Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits budgétaires pour l’année 2011 de la mission « Immigration, asile et intégration » s’inscrit dans un contexte politique et législatif singulier. Ce dernier donnera à notre débat, je l'espère, une tonalité moins convenue que celle qui caractérise parfois l’examen des missions budgétaires.
La suppression du ministère de l’immigration, ajoutée à l’abandon de l’intitulé « identité nationale », pourrait être annonciatrice d’une évolution dans la façon dont le Gouvernement appréhende les questions liées aux migrations et à l’intégration.
Toutefois, sans préjuger de nos débats sur le projet de loi à venir, le Gouvernement semble vouloir poursuivre la même politique, une politique que, pour ma part, je juge stigmatisante, déséquilibrée et contraire à notre tradition en matière de droits de l’homme.
Les résultats, en termes de facilitation de la circulation ou d’intégration, demeurent peu perceptibles.
J’évoquais à l’instant le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. L’examen des crédits de cette mission ne pourra s’affranchir de ce contexte législatif.
Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » s’élèvent à 563, 8 millions d’euros en crédits de paiement – en baisse de 0, 2 % – et à 561, 5 millions d'euros en autorisations d’engagement – en augmentation de 0, 7 %.
Cette quasi-stabilité des crédits doit, en raison du caractère transversal de la politique d’immigration, être mise en regard des évolutions que connaissent d’autres missions intervenant en cette matière.
Ainsi, les missions « Culture », «Travail et emploi » et « Aide publique au développement » voient leurs crédits nettement reculer, respectivement de 11, 7 %, 14, 5 % et 15, 4 %.
En outre, la quasi-stabilité des crédits de la mission masque d’importantes disparités au sein de cette dernière. Certaines actions, parmi les plus vitales, connaissent des baisses marquées. C’est sur elles que je centrerai mon propos.
J’évoquerai tout d’abord l’asile.
Le soutien aux demandeurs d’asile rassemble à lui seul plus de la moitié – 58, 4 % – des crédits de la mission. Ce pourcentage traduit la tradition séculaire d’accueil et de protection de la France pour les femmes et les hommes qui sont menacés dans leur pays du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur combat pour la démocratie et les libertés. Le Gouvernement revendique souvent cette tradition d’accueil de la France, qui reste la première terre d’asile en Europe.
Comment, dès lors, expliquer ce sentiment profond que l’on éprouve d’une image aujourd’hui écornée de la politique française de l’asile ?
Récemment, la France a accueilli 36 Irakiens blessés dans l’attaque de la cathédrale syriaque de Bagdad. La minorité chrétienne d’Irak est la cible de nombreuses persécutions. La décision de notre pays d’accueillir ces réfugiés était une réponse nécessaire, une exigence morale.
Toutefois, peut-on ignorer que l’humanité montrée aujourd’hui succède à l’intransigeance manifestée hier ? Le refus du gouvernement français de mettre en œuvre, au bénéfice des réfugiés afghans, le dispositif de protection temporaire, ajouté à l’expulsion par charters de nombre de ces derniers, en dépit des menaces qui pouvaient peser sur eux, crée, chez beaucoup d’entre nous, le sentiment d’une compassion à deux vitesses.
Que ce soit le même ministre, M. Éric Besson, qui ait décidé l’une et l’autre mesures nous conforte dans ce sentiment désagréable que la France opère un tri entre les victimes des désordres du monde. Or telle n’est pas la tradition française de l’asile, selon laquelle l’unique souci doit être l’accueil et la protection des réfugiés. La prise en compte des motifs de persécution, de la race, de la religion ou de la nationalité constituerait une rupture avec cette tradition.
Plus préoccupantes encore sont les conditions pratiques d’exercice du droit d’asile, qui se dégradent. Le Gouvernement admet la nécessité d’un effort important, mais il ne parvient pas à sortir de la logique de sous-évaluation des crédits liés à l’accueil et au soutien des demandeurs d’asile.
Je suis bien consciente de la difficulté que représente pour un gouvernement l’adaptation de nos dispositifs à des demandes d’asile dont il est compliqué d’anticiper le nombre. Toutefois, une politique ainsi menée par « à-coups » n’est pas à la hauteur d’un pays qui, comme la France, revendique haut et fort sa tradition d’accueil.
Depuis 1998, des efforts notables ont été réalisés, du fait de la forte croissance de la demande d’asile entre 1997 et 2003. Ainsi, les places dans les CADA ont été multipliées par six depuis 1998. Il n’empêche que le dispositif national d’hébergement se trouve aujourd’hui saturé.
Des places sont ouvertes chaque année, mais elles sont insuffisantes dans un contexte d’augmentation ininterrompue du nombre des demandeurs d’asile. Contraints à une obligation légale de domiciliation, ceux-ci se retrouvent dans l’impossibilité d’entamer leur démarche et se voient, de ce fait, privés de l’exercice effectif de leur droit. Quelles initiatives entendez-vous prendre, monsieur le ministre, pour renforcer le dispositif de domiciliation et, ainsi, garantir l’effectivité du droit d’asile ?
Les délais de traitement des demandes constituent l’autre grand chantier des dispositifs de soutien et d’accueil des réfugiés. La durée d’examen des dossiers par l’OFPRA a connu une très forte inflation ces deux dernières années, du fait du nombre croissant des demandeurs d’asile et d’un déficit de personnels.
Le délai moyen de traitement d’un dossier était de 100 jours en 2008. Il est aujourd’hui de 135 jours. Une dotation de 1, 5 million d’euros permettra de recruter trente contractuels pour une période de dix-huit mois. Sans doute ce renforcement des personnels permettra-t-il à l’opérateur de faire cesser l’allongement des durées d’instruction. Néanmoins, suffira-t-il à enclencher une baisse des délais telle que celle que le Gouvernement envisage ? J’en doute !
S’agissant de la politique de l’éloignement, je regrette que l’évaluation de son coût soit encore si difficile. Le travail accompli par M. le rapporteur spécial lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2009 avait, de ce point de vue, apporté une intéressante contribution.
Des difficultés persistent, qui sont liées, notamment, à l’évaluation complexe du coût des interpellations et des gardes à vue réalisées dans le cadre de la lutte contre l’immigration irrégulière. La réunion de ces missions au sein du seul ministère de l’intérieur devrait permettre d’améliorer l’évaluation du coût de l’éloignement forcé.
Il n’en demeure pas moins que les crédits relatifs à la lutte contre l’immigration irrégulière connaissent une baisse de 10, 6 % en autorisations d’engagement et de 3, 4 % en crédits de paiement.
Monsieur le rapporteur spécial, vous indiquez que cette contraction résulterait de la baisse du coût de la billetterie. Pourtant, si j’en crois les documents budgétaires qui sont à ma disposition, l’évaluation des frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière a été opérée sur une prévision stable de retours forcés, pour un coût moyen lui-même constant. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur ce point précis ?
J’en viens aux crédits d’investissement consacrés aux centres de rétention administrative. Ceux-ci s’élevaient à 24 millions d’euros en 2010. Pour 2011, ils sont de 15, 9 millions d’euros, dont près de 9 millions d’euros seront mobilisés pour le seul centre de Mayotte. En dépit d’un nombre de places à la hausse, les CRA d’Île-de-France font face à un phénomène de saturation que l’augmentation des durées de rétention souhaitée par le Gouvernement viendra encore amplifier. Je plaide là non pas pour l’augmentation du nombre de centres de rétention administrative, mais bien pour une politique plus mesurée de la rétention.
Je souhaite, enfin, aborder la question de l’intégration des migrants.
Globalement, le programme 303 connaît un repli de ses crédits de 8, 1 % et l’action Intégration des étrangers en situation régulière une baisse plus importante, de 13, 1 %. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler ces chiffres à quelques semaines de l’examen d’un projet de loi dont l’exposé des motifs précise que son « premier objet » est de « renforcer l’intégration des immigrés qui entrent et séjournent sur le territoire national ».
Dans ce contexte, la subvention pour charges de service public versée à l’OFII reste stable, mais les projets de lois successifs ont tellement gonflé le nombre des missions qui sont affectées à cet opérateur que je suis plus que sceptique sur sa capacité à les remplir efficacement à budget constant.
Monsieur le ministre, une politique de l’immigration et de l’asile se juge non pas seulement aux moyens budgétaires qui lui sont consacrés, mais aussi, et bien plus sûrement, à la pensée qui l’inspire. Or nous n’approuvons ni la philosophie ni les moyens de votre politique en la matière. Pour les objectifs auxquels nous pouvons souscrire, c'est-à-dire la facilitation de la circulation des migrants et l’amélioration de l’accueil des réfugiés et des migrants réguliers, les moyens de cette mission ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Pour ces raisons, notre groupe votera contre les crédits de cette mission.