Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 27 avril 2010 à 14h30
Article 65 de la constitution mandat des membres du conseil supérieur de la magistrature — Discussion d'un projet de loi organique en deuxième lecture et d'un projet de loi organique en procédure accélérée

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Madame la présidente, madame le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, mes chers collègues, les deux textes qui nous sont soumis, l’un en première lecture, l’autre en deuxième lecture, font l’objet d’une discussion commune.

En guise de propos liminaire, permettez-nous de faire part de notre regret qu’il nous faille une fois de plus proroger le mandat d’une autorité constituée en raison d’un retard de calendrier que le Gouvernement ne parvient pas à combler. Je partage les objections que vient de faire notre collègue François Zocchetto sur le retard pris concernant les lois organiques découlant de la révision constitutionnelle.

Nous avions déjà dû, voilà quelques semaines, proroger le mandat du Médiateur de la République dans l’attente de l’entrée en vigueur du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits. Selon un processus similaire, le Gouvernement nous soumet aujourd’hui dans l’urgence un autre projet de loi organique de prorogation, alors que son premier texte avait été déposé en juin dernier sur le bureau du Sénat pour n’être adopté en ces lieux qu’en octobre.

M. le rapporteur avait pourtant déjà attiré votre attention, madame le ministre d’État, en soulignant que, si l’adoption définitive du projet de loi organique n’intervenait pas avant le mois de février 2010, le mandat des membres composant actuellement le Conseil supérieur de la magistrature devrait être prorogé. Peu sensible à cette remarque, vous nous imposez aujourd'hui de voter un projet de loi dans la précipitation, signe d’une certaine conception du travail législatif, peu propice selon nous à la sérénité qui doit présider normalement aux destinées de la justice.

Le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution est un texte important. Il a trait à un sujet sensible : l’indépendance de la justice, pilier de tout État de droit. Il doit permettre à tout justiciable de saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature lorsqu’il s’estime victime d’un comportement arbitraire.

Quelles que soient les appréciations que l’on peut porter sur la révision constitutionnelle – sur ce sujet, notre groupe était partagé –, ce texte va, selon nous, améliorer sur ces deux points la situation antérieure, même si la question du lien entre pouvoir politique et justice demeure en suspens. L’arrêt Medvedyev c/France n’a pas tout réglé et laisse entières d’importantes interrogations, même s’il trace d’intéressantes perspectives.

Madame le ministre d’État, la justice est une institution qui inquiète aujourd’hui nos compatriotes, ceux-ci doutant de son indépendance. Le phénomène n’est pas nouveau. À cet égard, le projet de réforme pénale prévoyant la suppression du juge d’instruction au profit du monopole du parquet en matière de pouvoirs d’enquête ne va pas améliorer la situation. Il nous est d’ailleurs difficile de ne pas juger le texte qui nous est aujourd'hui soumis à l’aune de ce projet de réforme – je souscris aux propos de notre collègue Jean-Pierre Michel sur ce point –, dont on sait qu’il suscite de très fortes réserves, quelles que soient les sensibilités politiques, y compris au sein de la Cour de cassation.

On ne saurait rétablir cette crédibilité par une politique de communication. C’est au contraire par une action pragmatique réalisée au quotidien avec des moyens supplémentaires que pourra être assuré cet équilibre difficile à mettre en œuvre : assurer l’indépendance de la magistrature à laquelle nous sommes tous attachés, éviter les errements du corporatisme – c’est toujours difficile – et garantir le respect du citoyen justiciable, qu’il soit victime ou présumé innocent.

La question de l’autonomie financière, évoquée tout à l’heure, est plus que symbolique en la matière.

Au gré de ses cent vingt-sept ans d’histoire, le Conseil supérieur de la magistrature a connu de nombreuses péripéties. Toutes éclairent avec acuité la conception tangentielle que les pouvoirs successifs, quelle qu’ait été leur sensibilité, se sont faits de l’indépendance de la justice.

Il aura fallu attendre le projet de réforme d’Élisabeth Guigou pour que soit enfin remis en question le double statut du chef de l’État, à la fois garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire et censeur de celle-ci au travers des formations disciplinaires du CSM qu’il présidait. Même si ce projet ne put être adopté pour les raisons que nous connaissons, ses principes ont continué à faire leur chemin.

L’affaire d’Outreau fut un traumatisant révélateur des dysfonctionnements accumulés durant des décennies. On mit beaucoup de conviction pour nous assurer que s’était enfin achevé le temps où le politique se mêlait de l’indépendance du pouvoir judiciaire. L’article 65 de la Constitution ne fait néanmoins pas disparaître la tutelle du politique sur un Conseil devenu non paritaire. La mise en minorité des magistrats, en particulier, pose un problème dans la mesure où de nombreux instruments internationaux recommandent précisément cette parité.

Le fait que le Conseil supérieur de la magistrature ne fasse que donner son avis sur les nominations des membres du parquet jette le trouble sur l’utilité même de cet avis. Nombre de précédents connus montrent combien la notion d’avis est toute relative dans sa portée même.

En toute hypothèse, les deux objectifs du nouvel article 65 – renforcer l’indépendance de la justice et garantir l’impartialité du Conseil – rencontrent bien sûr notre pleine approbation.

Le texte détermine les modalités pratiques de désignation, de vacance ou encore d’incompatibilité des membres des deux formations compétentes à l’égard des magistrats du siège et du parquet. Un désaccord demeure entre les deux chambres sur l’interdiction d’exercer qui frappe l’avocat membre du Conseil. Comme en première lecture, nous nous réjouissons de la position de fermeté de la commission des lois du Sénat, qui a rétabli cette interdiction, à l’heure où l’exemplarité déontologique doit d’abord venir des plus hautes autorités. Quoi qu’il en soit, il est bon d’obliger l’avocat membre du Conseil supérieur de la magistrature de s’abstenir de plaider ou de tenir le rôle de conseil juridique pour une partie engagée dans une procédure. On mesure d’autant plus le risque d’atteinte à l’impartialité lorsque l’on sait qu’un membre de la formation compétente à l’égard des magistrats du siège est amené en quatre années à examiner la situation de quasiment l’ensemble des magistrats !

Le projet de loi organique tire également les leçons de l’affaire d’Outreau en réformant en partie le système disciplinaire des magistrats et en ouvrant un droit de saisine à tout justiciable qui s’estimerait lésé par le comportement d’un magistrat. Un filtrage administratif préalable des requêtes a été mis en place. Cependant, l’engagement de poursuites disciplinaires sera un exercice difficile puisqu’il sera subordonné à la constatation d’une violation par une décision de justice devenue définitive. L’équilibre entre protection du justiciable et protection de l’office du juge sera difficile à ménager.

Les réserves que nous avions formulées en première lecture quant à l’article 18 demeurent. D’une part, le délai d’un an après la fin de la procédure octroyé à tout justiciable pour saisir le Conseil supérieur de la magistrature nous paraît trop bref. D’autre part, nous aurions souhaité que l’on nous précise ce qu’est une « décision irrévocable mettant fin à la procédure » et en quoi elle se distingue de la décision judiciaire passée en force de chose jugée. À cet égard, je pense notamment aux requêtes en révision.

Enfin, madame le ministre d’État, nous réitérons nos interrogations sur l’éligibilité à l’aide juridictionnelle des plaignants introduisant une procédure devant le Conseil. Vous jugiez en octobre dernier que la simplicité de la procédure ne justifierait guère en pratique l’intervention d’un avocat. Nous aurons donc des justiciables démunis, venant se plaindre d’un juge devant le CSM, mais qui n’auront pas besoin d’un conseil, surtout s’ils sont démunis financièrement et désarmés techniquement… Quelle singulière conception de l’accès à la justice, plus difficile encore pour ceux qui ont le moins de moyens !

Sur le fondement de ces quelques observations, les membres du groupe du RDSE voteront comme en première lecture, la très grande majorité s’abstenant, les autres approuvant le projet de loi organique relatif à l’article 65 de la Constitution. Ma collègue Anne-Marie Escoffier précisera notre position sur le second texte.

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