Ces régions seront également les premières victimes des lois futures pour lesquelles on nous demande de satisfaire une réforme autour de textes qui n’ont pas encore été débattus, comme beaucoup d’entre vous viennent de le souligner.
Le Président de la République affiche un volontarisme dont il voudrait nous faire croire qu’il remplace l’action. Quelques orateurs viennent de se réapproprier certaines figures historiques. Je citerai, pour ma part, les mots de Jean Jaurès : « Qu’est-ce que l’action sans la pensée ? C’est la brutalité de l’inertie. »
Après le grand mouvement historique de décentralisation, auquel beaucoup d’entre vous ont participé, c’est bien l’inertie de la France que tend à instaurer cette réforme en cinq actes, qui s’articule autour de la suppression de l’autonomie fiscale des collectivités et de quatre projets de loi dont nous allons discuter dans une logique inversée.
Cette inertie, c’est la France des préfets contre la France des libertés, celle qui est représentée par les élus locaux, dont vous faites aujourd’hui les boucs émissaires des difficultés financières du Gouvernement.
Il y a deux cents ans, Napoléon déclarait : « Je veux que les Français datent leur bonheur de l’installation des préfets ». Pour des raisons idéologiques, il ne croyait pas à la République décentralisée, ni même à la République tout court. On se souvient d’ailleurs des critiques qui s’étaient élevées, dans les années 1981-1982 à l’Assemblée nationale, où je siégeais alors ainsi que M. Mermaz, à l’occasion de la discussion des lois de décentralisation, contre l’amoindrissement du rôle des préfets. §notamment ce qui concerne leurs fonctions économiques et sociales.
L’acte II de la décentralisation, conduit par Jean-Pierre Raffarin, qui est resté au milieu du gué en privilégiant la déconcentration à la décentralisation, avait justement déjà permis aux préfets de région de reprendre le pouvoir, comme le titrait le Figaro en 2004. Cela avait été fait sans que le principe de subsidiarité soit respecté, sans que les départements, les communes et les régions aient véritablement plus de pouvoir.
Voilà bien l’essence même d’une manœuvre que je qualifierai de politicienne. L’objectif est d’éradiquer les contre-pouvoirs, notamment ceux de la gauche qui s’est beaucoup investie dans les territoires. En fin de compte, le principal reproche qui est fait à la gauche est d’avoir gagné trop de régions en 2004, et on punit ces dernières par avance en anticipant, comme si la gauche devait renouveler ses succès l’année prochaine.
De ce point de vue, votre calendrier apparaît moins absurde, messieurs les ministres. Il ne s’agit pas pour vous de débattre sur le fond de ce que pourraient être les conseillers territoriaux, mais de faire adopter en accéléré une concomitance des renouvellements des conseillers généraux et régionaux afin de créer le cadre vous permettant d’imposer ces nouveaux élus hybrides, deux fois moins nombreux mais dotés de deux fois plus de fonctions obligatoires.
En retirant l’autonomie fiscale des collectivités, vous avez entamé le socle même de la démocratie locale, puisqu’elle permet aux élus locaux de voter le taux de l’impôt. Je ne reviens pas sur cette question. Ce droit de vote est pourtant le symbole de la responsabilité de l’élu local face à ses administrés.
En créant le conseiller territorial, vous déconsidérez l’ancrage de proximité, l’expérience et le travail, ainsi que la nature même de l’indépendance de l’élu, condition de sa responsabilité, liée à son élection.
En effet, 20 % des conseillers territoriaux seront finalement « désignés » parmi les membres des listes départementales en fonction du nombre de suffrages obtenus par les candidats élus. Ce mode de scrutin, j’en suis convaincu, n’ira pas très loin.
De surcroît, vous jetez l’opprobre sur les élus locaux. Leur rôle est pourtant essentiel au quotidien. J’évoquais hier, monsieur le rapporteur, devant l’assemblée régionale de Bourgogne dont vous faites partie, le coût d’un élu régional : il s’élève à seulement 1, 22 euro par an et par habitant. Quant au coût d’un conseiller économique et social, il s’élève à 0, 68 euro par an et par habitant. Imaginez les économies que vous allez faire !
Vraiment, quelle économie extraordinaire ! Il faudrait la comparer au coût des avions présidentiels, des voyages en hélicoptère…