Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où les technologies préservent de moins en moins l’anonymat et permettent de garder en mémoire les données de leurs utilisateurs, le droit à la vie privée est confronté à un nouveau péril.
La commission des lois ayant fait ce constat, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner ses conclusions sur la proposition de nos collègues Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne, dont je tiens à saluer le travail.
Notre vie quotidienne est aujourd’hui grandement simplifiée par toute une série de puces, de cartes et de technologies sans cesse en progrès. Les paiements sont sécurisés, les abonnements, rationalisés, les transports, fluidifiés, etc. Pourtant, il est de notre devoir de parlementaire d’encadrer ces instruments afin qu’ils ne se retournent pas contre leurs utilisateurs. Notre collègue Alex Türk, par ailleurs président de la CNIL, a pris l’habitude de parler de « droit à l’oubli ». Peut-être faudrait-il d’ailleurs songer à en faire un droit à valeur constitutionnelle… En tout cas, la question mérite qu’on s’y attarde.
J’apporterai ici un premier bémol. Si l’initiative de la commission des lois est louable et s’il est urgent de légiférer sur le sujet, je crains toutefois que la multiplication des textes et des initiatives ne vienne brouiller le message final, au lieu de le clarifier.
En effet, nos collègues de l’Assemblée nationale se sont également saisis de ce sujet, parfois à travers des problématiques particulières. C’est la preuve qu’il est urgent de clarifier la législation en vigueur. Je citerai par exemple le rapport Mme Batho et de M. Bénisti sur les fichiers de police, ainsi que le travail de M. Warsmann dans le cadre de sa proposition de loi sur la simplification du droit. Nous constatons d’ailleurs que, sur ce sujet, les groupes de travail associent des parlementaires d’horizons politiques différents sans que cela empêche le consensus, bien au contraire. Encore une preuve de l’importance qu’il y a à légiférer !
J’espère que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne se perdra pas dans les méandres de la navette parlementaire, pour ne jamais réapparaître ! Le débat est important ; il mériterait un véritable engagement du Gouvernement et de nos collègues députés. Je sais que Mme Escoffier et M. Détraigne ont effectué un travail de fond, mais nous devons rester vigilants, afin qu’il ne soit pas dénaturé.
Au départ, cette proposition de loi vise à modifier la loi informatique et libertés de 1978, avec la volonté de mieux protéger les utilisateurs : statut juridique des adresses IP, information du public, notamment des plus jeunes, systématisation des correspondants « informatique et libertés », conservation des données, encadrement des fichiers de police… Le texte d’origine traitait aussi de la CNIL et s’efforçait de lui conférer davantage de pouvoirs et de moyens. Il ne soulevait donc aucune objection majeure de notre part, car le but des auteurs nous apparaît tout à fait louable.
Lors de la réunion de la commission des lois du 24 février dernier, j’avais déposé, avec mes collègues socialistes, plusieurs amendements visant à apporter quelques améliorations. Parmi eux, certains prévoyaient l’exclusivité de la compétence de la CNIL en matière de vidéosurveillance. L’objet de cette proposition de loi est en effet connexe au rapport que Jean-Patrick Courtois et moi-même avons rédigé sur le nécessaire encadrement juridique de la vidéosurveillance. Je rappelle que ce rapport a été voté à l’unanimité de la commission des lois et que notre préconisation a été reprise dans le rapport de Mme Escoffier et de M. Détraigne. Elle devait donc logiquement figurer dans cette proposition de loi.
Or, en commission, l’engagement a été pris de reprendre ces modifications législatives lors du débat sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, ou LOPPSI 2, qui doit bientôt avoir lieu au Sénat. Face à l’unanimité des membres de la commission, j’ai accepté de retirer mes amendements, mais nous veillerons au respect des engagements du 24 février lors de l’examen du futur texte.
Pour en revenir à la présente proposition de loi, j’observe que M. le rapporteur y a apporté plusieurs modifications lors des travaux en commission ; mon groupe en a accepté un certain nombre. Même lorsque la commission a assoupli le texte, par souci de pragmatisme, ainsi que pour prendre en compte les pratiques des utilisateurs ou la future transposition des directives européennes du « paquet télécom », nous comprenons la volonté du rapporteur, qui a réalisé un travail remarquable. Je souhaite toutefois m’arrêter quelques instants sur l’article 4, qui touche sans doute le thème le plus sensible parmi ceux qui sont abordés dans ce texte, à savoir les fichiers.
Aux termes de la loi de janvier 1978, les fichiers intéressant la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, ou qui ont pour objet la répression des infractions pénales, sont créés par arrêté du ministre compétent. En cas de recours à la biométrie, un décret en Conseil d’État est nécessaire. La CNIL rend un avis simple.
Les craintes suscitées par la création du fichier EDVIGE ont montré à quel point le sujet des fichiers de police et de gendarmerie, de leur contrôle et de leur évolution était sensible, notamment au regard des conséquences de l’existence de ces fichiers sur les libertés individuelles et collectives. À cette occasion, les groupes socialistes du Sénat et de l’Assemblée nationale ont réclamé l’organisation d’un débat sur ce sujet, mais le Gouvernement n’a pas souhaité donner suite à cette demande.
L’Assemblée nationale a alors décidé de créer une mission d’information relative aux fichiers de police, qui a débouché sur le dépôt d’une proposition de loi cosignée par les deux co-rapporteurs, Jacques Alain Bénisti et Delphine Batho. L’article 5 de cette proposition de loi donnait au législateur le soin d’autoriser un fichier ou une catégorie de fichiers de police, étant entendu que le pouvoir réglementaire continuerait à s’exercer pleinement pour la création de l’ensemble des traitements respectant les conditions préalablement définies par la loi. Discutée le 24 novembre 2009 sur l’initiative du groupe socialiste, elle n’a pas été adoptée par l’Assemblée nationale.
L’article 4 de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui formalise la recommandation n° 13 contenue dans le rapport d’information d’Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier, recommandation qui reprend elle-même l’architecture de l’article 5 de la proposition de loi de M. Bénisti et de Mme Batho.
Toutefois, les auteurs de la présente proposition de loi ayant jugé la proposition des députés très contraignante, ils prévoyaient de restreindre en conséquence, dans l’article 4, les cas d’autorisation législative à des catégories de fichiers de police nationaux et à leurs caractéristiques les plus importantes.
La commission a profondément modifié l’article 4, en proposant une nouvelle rédaction qui, selon le rapporteur, respecte l’esprit de la proposition de loi et des amendements que nous voulions y apporter.
Certes, nous aboutissons à un meilleur encadrement légal de la création des fichiers par rapport à la législation existante. Il subsiste toutefois comme un goût d’inachevé dans le texte qui nous est maintenant soumis.
Le dérapage sur l’utilisation médiatique des données du fichier STIC que nous avons connu pendant la campagne des élections régionales en est une illustration flagrante. En tant que législateur, nous ne pouvons nous résoudre à restreindre nous-mêmes notre rôle à la détermination des finalités des fichiers. Le vrai débat porte aujourd’hui sur le contenu des fichiers, et surtout sur les conditions de traitement des données qu’ils comportent. De ce point de vue, la proposition de loi initiale, complétée par nos amendements, permettait de clore ce débat. Celui-ci, loin d’être anodin, revêt au contraire une importance majeure, car il s’agit des libertés fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques.
Nous réservons donc notre vote pour le moment. Initialement, nous étions spontanément favorables à ce texte, qui, surtout dans sa version d’origine, allait dans le bon sens, vers davantage de sécurité juridique pour nos concitoyens. Nous serons très attentifs à ce qui résultera de la discussion des articles et nous ne prendrons notre décision finale qu’au regard de la volonté du Gouvernement et du rapporteur de ne pas trop dénaturer le texte originel. Toutefois, au vu des amendements du Gouvernement et après l’intervention de M. le secrétaire d’État, je ne suis pas pleinement confiant…