Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de notre discussion sur les deux projets de loi portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer.
Cela fait maintenant un peu plus de trois ans que les populations de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy se sont prononcées en faveur de leur autonomie : il était donc temps que les textes fixant leur nouveau statut et permettant les conditions de mise en oeuvre de leurs nouveaux pouvoirs normatifs soient enfin adoptés.
L'examen de ces textes à l'Assemblée nationale, puis la commission mixte paritaire ont permis d'améliorer les deux textes sur certains points, mais n'ont pas levé tous les doutes que nous avions pointés ici en première lecture.
En vertu de l'article 73 de la Constitution, les départements et régions d'outre-mer peuvent, après y avoir été habilités par la loi, adapter les lois et règlements à leurs caractéristiques et contraintes particulières ; c'est donc de ce pouvoir que disposeront les nouveaux conseils territoriaux de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, créés par le projet de loi organique.
Le texte initial était insatisfaisant sur le plan tant du régime de la demande d'habilitation des départements et régions d'outre-mer que du contrôle juridictionnel des actes pris par ces collectivités dans le domaine de la loi.
Sur ces deux points, les précisions nécessaires ont été apportées : les conditions de la demande d'habilitation sont mieux encadrées et a été inséré un chapitre instaurant un contrôle juridictionnel spécifique des actes du conseil territorial qui interviennent dans le domaine de la loi.
En revanche, il n'en va pas de même s'agissant du futur statut fiscal des deux îles de Saint-Martin et de Saint Barthélemy.
L'occasion se présentait, avec ce projet de loi organique, de remédier à une situation aussi incompréhensible qu'injuste, surtout en ce qui concerne Saint-Barthélemy. Cette île s'est dotée d'un statut fiscal totalement dérogatoire, contraire aux règles républicaines : l'exemption de toute fiscalité de redistribution est contraire à tous nos principes, je dirai même à certaines valeurs de notre République. Pourtant, malgré les nombreux recours déposés devant le Conseil d'État, l'exemption de fait des impôts locaux et de l'impôt sur le revenu perdure à Saint-Barthélemy.
La situation est la même concernant l'île de Saint-Martin, qui bénéficie du statut de port franc, et où les droits de douane ne sont pas perçus. Quant au recouvrement de l'impôt sur le revenu, il est loin d'être parfait.
L'état de droit n'existe ni à Saint-Martin ni à Saint Barthélemy, et les nouvelles dispositions proposées risquent de les en éloigner davantage. Le changement de statut reviendra, sur le plan fiscal, à pérenniser la situation actuelle de fait qui permet aux habitants de Saint-Barthélemy d'échapper à l'impôt.
Que ce soit à l'Assemblée nationale ou en commission mixte paritaire, les arguments avancés par la majorité parlementaire ne nous ont pas convaincus.
Nous demandions qu'une évaluation des effets du régime fiscal des deux îles et de la répartition des dotations publiques soit réalisée avant que ce régime ne soit entériné.
En effet, l'État continuera à verser à Saint-Barthélemy la dotation globale de fonctionnement et la dotation globale d'équipement. Or, malgré l'absence de fiscalité directe, cette collectivité dispose de ressources importantes, tirées des activités touristiques : droits de quai, taxes sur les carburants ou autres taxes de séjour.
Est-il normal que la solidarité nationale soit mise à contribution dans une telle situation ?
Force est de constater que nous n'avons pas été entendus puisque le projet de loi entérine le régime fiscal dérogatoire de ces deux îles, sous couvert de la nécessaire autonomie à leur accorder en matière fiscale.
Ma dernière remarque concernera le droit électoral et la création des sièges de sénateur et de député dans les collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Les modalités d'élection des conseillers territoriaux de ces deux collectivités étaient critiquables. En effet, elles avaient pour inconvénient de promouvoir le bipartisme et d'empêcher les listes d'opposition de se présenter au second tour. Même si le Sénat a modifié ces modalités d'élection afin de les rapprocher davantage des règles applicables au scrutin de liste, nous regrettons que l'Assemblée nationale et la CMP aient maintenu cette disposition, alors qu'en l'état actuel du droit l'accès au second tour est possible pour toute liste ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés au premier tour.
En revanche, nous pouvons saluer l'initiative de l'Assemblée nationale d'avoir fait adopter un amendement prévoyant l'application de la parité sur les listes aux élections à l'assemblée délibérante de Saint-Barthélemy par alternance à chaque candidat, plutôt que par groupe de six candidats.
Enfin, se pose le problème de la création de sièges de sénateur et de député pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Ces créations soulèvent la question du corps électoral qui va élire ces sénateurs.
S'agissant de l'élection des deux députés, le rapporteur à l'Assemblée nationale, Didier Quentin, a exprimé quelques réserves que je me permets de citer ici : « La principale objection à l'encontre de la création de ces sièges de député concerne le respect du principe d'équilibre démographique entre les circonscriptions électorales, qui pourrait éventuellement fonder une censure du Conseil constitutionnel. (M. le président de la commission des lois fait un signe de dénégation.) Le Conseil constitutionnel considère en effet « que l'Assemblée nationale, désignée au suffrage universel direct, doit être élue sur des bases essentiellement démographiques ; que, si le législateur peut tenir compte d'impératifs d'intérêt général susceptibles d'atténuer la portée de cette règle fondamentale, il ne saurait le faire que dans une mesure limitée et en fonction d'impératifs précis ». »
La question est donc ouverte de savoir si la création d'un ou de plusieurs nouveaux sièges de députés pour les nouvelles collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin pose un problème au regard du principe d'équilibre démographique.
En raison du faible nombre d'habitants de ces deux îles, les sièges de député ainsi créés correspondraient à la représentation d'une fraction marginale de la population nationale. Alors, même si d'autres circonscriptions comprennent une population quelque peu inférieure à la moyenne nationale, la réflexion aurait mérité d'être un peu plus poussée quant à l'opportunité de créer ces sièges de sénateur et de député.