Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames et messieurs les sénateurs, pour la première fois, le Gouvernement présente au Sénat un projet de loi de programmation des finances publiques. Annoncée par le Président de la République et votée par le Parlement, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a consacré cette nouvelle catégorie de loi appelée à définir « les orientations pluriannuelles des finances publiques ».
Mon collègue Éric Woerth évoquera dans quelques instants l’effort sans précédent sur la dépense que le Gouvernement entend mettre en œuvre au cours des prochaines années pour assainir les comptes publics. Il ne s’agit pas seulement d’un exercice que nous devons à nos partenaires européens ; seul un rétablissement de nos finances publiques nous évitera de continuer à vivre à la charge de nos enfants et de nos petits-enfants, et de leur transférer une charge budgétaire de plus en plus lourde.
J’aimerais concentrer mon intervention sur le contexte macroéconomique actuel et à venir. Ce contexte, par la force des choses, va affecter profondément les modalités d’assainissement des comptes publics. Avec une croissance à deux chiffres, il est bien sûr beaucoup plus facile de rétablir les comptes publics.
Notre économie traverse une période historiquement difficile. Ce projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 est un texte de crise. La crise financière actuelle – même si chacun a son appréciation et que vous n’êtes peut-être pas tous d’accord avec moi – est une crise des abus, des excès. Je n’y reviendrai pas : excès de crédit, excès d’endettement, excès de complexité, excès de cupidité, excès de volatilité, excès d’irrationalité.
La mobilisation et la rapidité des pouvoirs publics pour y répondre, partout en Europe, ont été exceptionnelles. Grâce notamment à l’implication forte du Président de la République, la France, qui assure la présidence de l’Union européenne, a joué tout son rôle et assumé toutes ses responsabilités en mobilisant toutes les énergies.
Dès la mi-octobre, cette mobilisation a pris en France la forme d’un plan de soutien pour sauvegarder l’accès au crédit des entreprises, donc pour sauvegarder l’emploi. C’est un plan de soutien non pas des banques mais de l’économie.
Des plans du même type ont été mis en œuvre dans plus de quatorze pays européens, notamment en Espagne, en Grande-Bretagne, en Allemagne. Les premiers effets de ces plans sont visibles : le niveau des désordres et de la méfiance sur le marché des prêts a commencé doucement à refluer, comme en témoigne l’examen des taux d’intérêt, de l’Euribor, des variations de spread.
Avant de vous indiquer très précisément la révision à la baisse des perspectives officielles de croissance pour 2009 et 2010, je voudrais vous exposer l’analyse de la situation macroéconomique réalisée par le Gouvernement.
La croissance a déjà été négative au deuxième trimestre de l’année 2008 dans toute la zone euro, avec un taux de moins 0, 2%. Elle s’établit à moins 0, 3% en France. C’est le prix de l’envolée du cours du pétrole et de l’ensemble des matières premières, ainsi que de la variation de l’euro au cours de l’hiver 2007-2008. L’activité s’est aussi repliée en Allemagne – moins 0, 5 % –, en Italie – moins 0, 3 % – et au Japon - moins 0, 7 %. Au troisième trimestre, les États-Unis ont aussi enregistré une croissance négative de moins 0, 1 %.
Au début du mois de septembre, notre hypothèse de croissance du produit intérieur brut de 1 % pour 2009 était déjà la plus basse hypothèse de croissance depuis vingt-quatre ans : c’est dire que nous n’étions alors pas particulièrement optimistes ! Depuis lors, nous le savons, les événements se sont précipités et la crise financière internationale a considérablement affecté l’économie de tous les pays, mais plus particulièrement, dans un premier temps, celle des pays développés.
Les effets de cette crise financière internationale commencent déjà à se faire sentir. Ils devraient perdurer pendant plusieurs trimestres. Même si la réponse de l’ensemble des pays européens – entraînant d’ailleurs une révision de la réponse américaine – a été prompte, pertinente et pionnière, ramenant graduellement la confiance, cette crise laissera des séquelles durables sur nos économies réelles.
Face à ce choc d’une ampleur et d’une nature inédites, la situation économique et financière de l’Europe n’est pas assimilable, loin s’en faut, à celle des États-Unis.
Le dire n’est pas faire preuve d’optimisme béat. C’est simplement ce qui résulte de l’analyse de la réalité des faits. Les désordres interbancaires sont plus élevés aux États-Unis et, à un moindre degré, en Grande-Bretagne. Cela tient, on le sait, à la structure du système bancaire et au mode de régulation qui s’y applique.
En Europe, les agents restent solvables et, surtout, ils sont endettés à taux fixe, contrairement à la situation d’endettement des ménages américains.
Le taux d’endettement des Européens est inférieur en moyenne à 100 % ; celui des ménages français s’élève à 93, 6 % selon les derniers chiffres connus pour 2007Le taux d’endettement dans le continent nord-américain est proche de 130 %.
L’ajustement immobilier, dont on sait très bien qu’il a joué un rôle très important dans le déclenchement et l’amplification des effets de la crise financière, est beaucoup plus graduel en France et en Allemagne qu’outre-Atlantique et dans certains pays de l’Union européenne, qui avaient fondé leur développement économique en particulier sur celui du secteur immobilier.
Compte tenu de leur modèle d’activité, les banques européennes – même si elles ont dû enregistrer des pertes importantes - sont moins exposées aux activités de marché, leurs revenus provenant majoritairement d’activités de clientèle.
Tout cela suggère une meilleure capacité à résister au choc financier majeur auquel sont soumises toutes nos économies.
Par ailleurs, des éléments favorables sont aussi intervenus dans l’ensemble de nos économies, mais plus particulièrement dans les économies européennes. Une analyse non partisane ne peut pas les passer sous silence, quoi qu’on en pense. Il suffit d’examiner les chiffres.
Le prix du baril de Brent a chuté en deçà de 70 dollars, soit moins de la moitié du pic de 148 dollars atteint en juillet. Au moment de la finalisation du projet de loi, en septembre, le baril était encore à 100 dollars, un cours qui a servi d’hypothèse à la constitution du texte transmis à l’Assemblée nationale.
Cette hypothèse doit être revue aujourd’hui à 72 dollars, le cours moyen du baril en octobre.
Le texte du projet de loi de finances tablait sur une inflation de 2, 0 % en 2009, ce qui semblait tout à fait raisonnable à l’époque où nous avons établi ces prévisions.
Compte tenu de ces reflux en termes de prix des matières premières, notamment du baril, le Gouvernement va devoir amender le projet de loi qui vous est soumis en retenant une hypothèse d’inflation ramenée de 2 % à 1, 5 % pour 2009.
L’euro est passé au-dessous de 1, 30 dollar, après avoir atteint un pic de 1, 60 dollar à la mi-juillet. Le texte du projet de loi de finances tablait sur un taux de change de 1, 45 dollar. L’hypothèse de change du projet de loi de finances doit être revue.
De la même manière que nous revoyons l’inflation, nous revoyons l’hypothèse concernant le taux de change de l’euro par rapport au dollar, en le ramenant de 1, 45 à 1, 33 dollar, cours moyen de l’euro en octobre. Il ne s’agit pas, en matière de prévision, de faire du mark to market, mais il est évident que nous devons nous adapter à la réalité des faits.
Cette évolution va contribuer à soutenir les exportations et donc, nous l’espérons, la croissance au cours des prochains mois.
Après avoir révisé certains des paramètres retenus pour la construction de nos prévisions – l’inflation, le taux de change–, venons-en maintenant à la révision à la baisse des hypothèses de croissance pour 2009 et 2010.
Le texte du projet de loi de finances, qui a été transmis début octobre au Parlement et dont le volet relatif aux recettes a été arrêté début septembre, a été bâti sur une hypothèse de croissance du produit intérieur brut de 1 % en 2009, hypothèse la plus basse depuis vingt-quatre ans.
Si l’on prend en compte lesde l’autre, au total les effets sur la croissance des bouleversements récents seront clairement défavorables.
Je l’avais déjà annoncé à l’Assemblée nationale le 20 octobre ; je le confirme devant la Haute Assemblée : la croissance en 2009 sera établie sur la base d’une fourchette qui nous paraît réaliste compte tenu des faits. Je suis confortée dans cette appréciation par les échanges que j’ai pu avoir lors de la réunion de l’Écofin avec l’ensemble de mes partenaires européens qui représentent, je vous le rappelle, plus de 60 % de nos échanges.
J’annonce donc que la croissance en 2009 pourrait s’établir dans une fourchette comprise entre 0, 2 % et 0, 5 % du produit intérieur brut.