertisseurs autonomes de fumée », ou DAAF, c’est-à-dire des appareils à pile comportant une alarme intégrée.

Nous avions estimé, quant à nous, qu’il fallait laisser un choix plus ouvert et qu’il appartiendrait au décret d’application de définir les caractéristiques des appareils qui pourraient être installés, en imposant seulement l’installation d’appareils normalisés.

L’Assemblée nationale avait mis l’installation et la maintenance des détecteurs de fumée à la charge des occupants des logements. Nous avions jugé, pour notre part, qu’il serait plus logique et, surtout, plus efficace que ces obligations incombent aux propriétaires.

En deuxième lecture, l’Assemblée nationale nous a suivis sur la question des campagnes de sensibilisation du public. Elle a même voulu avancer à la date d’entrée en vigueur de la loi la remise au Parlement du rapport sur son application et sur les actions de sensibilisation du public. Ce sera peut-être un peu tôt pour dresser un bilan d’application de la loi. Mais il est primordial que, dès son entrée en vigueur, le Parlement ait tous les éléments pour apprécier ce qui aura été fait pour informer le public. Nous vous proposerons donc d’adopter l’article 4 dans le texte de l’Assemblée nationale.

En revanche, l’Assemblée nationale est revenue à ses positions de première lecture sur le choix des DAAF et la responsabilité exclusive des occupants des logements.

Nous avons, pour notre part, poursuivi notre réflexion sur ces deux points.

Nous vous ferons une proposition, qui nous paraît équilibrée et devrait nous permettre de progresser vers un accord avec l’Assemblée.

Nous demeurons persuadés, et je m’en suis entretenu avec mon homologue de l’Assemblée nationale, Damien Meslot, qu’il n’est pas souhaitable d’imposer l’installation exclusive de DAAF ni de mettre l’installation des détecteurs de fumée à la charge des occupants des logements.

En revanche, il nous semble possible, et même souhaitable, de prévoir que les occupants des logements soient responsables de leur entretien courant, comme c’est très fréquemment le cas à l’étranger.

Je reprendrai brièvement chacun de ces points.

D’abord, s’agissant du choix exclusif des DAAF, l’Assemblée nationale estime que les détecteurs sur pile sont plus sûrs que les détecteurs sur secteur.

Malheureusement, l’expérience prouve que ce n’est pas le cas.

Au Royaume-Uni, les statistiques des services d’incendie établissent que, en cas d’incendie, 36 % des détecteurs à pile ne se déclenchent pas, ce qui est énorme et tout de même très inquiétant, contre seulement 13 % des détecteurs sur secteur.

On constate aussi que, lorsque les réglementations nationales recommandent ou imposent certains types de matériels, les détecteurs à pile, du moins ceux fonctionnant sur piles ordinaires, font systématiquement partie de ceux qui sont écartés.

Dans ces conditions, il nous semblerait paradoxal d’interdire les détecteurs fonctionnant sur secteur, qui ont d’ailleurs une alimentation de secours sur pile ou sur batterie, et qui sont partout, je dis bien partout, considérés comme les plus sûrs.

Il ne faut pas, naturellement, prohiber les détecteurs à pile, s’ils sont de bonne qualité et, surtout, s’ils sont bien entretenus, car ils peuvent permettre d’équiper rapidement, sans travaux importants et pour un coût raisonnable, les logements anciens.

Mais, outre le fait qu’il n’appartient pas au législateur de définir les caractéristiques techniques d’équipements de sécurité, il ne serait pas très logique de considérer que les personnes qui installeraient des appareils plus performants ne satisferaient pas aux exigences de la loi.

Deuxièmement, nous restons convaincus que les propriétaires doivent être responsables de l’installation des détecteurs, comme l’avait prévu le Sénat en première lecture.

Du reste, c’est ce qui prévaut dans les pays étrangers. Cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant, car c’est dans la logique des principes et des textes régissant la responsabilité des propriétaires et les rapports entre bailleurs et locataires.

À cet égard, je vous renvoie à la loi du 23 décembre 1986, dite « loi Méhaignerie », tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière, dont j’avais été le rapporteur à l’Assemblée nationale.

Normalement, il revient aux propriétaires de s’assurer de la conformité des bâtiments aux obligations de sécurité. En outre, comme nous l’avions souligné en première lecture, cette solution est plus efficace, et ce pour deux raisons : d’une part, les organismes bailleurs ou les copropriétés disposent de moyens plus importants pour apprécier la fiabilité des appareils proposés et s’assurer qu’ils seront correctement installés ; d’autre part, cela pourra inciter, dans le cas de constructions nouvelles ou de rénovations de logement, à prévoir, pour un coût modique, une installation électrique permettant la pose de détecteurs branchés sur secteur, qui, comme nous l’avons vu, sont plus fiables.

Il a été avancé, lors du débat à l’Assemblée nationale, qu’il serait impossible de « responsabiliser » les occupants des logements s’ils n’installaient pas eux-mêmes les détecteurs.

Cet argument n’emporte pas ma conviction ; je dirai même qu’il me choque. Je ne vois pas du tout pourquoi nos concitoyens, dès lors qu’ils auront été informés et sensibilisés par vos soins, madame la ministre, comprendraient plus difficilement que nos amis britanniques, américains, canadiens ou belges l’intérêt et le bon usage de ces appareils, même s’ils ont été installés par leurs propriétaires.

En revanche, nous vous proposerons de revenir sur les dispositions que le Sénat avait adoptées en première lecture pour confier à l’occupant du logement la responsabilité de l’entretien courant des détecteurs.

Nous avons été sensibles au récent avis de la Commission de la sécurité des consommateurs, qui, soulignant que la sécurité des logements était l’affaire de tous, a préconisé un tel partage des rôles entre propriétaires et occupants.

Nous avons aussi constaté que cette solution est celle qui est généralement retenue à l’étranger, par exemple en Belgique ou au Royaume-Uni, où ce système fonctionne bien. Il existe des conventions ou des clauses types qui précisent les obligations des uns et des autres : le propriétaire doit installer les détecteurs et donner toutes informations utiles sur leur fonctionnement ; l’occupant est chargé de les tester régulièrement, de changer, s’il y a lieu, les piles et de signaler au propriétaire les dysfonctionnements imposant le remplacement des appareils.

Nous vous proposerons donc de nous inspirer de ces exemples, qui reflètent eux aussi une certaine logique, et que nous devrions pouvoir « transposer » chez nous sans difficulté.

Je conclurai ce trop long propos, mes chers collègues, en indiquant que, sous réserve de l’adoption de l’unique amendement qu’elle a déposé, la commission vous demande de voter pour la proposition de loi qui nous est soumise.

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