Selon ce même article, nous sommes passés de 6 % de naissances hors mariage à 50 % en quarante ans : telle est la rapidité et l'importance de l'évolution !
S'agissant du droit de la filiation, il se caractérisait, avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance, par une complexité qui le rendait souvent inintelligible pour un non-juriste comme moi - et c'est encore le cas aujourd'hui. Je pense par exemple au tableau des règles de contestation en matière de filiation figurant dans le rapport, qui laisse absolument rêveur !
En effet, le droit de la filiation reposait sur la distinction entre la filiation légitime, fondée sur le mariage, et la filiation naturelle, liée à la naissance hors mariage, avec des règles d'établissement et de contestation différentes. La préférence donnée à la famille fondée sur le mariage par le code civil de 1804, qui correspondait encore à la conception générale il y a quelque temps, s'était traduite par l'établissement d'une hiérarchie entre les enfants. L'enfant naturel simple né de parents tous deux célibataires avait des droits inférieurs à ceux de l'enfant légitime né de parents mariés entre eux, à l'église et devant M. le maire, tandis qu'était interdit l'établissement de la filiation des enfants adultérins ou incestueux.
Cette hiérarchie entre enfants naturels et enfants légitimes a été progressivement abolie. Ainsi, la loi du 3 janvier 1972 sur la filiation a marqué une première étape dans ce processus en posant le principe de l'égalité des filiations et en permettant l'établissement de la filiation adultérine à l'égard du parent marié.
Le gouvernement de Lionel Jospin, avec la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, a mis fin à toute différence de traitement entre enfants naturels simples et enfants adultérins, en supprimant les différentes dispositions du code civil qui organisaient cette discrimination.
Enfin, la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale a posé le principe selon lequel tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et leur mère. Ils entrent dans la famille de chacun d'eux.
Du fait de cette égalisation des droits des enfants, la distinction entre filiation légitime et filiation naturelle devenait sans objet.
Par ailleurs, la différence de traitement entre la femme non mariée et la femme mariée pour l'établissement non contentieux de la filiation maternelle s'était avérée contraire à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De plus, les conditions d'établissement de la possession d'état n'étaient pas suffisamment encadrées.
Le dispositif qui a été retenu par le Gouvernement au travers de l'ordonnance est conforme aux objectifs que nous nous étions fixés. Ainsi, sont rappelés le principe d'égalité entre enfants et l'interdiction d'établir un double lien de filiation en cas d'inceste absolu, encore que l'on puisse penser qu'il faille réfléchir plus avant sur ce point, car on peut se demander si, dans certaines hypothèses, cette interdiction de la double filiation en cas d'inceste est une bonne ou une mauvaise chose. §
En effet, c'est une façon de jeter un voile hypocrite sur ce qui est une réalité. Certes, il s'agit là d'un tabou absolu dans la société, mais un article paru dans l'édition de samedi dernier du Parisien révèle que deux jumeaux britanniques, un frère et une soeur, séparés à la naissance et élevés par des familles adoptives différentes, se sont mariés sans connaître leur lien de parenté, un juge de la High Court ayant ensuite prononcé la nullité de cette union. C'est là, heureusement d'ailleurs, un cas un peu particulier, je le reconnais, mais je pense qu'il y a une réflexion à mener sur ce point.
S'agissant des preuves et de la présomption de la filiation, l'ordonnance visait à une plus grande sécurité juridique et n'a pas changé les règles relatives à l'assistance médicale et à la procréation.
En revanche, pour ce qui est de la dévolution du nom de famille, on peut regretter que des difficultés persistent. Je me réjouis, à cet égard, du dépôt par M le rapporteur d'un amendement tendant à les résoudre ; j'espère que nous l'adopterons.
L'ordonnance a également unifié les conditions d'établissement de la filiation maternelle et maintenu la présomption de paternité du mari. S'agissant de l'établissement de la filiation, je me félicite de ce qu'ait été retenu le mode d'établissement par la possession d'état, encadré par des règles de sécurité plus strictes.
Enfin, en ce qui concerne le régime des actions en justice relatives à la filiation, je constate qu'un équilibre a été trouvé entre la composante biologique et la composante affective ou sociale qui fondent le lien de filiation, la difficulté étant de ne pas verser dans le « tout biologique ». C'est là une tendance assez naturelle : on pense que, par l'établissement d'un test, on résout les problèmes, or nous savons tous qu'un enfant c'est d'abord de l'amour. Quelqu'un qui s'occupe au quotidien d'un enfant mérite tout autant le titre de père ou de mère que son parent biologique, notamment au regard de la possession d'état.
Par ailleurs, M. de Richemont a présenté, à la fin de son rapport, un certain nombre de pistes de réflexion pour l'avenir. Je suis d'accord avec lui s'agissant, en particulier, du régime de l'accouchement sous X ou de la maternité pour autrui. Celle-ci est aujourd'hui prohibée en France, mais on sait qu'il suffit de franchir la frontière pour trouver des officines qui la proposent dans des conditions discutables. Que fait-on à cet égard ?
M. le rapporteur a en outre évoqué la question des reconnaissances prénatales. De manière générale, c'est probablement une bonne chose. On peut imaginer que, dans la très grande majorité des cas, c'est le fait d'un conjoint qui vit avec la future mère et veut clarifier les choses.