Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 27 avril 2010 à 14h30
Article 65 de la constitution mandat des membres du conseil supérieur de la magistrature — Discussion d'un projet de loi organique en deuxième lecture et d'un projet de loi organique en procédure accélérée

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, le Sénat est appelé à examiner en deuxième lecture le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 23 février 2010. L’examen de ce texte s’articule désormais avec celui d’un autre projet de loi organique, prorogeant le mandat des membres du Conseil supérieur de la magistrature ; j’y reviendrai à la fin de mon intervention.

Lors de l’examen du projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution, l’Assemblée nationale a validé l’essentiel des modifications apportées par le Sénat en première lecture.

Le texte déposé au Sénat en deuxième lecture comporte ainsi quinze articles conformes sur trente-trois ; je pourrais presque dire « vingt-deux sur trente-trois », puisque sept articles n’ont fait l’objet que de modifications rédactionnelles ou de coordination.

Les deux assemblées se sont notamment accordées sur les points suivants : le principe de parité selon lequel la formation compétente du Conseil supérieur, lorsqu’elle siège en matière disciplinaire, comprend un nombre égal de membres appartenant à l’ordre judiciaire et de membres n’y appartenant pas ; l’organisation des commissions d’admission des requêtes, chargées de filtrer les plaintes des justiciables ; la compétence de la formation plénière du Conseil supérieur pour se prononcer proprio motu sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ; l’abaissement du quorum nécessaire en matière disciplinaire pour l’adoption de sanctions et de propositions de sanctions ; les compléments apportés à la définition de la faute disciplinaire, conformément aux termes de la décision du Conseil constitutionnel du 1er mars 2007.

D’autres dispositions ont été complétées par l’Assemblée nationale sans que soient remises en cause les modifications apportées par le Sénat.

Ainsi, alors que le Sénat avait précisé que les nominations des personnalités qualifiées par le Président de la République ou par les présidents des assemblées devraient concourir à une représentation équilibrée des hommes et des femmes, l’Assemblée nationale a préféré plus simplement imposer la règle de la parité à chacune de ces autorités de nomination.

De même, en matière d’interdiction temporaire d’exercice, l’Assemblée nationale n’est pas revenue sur la suppression de la procédure de référé du premier président de la Cour de cassation ou du procureur général près cette cour.

En revanche, elle a porté de dix jours ouvrables à quinze jours le délai au cours duquel la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature doit prendre une décision ou rendre un avis. Comme ce délai correspond à celui que la commission des lois avait retenu lors de l’examen du texte en première lecture, nous ne saurions nous y opposer.

Enfin, l’Assemblée nationale a confirmé les améliorations apportées par le Sénat au dispositif de la saisine disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables : possibilité de diriger, par exception, la plainte contre un magistrat qui demeure saisi de la procédure, au vu de la nature de cette procédure et de la gravité du manquement évoqué, information du magistrat mis en cause dès que la commission d’admission des requêtes estime la plainte recevable, et possibilité pour cette commission d’entendre le magistrat.

L’Assemblée nationale a complété ces dispositions en adoptant deux amendements du député André Vallini donnant à la commission d’admission des requêtes, lorsqu’elle déclare une plainte recevable, la possibilité d’entendre le justiciable auteur de la saisine.

Restent donc quatre points de divergence entre les deux assemblées.

Le premier porte sur les conditions de nomination du secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature. Le Sénat avait souhaité que celui-ci soit nommé par décret du Président de la République sur proposition conjointe du premier président de la Cour de cassation et du procureur général près cette cour, certes, mais après avis du Conseil, qu’il s’agissait ainsi d’associer à la désignation d’un responsable administratif dont le rôle est appelé à s’accroître.

La commission des lois de l’Assemblée nationale, sur l’initiative de son rapporteur, a supprimé cet avis, considérant, d’une part, que la Constitution ne prévoyait pas la compétence de la réunion de l’ensemble des membres du CSM en la matière, et, d’autre part, qu’un tel avis risquerait de retarder la nomination du secrétaire général. La commission des lois du Sénat vous propose de se ranger à cette argumentation.

Une deuxième divergence concerne les moyens dont disposera le CSM pour assurer le respect des exigences déontologiques applicables à ses membres.

Le Sénat a fait référence, en première lecture, aux obligations d’indépendance, d’impartialité et d’intégrité ; l’Assemblée nationale y a ajouté l’exigence de dignité.

Surtout, l’Assemblée nationale a retiré au président de chacune des formations la compétence que le Sénat leur avait reconnue de prendre les mesures appropriées pour en assurer le respect.

Le rapporteur de l’Assemblée nationale, Philippe Houillon, a en effet considéré que, compte tenu de l’imprécision des termes retenus, cette disposition risquait de susciter davantage de questions qu’elle n’en pourrait résoudre. Si l’objection s’avère sans doute fondée, il n’en reste pas moins que la création d’une obligation doit s’accompagner de la définition d’une procédure de sanction qui garantisse l’effectivité de l’exigence ainsi posée.

La commission des lois du Sénat a donc donné compétence à la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature pour se prononcer à la majorité simple de ses membres, sur saisine du président d’une des formations du Conseil, sur le manquement d’un membre à une de ses obligations déontologiques et pour décider de sa suspension temporaire ou de sa démission d’office.

Il ne reste donc réellement que deux divergences d’importance, l’une portant sur les conditions d’exercice professionnel de l’avocat membre du Conseil supérieur de la magistrature, l’autre sur l’autonomie budgétaire de ce Conseil.

En première lecture, le Sénat avait souhaité écarter tout risque de suspicion quant à l’indépendance de l’avocat appelé à siéger au Conseil supérieur de la magistrature. À cette fin, il avait prévu que, si l’avocat pouvait par exception exercer sa profession, il ne pouvait, pendant la durée de son mandat, ni plaider devant les tribunaux ni agir en conseil juridique d’une partie engagée dans une procédure.

L’Assemblée nationale, sur l’initiative du rapporteur de sa commission des lois, a supprimé ces restrictions, Philippe Houillon jugeant « souhaitable que l'avocat désigné ès qualités puisse continuer à plaider devant les tribunaux et à conseiller des parties à un procès, la seule réserve étant le respect strict de la règle de déport qui est consacrée pour l'ensemble des membres du Conseil supérieur de la magistrature ».

La commission des lois du Sénat ne partage pas cette analyse. Sans qu’elle mette un seul instant en cause la déontologie de l’avocat qui serait nommé non plus que celle du magistrat concerné, il lui semble que le seul fait que le premier – l’avocat – défende une partie devant le second – le magistrat – alors qu’il aura, selon toute probabilité, à se prononcer sur sa carrière pendant son mandat suffira, tout au moins aux yeux de la partie adverse, à jeter un doute sur l’impartialité du jugement qui sera rendu.

Cependant, pour faire droit à la préoccupation exprimée par le rapporteur de l’Assemblée nationale, en vue de mettre l’avocat en mesure d’avoir un exercice professionnel suffisant et pour ne pas risquer de se heurter aux exigences constitutionnelles, la commission, tout en réaffirmant l’interdiction de plaider devant les juridictions judiciaires, n’a pas proposé de rétablir l’interdiction de tenir lieu de conseil juridique d’une partie engagée dans une procédure que le Sénat avait adoptée en première lecture.

L’ultime divergence porte, je l’ai dit, sur l’autonomie budgétaire du Conseil supérieur de la magistrature.

Le Sénat avait adopté en première lecture un article additionnel – l’article 7 bis – au projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution prévoyant que l’autonomie budgétaire du Conseil supérieur de la magistrature serait assurée dans les conditions déterminées par une loi de finances. Il ne faisait là que reprendre les préconisations formulées par notre collègue Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois pour la mission « Justice », qui regrette que, chaque année, les lois de finances successives ne confèrent pas au Conseil supérieur de la magistrature un statut lui assurant une véritable autonomie budgétaire, autonomie qu’exige pourtant, nous semble-t-il, l’importance de ses missions.

La commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté un amendement de son rapporteur supprimant cet article 7 bis, Philippe Houillon considérant que la rédaction retenue par le Sénat constituait une « fausse bonne idée, dans la mesure où elle garantirait moins bien l’autonomie du Conseil supérieur de la magistrature, qui risquerait de voir ses crédits cantonnés, sans possibilité d’évolution ni d’abondement en cas de nécessité, alors que le système actuel permet au contraire beaucoup de souplesse et donc, au bout du compte, plus d’indépendance pour le CSM ».

La commission des lois du Sénat a jugé cependant nécessaire de rétablir son amendement.

On pourrait tout d’abord observer que la fongibilité des crédits au sein d’un même programme peut jouer à la hausse comme à la baisse, mais l’essentiel n’est pas là.

À l’heure actuelle, le responsable du programme « Justice judiciaire », à l’intérieur duquel sont inscrits les crédits de l’institution, est le directeur des services judiciaires, par ailleurs chargé d’établir les propositions de nomination sur lesquelles le Conseil supérieur de la magistrature doit rendre un avis, ce qui, par exemple, représentait en 2008 près de 96 % de son activité en matière de nominations.

Philippe Houillon nous reprochait une « fausse bonne idée », mais ne serait-ce pas une vraie mauvaise idée que de laisser la même autorité à la fois fixer les crédits du Conseil supérieur de la magistrature et solliciter son avis sur les propositions de nomination qu’elle lui soumet ?

Une telle situation paraît en tout cas incompatible à la commission des lois du Sénat avec l’indépendance qui doit être reconnue au Conseil supérieur de la magistrature pour l’exercice de ses missions constitutionnelles, et cela d’autant plus que celles-ci viennent d’être notablement élargies par la dernière révision de notre Constitution.

Enfin, je rappelle que le projet de loi organique adopté par l’Assemblée nationale proroge le mandat des membres actuels du Conseil supérieur de la magistrature jusqu’à l’expiration d’un délai de six mois après la promulgation de la loi organique prise pour l’application de l’article 65 de la Constitution et, au plus tard, jusqu’au 31 janvier 2011.

Tout en faisant miens les propos tenus par notre éminent collègue Patrice Gélard à cette même tribune et en regrettant que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 ne puisse pas encore s’appliquer dans son intégralité – situation qui a valu à notre commission des lois de tenir des réunions assez formelles pour auditer les personnalités choisies pour le Conseil constitutionnel ou pour la présidence de la HALDE –, je ne puis qu’observer que l’état d’avancement des travaux parlementaires rend absolument indispensable la prorogation du mandat des membres du CSM afin d’assurer le renouvellement de cet organe dans la composition qui lui a été donnée par cette révision constitutionnelle.

La commission des lois vous propose donc, mes chers collègues, d’adopter sans modification le projet de loi organique prorogeant le mandat des membres du Conseil supérieur de la magistrature.

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