Intervention de Josiane Mathon-Poinat

Réunion du 15 décembre 2009 à 21h30
Renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux — Question préalable

Photo de Josiane Mathon-PoinatJosiane Mathon-Poinat :

Après cette mise en garde, nous pouvons passer à la lecture du premier chapitre, qui s’intitule : « Une concomitance indispensable à la mise en place des conseillers territoriaux et bénéfique pour la démocratie locale ». La mise en garde est donc promptement oubliée...

Deux arguments sont avancés pour nous faire croire que cette réforme n’a pas pour seul but d’entériner l’instauration des conseillers territoriaux avant même que la loi soit débattue : la concomitance des élections cantonales et régionales permettrait, primo, de lutter contre l’abstention et, secundo, de déconnecter les élections locales des élections nationales. Nous allons confronter ces deux arguments à la réalité des faits, et je peux vous dire par avance que, en guise d’arguments, nous n’avons là que des prétextes !

En premier lieu, selon le rapport, la simultanéité des élections cantonales et régionales permettrait « de dynamiser la démocratie locale ». Ainsi, « comme l’affirme le comité pour la réforme des collectivités locales, la concomitance, en rendant les élus plus facilement identifiables par leurs électeurs, “renforcerait [le] poids [de ces élections] dans la vie locale et ne pourrait, en conséquence, que favoriser la clarté des choix démocratiques” ».

Impossible d’apporter le moindre crédit à cette déclaration puisqu’elle ne repose sur aucune donnée tangible et vérifiable. Il ne s’agit que d’une pure déclaration de principe, un lieu commun ne correspondant à aucune réalité statistique, démographique ou politique. Cette affirmation n’est qu’un exercice de rhétorique puisque rien n’empêche d’affirmer le contraire. Pourquoi, en effet, ne pas penser que la concomitance d’élections entraîne inexorablement des effets pervers comme des risques de confusion dans l’esprit des électeurs sur les enjeux propres à chacune de ces élections et des interférences entre les campagnes électorales ?

Il est difficile de trancher, car l’abstentionnisme va chercher ses causes dans des phénomènes bien plus complexes, qui ont plus à voir avec la sociologie de l’électorat qu’avec de simples questions de calendrier. La concomitance ne constitue même pas l’embryon d’une solution. Pour preuve : la simultanéité des élections cantonales et municipales des 9 et 16 mars dernier n’a pas empêché une abstention record.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est le rapport qui permet de conclure plutôt à une absence de lien entre concomitance et participation puisqu’il y est écrit noir sur blanc qu’une telle « corrélation ne révèle pas forcément un rapport de causalité ». Autrement dit, le rapport se contredit lui-même et la seule chose que nous pouvons affirmer est que nul ne sait si la concomitance d’élection a une influence, bonne ou mauvaise, sur la participation.

Deuxième argument avancé dans le rapport : « La nécessité d’une déconnection entre les enjeux locaux et les enjeux nationaux ».

Selon le rapporteur, la proximité dans le temps de scrutins locaux et de scrutins nationaux serait « susceptible de favoriser l’abstention électorale » et de « brouiller les enjeux respectifs de chaque élection ». Mais est-ce réellement le temps qui est responsable de cette confusion ? N’est-ce pas plutôt un choix délibéré du pouvoir politique ?

A priori, cette année, nous ne connaîtrons pas d’autre rendez-vous électoral que les régionales. Or cela n’empêche pas le Président de la République de descendre dans l’arène pour les élections de mars prochain. La feuille de route adressée par ce dernier aux cadres de l’UMP réunis en conseil national à Aubervilliers ne laisse aucun doute : il s’agit de faire tomber les régions tenues par la gauche, qui sont considérées comme autant de contre-pouvoirs à l’action de l’exécutif.

D’ailleurs, tous les responsables de l’UMP ont proclamé que les régionales revêtiront une dimension nationale et constitueront donc un test pour l’Élysée. Rien de surprenant, dès lors, qu’en cette période le pouvoir nous ressorte ses épouvantails électoraux : l’insécurité, l’identité nationale, l’immigration..., autant de thèmes démagogiques et confus permettant de contourner les vrais enjeux, autant d’appels du pied à un électorat d’extrême droite dont les voix seront fort utiles pour ce scrutin.

Mais quid des questions de fiscalité, d’emploi, d’éducation, d’urbanisme, de démocratie, de culture, bref, des réels enjeux locaux ?

Les arguments selon lequel ce projet de loi serait une opportunité pour faire progresser la démocratie locale sont donc totalement irrecevables. Contrairement aux affirmations du rapporteur, l’unique et seul objet du projet de loi est de permettre la création des conseillers territoriaux, rien de plus. L’exposé des motifs de ce texte ainsi que l’engagement de la procédure accélérée l’attestent très largement.

Il est proprement scandaleux de vouloir nous faire entériner les conséquences d’une réforme avant même d’en avoir débattu. Que nous dira-t-on lorsque nous devrons débattre de la mise en place des conseillers territoriaux ? Sans doute que le Parlement a déjà validé le principe en changeant la durée des mandats des actuels conseillers généraux et régionaux ! Le stratagème est quelque peu grossier... Mais peut-être est-ce la seule façon qu’a trouvé le Gouvernement pour faire passer en force une réforme qui n’est même pas voulue par sa propre majorité.

En effet, la future instauration des conseillers territoriaux est l’objet d’une forte contestation, tous bords et institutions confondus. Ainsi, dans une note confidentielle en date du 15 octobre qui a filtré dans la presse, le Conseil d’État lui-même a mis en garde le Gouvernement contre deux dispositions du projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux.

L’observation essentielle portait sur le mode de scrutin retenu dans le texte présenté : les magistrats le jugent susceptible de porter atteinte à « la légalité comme à la sincérité du suffrage », s’appuyant sur les « modalités complexes de la combinaison opérée » entre scrutins majoritaire et proportionnel.

Le Conseil d’État précise même que « le mode de scrutin retenu n’apparaît pas de nature à garantir, ni au conseil général ni au conseil régional, l’établissement d’une majorité stable propre à assurer le bon fonctionnement de ces collectivités territoriales ».

Enfin, il estime que ce mode de scrutin « peut, en outre, permettre qu’une liste ayant recueilli au niveau régional moins de voix qu’une autre puisse néanmoins obtenir plus de sièges qu’elle », ce qui a d’ailleurs été rappelé par M. Sueur lors de la présentation de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Certes, l’avis du Conseil d’État n’a qu’une valeur consultative, mais celui-ci est loin d’être le seul à nous alerter quant aux dérives qu’entraînerait cette réforme. Ainsi, de nombreuses femmes politiques, toutes tendances confondues, voient dans le projet de création des conseillers territoriaux un « recul pour la parité » et, là aussi, c’est le choix du mode de scrutin pour élire les futurs conseillers territoriaux qui en est la cause.

Dans un communiqué commun, les présidentes des délégations aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, Mme Marie-Jo Zimmermann, du Sénat, Mme Michèle André et du Conseil économique, social et environnemental, Mme Françoise Vilain, ont dénoncé ce choix, soulignant que, « dans le cadre des scrutins uninominaux, non soumis à des mesures paritaires contraignantes, les femmes sont toujours sacrifiées par les partis politiques », du moins par certains.

En effet, avec ce nouveau mode de scrutin, 80 % des conseillers territoriaux seront élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour, dans lequel les dispositions favorisant la parité sont très peu efficaces puisqu’on élit une seule personne, que ce soit un homme ou une femme. Seuls 20 % des conseillers territoriaux seront élus à la proportionnelle, où la parité est obligatoire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans les conseils généraux, en 2008, seules 12, 3 % de femmes ont été élues, alors que, aux élections régionales de 2004, le scrutin de liste à la proportionnelle a permis l’élection de 47, 6 % de femmes.

Pour ces raisons, l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes a alerté le 1er avril – et ce n’était pas une plaisanterie ! - le Président de la République et le Premier ministre, dont il dépend, sur le « nécessaire respect de la parité dans l’élaboration de la réforme des collectivités territoriales ». L’Observatoire en « appelle solennellement à la vigilance sur les risques d’une régression en matière de parité entre les femmes et les hommes, induits par la généralisation du mode de scrutin uninominal ». Selon ses propres calculs, la proportion de conseillères passera de 23 % aujourd’hui à 19, 6 % avec le nouveau mode de scrutin : il s’agit donc d’un recul net et incontestable.

Cette régression, le cabinet d’Alain Marleix, dont je regrette l’absence en cet instant, ne la conteste d’ailleurs pas. Il affirme même avec un certain aplomb que cette inégalité sera compensée par le renforcement de la présence des femmes au niveau local en abaissant le seuil de la parité aux communes de 500 habitants. Selon M. Marleix, de cette façon, les femmes devraient mécaniquement faire une entrée massive dans les conseils de communauté de communes.

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