Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu du temps qui m’est imparti, j’aborderai les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » en insistant plus particulièrement sur le thème de l’asile.
En effet, si l’on s’en tenait aux annonces grandiloquentes faites à propos des crédits de cette mission, on pourrait croire, bien que ce soit surprenant, que le Gouvernement a été pris d’un élan de solidarité envers les demandeurs d’asile...
Mais nous ne sommes pas dupes.
Nous sommes au contraire bien éclairés par les positions successives que vous avez prises en la matière, monsieur le ministre. Elles sont édifiantes et ne sauraient rien cacher.
Les crédits alloués pour 2011 au titre de la mission atteignent 563, 8 millions d’euros en autorisations d’engagement et 561, 5 millions d’euros en crédits de paiement. On peut observer une légère diminution de ces masses par rapport aux crédits initiaux pour 2010.
Les auteurs des rapports nous expliquent que l’augmentation de 0, 73 % des moyens de la mission en crédits de paiement est rendue nécessaire par la hausse du nombre de demandeurs d’asile. Une telle réponse à cette hausse aurait été louable et nous l’aurions assurément appréciée, monsieur le ministre, si vous aviez su redonner du sens au droit d’asile et si votre majorité n’avait pas eu un certain passif en la matière.
À cet égard, certaines vérités sont bonnes à rappeler. Pour mémoire, c’est Nicolas Sarkozy qui, en 2003, jugeant l’état du droit trop « laxiste » dans ce domaine, avait fait adopter une réforme du droit d’asile au contenu révélateur. Cette réforme partait du postulat qu’une majorité des demandes n’étaient pas fondées et que la plupart des personnes qui prétendaient au statut de réfugié n’étaient que des migrants économiques.
Il en est résulté la mise en place d’un arsenal juridique visant à écarter les prétendus « faux demandeurs », arsenal qui n’a cessé de se renforcer depuis ce moment, alors que, je le rappelle, toute demande d’asile se présente d’abord et avant tout comme un drame humain.
Si la confusion que vous entretenez depuis des années entre asile et immigration n’était pas si patente, si les considérations sécuritaires ne prévalaient pas, depuis quelque temps, sur l’exigence de protection des réfugiés et si vos idées délétères ne portaient pas préjudice à l’exercice du droit d’asile en provoquant un climat de suspicion généralisée à l’encontre des demandeurs, nous aurions certainement pu vous croire.
J’ajouterai que le texte sur l’immigration, l’intégration et la nationalité, que nous nous apprêtons à examiner ici même en janvier 2011, n’arrange rien à cet état de fait. Au contraire, il l’aggrave ; mais nous en reparlerons le moment venu.
Pour en revenir plus précisément à la question de l’asile, alors que la dotation destinée au fonctionnement des CADA s’élevait à 202, 63 millions d’euros en loi de finances pour 2010, elle tombe à 199 millions d’euros, alors même qu’elle finance 1000 places supplémentaires en année pleine. Le prix d’une journée passe ainsi de 26, 20 euros en loi de finances initiale pour 2010 à 25, 13 euros en projet de loi de finances pour 2011.
À ce propos, je rappelle que le prix d’une place en CADA est ventilé entre le logement des demandeurs d’asile, à hauteur de 30 %, l’allocation mensuelle de subsistance, à hauteur de 15 % et les personnels, à hauteur de 38 %. Ainsi, cette prétendue augmentation du budget des CADA de 3, 6 % est purement artificielle.
Surtout, elle ne cache pas le processus largement engagé de criminalisation des étrangers et de culpabilisation des demandeurs d’asile. Pourtant, qu’il s’agisse de la Cour européenne des droits de l’homme, des instances onusiennes de protection des droits humains ou des organes du Conseil de l’Europe, tous recommandent unanimement à la France de remédier à l’absence de recours suspensif devant la Cour nationale du droit d’asile en procédure prioritaire.
La Cour européenne des droits de l’homme est actuellement saisie de sept requêtes dirigées contre le France. Chacune d’entre elles se fonde sur l’absence de recours suspensif devant la Cour nationale du droit d’asile en violation des articles 3 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le Comité contre la torture des Nations unies s’est montré préoccupé de ce que 22 % des demandes d’asile présentées en 2009 auraient été traitées sous l’angle de la procédure prioritaire, qui n’offre pas de recours suspensif. Le Comité concluait en affirmant qu’il n’était pas convaincu que la procédure prioritaire offre des garanties suffisantes contre un éloignement emportant un risque de torture. À vrai dire, nous sommes également loin de l’être…
De telles condamnations, qui s’ajoutent à celles qui sont intervenues récemment à propos du sort que vous entendez réserver aux Roms, pèsent lourdement sur notre République, à laquelle vous promettez d’ailleurs un sort tout aussi inquiétant.
Pourtant, vous nous rétorquez bien souvent avec aisance que nous devons répondre aux exigences posées par l’Union européenne ; elle a bon dos, l’Union européenne !
Aussi ne peut-on que constater que, si vous appliquez les directives avec beaucoup de zèle, vous ne tenez que rarement compte des décisions de la CEDH ou des injonctions trop humaines qui émanent des instances communautaires. La preuve en est que le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité va bien au-delà de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite « directive retour » ; mais nous aurons l’occasion d’en discuter dès le début de l’année prochaine.
Depuis quelque temps, des contentieux naissent ici ou là sur la question des empreintes digitales des demandeurs d’asile. Les préfectures considèrent en effet de plus en plus qu’elles sont volontairement altérées par ces derniers aux fins de contourner le règlement Dublin II. Sur la base de ces arguments, les personnes se voient refuser l’admission provisoire au titre de l’asile. Dans certains cas, les préfets associent à ce refus de séjour une OQTF, une obligation de quitter le territoire français, et s’abstiennent de mettre les personnes en mesure de saisir l’OFPRA de leur demande d’asile...
Or ces pratiques sont illégales, et ce pour deux raisons. D’abord, il n’est pas démontré que les personnes concernées entendent induire l’autorité en erreur. Ensuite, force est de constater que, de plus en plus souvent, les demandeurs font l’objet d’une notification d’OQTF sans saisine de l’OFPRA, ce qui les prive de tout exercice du droit d’asile et les expose à un refoulement certain.
Ces pratiques ne sont en fait qu’une application anticipée de l’article 75 du projet de loi sur l’immigration, c’est-à-dire d’un texte que le Parlement n’a même pas fini d’examiner. Mais peut-être n’êtes-vous pas au courant, monsieur le ministre...
Si l’augmentation des crédits alloués à la mission « Immigration, asile et intégration » doit servir à la mise en œuvre de telles dispositions, autant vous dire que notre déception est aussi grande que notre détermination à combattre ce que nous appelons la « xénophobie d’État ».
Mes chers collègues, vous aurez donc compris que, en leur âme et conscience, les sénateurs du groupe CRC-SPG ne peuvent voter les crédits de cette mission. §