Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 27 avril 2010 à 14h30
Article 65 de la constitution mandat des membres du conseil supérieur de la magistrature — Article 4

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur :

C’est l’un des points sur lesquels le Gouvernement et la commission ne sont pas totalement en harmonie.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire en première lecture, il est extrêmement important que la justice non seulement soit juste, mais également qu’elle présente toutes les apparences de la justice et de l’impartialité. Or une hypothèse me gêne : un avocat, membre du Conseil supérieur de la magistrature, pourrait être amené à plaider devant un magistrat alors qu’il devrait se prononcer sur la carrière de ce dernier dans le cadre de ses compétences en matière de nomination.

Je rappelle que les membres du Conseil supérieur de la magistrature ont à connaître d’environ 8 000 situations, ce nombre correspondant à celui de l’ensemble des magistrats. Toujours dans l’optique de cette apparence de justice, je me mets à la place du client de l’avocat non membre du CSM, qui verra son adversaire défendu par un membre de cette instance plaidant devant un magistrat sur la carrière duquel il aura à se prononcer. Il aura toujours l’impression, même si c’est totalement faux, que la justice n’a pas été rendue de façon totalement impartiale.

J’ai été très attentif aux propos de Mme Klès selon qui, pour un citoyen lambda, le Conseil supérieur de la magistrature est le juge des juges et doit, par conséquent, être au-dessus de tout soupçon. Dans l’hypothèse visée, ce ne serait plus le cas.

S’agissant de la juridiction administrative, la situation est différente puisque l’avocat membre du CSM ne sera jamais amené à se prononcer sur la carrière d’un magistrat administratif. Et ce n’est pas faire offense aux magistrats administratifs, car l’époque est révolue où un Premier ministre pouvait dire qu’il n’y a pas de magistrature administrative, mais seulement des fonctionnaires qui exercent le métier de juge.

Les autres arguments avancés n’emportent pas non plus ma conviction.

Quelle est l’exigence constitutionnelle ? La désignation d’un avocat. Elle est satisfaite dès lors que le titulaire du poste a bien cette qualité au jour de sa désignation et ne la perd pas au cours de son mandat.

La désignation d’un avocat honoraire n’est pas obligatoire mais elle est possible au sein du CSM. À titre de comparaison, nul ne conteste la légitimité à siéger au Conseil supérieur de la magistrature de magistrats qui auraient demandé un détachement ou une décharge partielle d’activité. Ils n’en resteraient pas moins magistrats.

La situation a souvent également été comparée à celle du ministère public. Certains ont relevé qu’un magistrat du parquet membre du Conseil supérieur de la magistrature pouvait aussi être partie à l’instance. Mais le cas d’un tel magistrat, intervenant au nom de l’intérêt général, représentant de la société, me paraît radicalement différent de celui d’un avocat – j’ai le plus grand respect pour cette profession – au service de son client qui le rémunère.

Le risque d’inconstitutionnalité soulevé ne m’a donc pas convaincu.

Au demeurant, d’autres risques existent. Si l’on permet à l’avocat de plaider, les parties risquent d’intenter une procédure de récusation du juge. Des recours pourraient être déposés devant la Cour européenne des droits de l’homme en vertu du droit à un procès équitable et de l’impartialité de la justice.

La commission des lois du Sénat, sans se rallier à la position de l’Assemblée nationale, n’a cependant pas voulu en faire fi. Elle a essayé de retenir une juste mesure en permettant à l’avocat d’exercer l’essentiel de sa profession tout en ne heurtant pas de front le principe de l’impartialité.

Certains soutiennent que l’avocat choisi peut souhaiter continuer à exercer l’intégralité de ses fonctions. Mais il va être membre de la formation du siège, de la formation du parquet, de la formation plénière. Or – pardonnez-moi, mes chers collègues, cette remarque un peu terre à terre – il percevra au titre de l’exercice de son mandat une certaine indemnité, certes pas excessivement élevée mais égale, voire supérieure, à celle d’un humble parlementaire. Si cet avocat ne peut pas exercer pleinement sa fonction d’avocat, ce sera la conséquence du choix qu’il aura fait d’être membre du Conseil supérieur de la magistrature.

Madame le ministre d’État, j’en suis navré, mais la commission émet un avis défavorable.

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