Intervention de Pierre Mauroy

Réunion du 15 décembre 2009 à 15h30
Renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Pierre MauroyPierre Mauroy :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui, bien qu’il ne comporte que deux articles, est loin d’être purement technique. Il est en effet le premier de quatre textes qui engagent une réforme de nos collectivités territoriales porteuse d’un formidable retour en arrière.

Je souligne, comme l’ont fait avant moi mes collègues du groupe socialiste, notamment, que ce premier texte est très audacieux puisqu’il parie sur l’adoption d’autres textes qui ne seront examinés, au mieux, qu’au mois de janvier. Or, si j’en crois les réactions négatives qu’ils suscitent, rien n’assure qu’ils seront adoptés.

Par ailleurs, le présent projet de loi fait suite à la suppression de la taxe professionnelle, qui va asphyxier financièrement les collectivités territoriales, suppression elle aussi décidée avant même le débat sur la réforme de ces collectivités et qui constitue un véritable hold-up à leurs dépens et au profit des entreprises.

Cette précipitation avec laquelle on s’attaque aux collectivités territoriales, pour injustifiée qu’elle soit, n’est en fait pas étonnante. Depuis son élection, le Président de la République a souvent dénoncé le bilan même de ces collectivités, les accusant d’être dispendieuses, alors qu’elles réalisent 73 % de l’investissement public et ne contribuent à la dette publique qu’à hauteur de 10 %.

Mes chers collègues, avec ces projets, nous devons faire face à un changement brutal de cap par rapport au relatif consensus qui s’était dégagé sur la nécessité d’approfondir la décentralisation et la régionalisation dans notre pays, après le vote des lois de 1982 et de 1983. Les gouvernements qui ont suivi ceux que j’ai dirigés se sont tous inscrits dans cette démarche décentralisatrice, y compris celui de Jean-Pierre Raffarin, qui a même tenu à inscrire dans la Constitution que la France était une République dont l’« organisation est décentralisée ».

Les projets actuels opèrent un retour vers le passé et tournent le dos à la modernité !

Cette orientation était déjà apparue vers la fin des travaux du comité Balladur, auxquels j’avais accepté de participer pour approfondir la décentralisation. En réalité, ces travaux ont préparé cette contre-réforme qui conduira inévitablement à une recentralisation et à un affaiblissement des assemblées locales face au pouvoir de l’État.

Abaisser le pouvoir des assemblées a toujours été la marque des princes. Ce n’était pas notre optique en 1982, et ce n’est pas davantage la nôtre aujourd’hui.

Cet affaiblissement concerne d’abord l’assemblée départementale, lointaine fille de la Révolution de 1789 et surtout des lois de la IIIe République, qui tient une place privilégiée dans l’organisation des territoires, notamment en milieu rural. Mais il concerne tout autant l’assemblée régionale, dernière née de nos institutions locales puisque sa création remonte à 1982, instance qui porte le développement économique et, surtout, la vision d’avenir d’un territoire.

Ce mauvais coup contre ces assemblées sera mal perçu par les Français, très attachés à la démarche décentralisatrice dont ils ont pu mesurer depuis près de trente ans les effets positifs sur leur vie quotidienne en termes de qualité des services publics et de proximité.

Qui peut croire, en effet, que le futur corps hybride des « conseillers territoriaux » censés remplacer les conseillers généraux et les conseillers régionaux pourra faire vivre correctement ces deux assemblées aux compétences et à l’esprit si différents ?

De plus, le mode de scrutin qu’on leur réserve – uninominal à un tour, pour l’essentiel – est non seulement contraire à la tradition du système politique français, mais aussi d’une grande complexité, et il va provoquer un redécoupage des cantons, exercice auquel vous semblez prendre beaucoup de plaisir, monsieur le secrétaire d'État !

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