Quand, voilà un peu moins d’un an, j’ai voté la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, ce fut certes avec quelques réserves, mais les débats que nous avions eus laissaient espérer une meilleure appréhension de l’agriculture, et notamment de ses enjeux stratégiques.
Certains avaient alors marqué à l’égard de la contractualisation des suspicions qui, aujourd’hui, s’avèrent plus que légitimes. Je dirai même que la situation résultant des premiers mois de contractualisation est dramatique pour le secteur laitier et me fait pratiquement regretter d’avoir voté ces dispositions.
Monsieur le ministre, vous avez fait le pari que la contractualisation était un moyen de régulation. Or, à ce stade, on peut considérer que ce pari est perdu.
Je vous ai écrit au sujet des difficultés rencontrées par les producteurs, des clauses abusives et des pressions qu’ils subissaient. Avant le mois d’avril, je vous ai demandé un report des délais pour la mise en place de la contractualisation.
On légifère sur des principes, et leur application met en lumière certains décalages avec les réalités et les attentes des producteurs sur le terrain.
Errare humanum est, persevare diabolicum… Aujourd'hui, nous en sommes là !
Puisque rien n’est obligatoire avant l’élaboration d’une réglementation européenne en 2015, pourquoi tant de hâte ?
Monsieur le ministre, au cours des débats, vous nous aviez expliqué que vous souhaitiez que la France soit en tête de la politique de contractualisation et entraîne derrière elle les autres pays européens.
Un étudiant médiocre de première année de droit vous dirait que le contrat est fondé sur le consentement libre et éclairé et sur la détermination de la chose et du prix, pour peu que celui-ci soit au moins déterminable.
Le consentement, pièce maîtresse de notre droit des contrats, est violé en permanence par des clauses abusives dans les contrats proposés aux producteurs de lait et par la disparité entre les cocontractants. Des contrats types contiennent de multiples clauses abusives.
Certes, l’interprofession a publié un guide des bonnes pratiques contractuelles, dont la finalité est de « faciliter l’écriture des propositions de contrat », et va mettre en place une commission interprofessionnelle des pratiques qui donnera des avis sur toutes les questions relatives au contrat. Toutefois, ces structures n’ont pas une réactivité suffisante et, tout comme le médiateur institué par vos services, ne disposent d’aucun pouvoir de police.
En effet, les premiers retours du terrain relatifs à la contractualisation, un peu plus d’un mois après l’entrée en vigueur de l’obligation dont elle fait l’objet, me laissent peu enthousiaste. J’ai reçu nombre de témoignages d’agriculteurs dans le doute, soumis à la pression de coopératives, redoutant la dépendance économique vis-à-vis des entreprises laitières, d’autant que le contrat ne peut garantir le prix.
Le site de l’APLI, l’Association des producteurs de lait indépendants, recense de multiples exemples de clauses abusives. Ainsi, à l’occasion de la campagne 2010-2011, les producteurs appliquent le double quota, qui constitue un véritable scandale. De quoi s’agit-il ?
Une partie du lait – volume B – est payée en fonction des cours du beurre et de la poudre, produits industriels échangés sur le marché mondial. L’autre partie – volume A –continue d’être rémunérée selon les indicateurs des accords interprofessionnels des mois de juin 2009 et d’août 2010, dont fait partie l’indicateur de flexibilité, qui est le reflet de la stratégie de l’entreprise au regard des produits industriels. Avec un renforcement de l’alignement des prix A et B sur le marché mondial, les producteurs perdent de plus en plus de visibilité sur leur revenu et sur l’orientation de leur système de production.
De plus, comment être sûr que des entreprises ne s’autoriseront pas à « ajuster » le prix du volume B à la baisse en cas de progression des cours mondiaux ?
Nous devons exiger une maîtrise publique et collective des volumes pour garantir stabilité et pérennité des systèmes de production laitière en Europe.
Il faut aussi empêcher que la filière laitière devienne une filière intégrée, dans laquelle le producteur n’aurait plus le choix de son collecteur. À cette fin, il convient de porter une attention particulière aux clauses qui pourraient représenter une forme d’intégration, faisant des éleveurs les salariés pauvres d’une industrie riche, alors même que c’est d’eux que dépend la qualité du lait.
La coopérative ne saurait, par ailleurs, être reconnue comme une organisation de producteurs.
Prenons l’exemple d’un grand industriel du lait. Pour lui, le contrat constitue un enjeu de pouvoir. Les producteurs sont invités à se rassembler au sein de groupements de producteurs, héritiers des actuels groupements de livreurs, et à signer un contrat. Ces groupements de producteurs réfléchissent à une fusion à l’échelle de l’Ouest pour évoluer vers une organisation de producteurs. Cette dernière sera garante du contrat collectif passé entre les producteurs et l’entreprise, contrat qui sera validé dans les prochains mois.
L’industriel dissuade les éleveurs de se rassembler en organisation de producteurs à vocation commerciale. Un leader européen du fromage ne cache pas son intention, si un tel cas de figure se présentait, de se montrer implacable dans les négociations commerciales et de fermer le robinet des achats de lait quand bon lui semble.
Il s’agit bien, monsieur le ministre, d’un abus de position dominante !
Comme un certain nombre de mes collègues, je formulerai des propositions, tendant par exemple à prévoir une clause de résiliation et de non-renouvellement des contrats. À cet égard, nous suggérerons d’instaurer notamment une « dissymétrie » en faveur du plus faible, le respect de la liberté d’initiative du producteur de s’associer ou de sortir d’une association, de transmettre son exploitation ou d’en changer la nature juridique.
La capacité de celui qui s’engage aujourd’hui est aussi importante.
La branche laitière de la FNSEA – fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles – prône une organisation collective et économique des producteurs au motif que la massification de l’offre est un élément stratégique du rééquilibrage du rapport de force entre les producteurs et les transformateurs. En effet, aujourd'hui on compte en France 85 000 producteurs de lait pour 540 entreprises de collecte.
Seulement, il se trouve que l’obligation de contractualisation a précédé, dans le calendrier, les dispositions réglementaires relatives aux organisations de producteurs. Or les producteurs de lait se voient fortement incités, voire contraints à signer des contrats avec des coopératives alors même que les organisations de producteurs ne sont pas encore concrétisées.
Nous avons mis, monsieur le ministre, la charrue avant les bœufs !
Inutile de vous décrire les chantages ou les pressions exercés par les coopératives, qui ne voient pas d’un bon œil se regrouper les producteurs !
Ce décalage est d’autant plus préjudiciable que la durée des contrats, qui n’est pas négligeable – cinq ans –, lie le producteur et l’empêche d’adhérer à une organisation de producteurs concurrente.
Il existe donc un problème manifeste de calendrier dans la mise en œuvre de ces contrats qui rend plus compliqué la tâche de l’interprofession pour mener ces deux actions de structuration de front.
Il faut laisser le temps aux producteurs de s’organiser avant de contracter. Toutes les organisations doivent être consultées : l’APLI, la Confédération paysanne, la Coordination rurale...
J’espère, monsieur le ministre, que vous saurez être vigilant et vous montrer ferme à l’égard des acheteurs qui exercent des pressions pour que les producteurs signent des contrats qui sont manifestement déséquilibrés. Il convient de protéger ces professionnels.
De même, j’espère que vous entendrez l’appel des nombreux représentants des producteurs qui appellent à ne pas signer individuellement des contrats avant que la sécurité juridique – car c’est bien de cela qu’il s’agit – et l’équité des relations soient établies.
Vous le savez, la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur dès que l’on est convenu de la chose et du prix. Or, dans les contrats actuels, ni le prix ni les volumes ne sont garantis.
La jurisprudence et la loi n’ont cessé de prôner la défense du plus faible des cocontractants ; aujourd'hui, ce n’est pas le cas.
La question du prix, parce que celui-ci détermine la rémunération du producteur, reste un élément central du contrat. Là encore, sur le papier, l’intention est bonne, mais, dans la réalité, l’effet de la contractualisation sur les prix est plus modéré : à partir du moment où le contrat est obligatoire, les laiteries conservent une position dominante dans les relations contractuelles et sont donc mieux armées pour fixer le prix d’achat du lait.
Aujourd'hui, la problématique à laquelle sont confrontés les producteurs concerne la défense du niveau du prix du lait. Je suis sûre que de nombreux autres orateurs évoqueront ce sujet.
Il est nécessaire que le prix du lait ne soit pas seulement aligné sur des cours ou déterminé en fonction des quotas, mais qu’il soit aussi fixé en fonction du prix de revient.
Hier, les producteurs recevaient 50 % du prix du lait le mois de la traite et, ensuite, le reste. Aujourd’hui, rien ne leur est remis le mois de la traite et le montant qui leur est versé l’est en deux fois le mois suivant ! Combien de temps les agriculteurs vont-ils continuer à être les banquiers des transformateurs ?
Le texte en vigueur conduit à ce que le niveau du prix dépende de la capacité des producteurs de lait à s’organiser. Or, à ce jour, ils ne sont pas organisés.
Le contrat n’apporte de garantie ni sur les volumes ni sur les prix.
Un système dans lequel les producteurs gèrent la production avant la transformation : là est la solution. Or nous en sommes loin ! Je sais, monsieur le ministre, que vous n’approuvez pas un tel mécanisme. C’est pourtant celui qui, comme j’ai pu le constater sur le terrain, correspond aux souhaits formulés.