En effet, on va supprimer la postulation devant les cours d’appel mais, en revanche, on la maintient devant les tribunaux de grande instance.
Ainsi, un avocat inscrit au barreau du Havre, ville que je connais bien puisque j’en émane, ne pourra pas postuler devant le tribunal de grande instance de Rouen sans recourir aux services de l’un de ses confrères inscrit au barreau de Rouen, alors que, lui aussi, est avocat de la cour d’appel de Rouen.
J’ai retiré l’amendement qui visait à supprimer le monopole territorial de la postulation devant les tribunaux d’instance situés dans le ressort d’une même cour d’appel car j’ai tenu compte de l’argument selon lequel cela allait nuire aux petits barreaux. Peut-être une période transitoire est-elle nécessaire pour préparer les esprits ? Il n’empêche qu’on ne peut pas accepter que la postulation soit supprimée devant les cours d’appel et maintenue devant les tribunaux de grande instance.
J’en viens à l’application de la réforme.
Des comparaisons ont été faites avec la suppression du monopole des commissaires-priseurs ou des courtiers maritimes. Dans les deux cas, ces comparaisons sont mauvaises.
D’abord, les commissaires-priseurs sont devenus les commissaires-priseurs judiciaires, une catégorie nouvelle et ont pu poursuivre, dans un cadre concurrentiel, leur activité de ventes volontaires. De plus, ils ont été indemnisés non pas à 100 %, mais à 50 % de la valeur de l'office, la somme correspondante pouvant être diminuée ou augmentée de 20 % par la commission chargée d’examiner les demandes d’indemnisation. En ce qui concerne leurs salariés, ils ont eu droit à un mois de salaire par année de service.
Par conséquent, la différence avec les avoués est normale, puisque ces derniers sont supprimés. Les commissaires-priseurs, même s’ils sont soumis à la concurrence, subsistent encore. La situation n’est pas du tout la même.
Quant aux courtiers maritimes, si leur monopole a été supprimé, ils existent toujours et ont eu droit à 65 % d’indemnisation.
Il n’y a pas une logique. Certes, on peut ressortir la jurisprudence du Conseil constitutionnel, dont la décision est fondée sur l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, relatif à l’égalité devant les charges publiques, et non sur l’article XVII relatif au droit de propriété. Il substitue au droit patrimonial, défendu par le Conseil d’État, la rupture du principe d’égalité. Mais, s’agissant des avoués, je suis convaincu que l’application de l’article XIII, donc le principe d’égalité, ne tient pas. En effet, il s’agit d’une propriété, d’un bien patrimonial qui sera d’ailleurs conforté par les conventions européennes.
N’oublions pas que n’importe qui peut maintenant saisir le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction. À mon avis, cela obligera le Conseil constitutionnel à considérer la propriété d’une charge d’avoué comme étant un bien patrimonial et que sa suppression justifie une indemnisation sur le fondement du droit de propriété et non parce qu’elle constitue une rupture du principe d’égalité.
J’en viens maintenant aux problèmes de fond.
S’agissant d’abord de la durée d’application de la réforme, ce projet de loi n’est pas soumis à la procédure accélérée. Compte tenu des exigences que nous avons, les examens en deuxième lecture, voire en troisième lecture, ne se feront pas dans un avenir très proche. Le Sénat va en effet interrompre ses travaux pendant trois semaines au mois de mars et deux semaines en avril. Si nous voulons que le texte soit adopté au mois de juin, il faudra faire vite, eu égard au calendrier extrêmement serré auquel sont soumis les parlementaires à l’heure actuelle.
Par conséquent, la loi ne sera pas applicable au 1er janvier 2010, ce qui était prévu initialement, et je ne suis pas sûr qu’elle le soit au 1er janvier 2011, ce qui serait un peu dommage. Faute d’une adoption au mois de juin, cela dépendra de la navette, il faudra sans doute décaler la date. Je reste bien entendu ouvert à toute discussion pour améliorer le texte.
Le désaccord qui subsiste entre vous et nous porte essentiellement sur le problème de l’indemnisation, et d’abord celle des personnels, point qui est important.
Nous avons déposé un amendement visant à compléter l’intitulé du chapitre II : « Dispositions relatives à l’indemnisation des avoués près les cours d’appel » par les mots : « et de leurs salariés », afin de bien montrer que les personnels sont au cœur de notre réflexion.
À l’heure actuelle, ils sont au nombre de 1 650. Entre 700 et 800 d’entre eux sont pour l’instant sur le carreau. À ce sujet, Mme Des Esgaulx a déposé un amendement, adopté par la commission, visant à prévoir la même règle que pour les salariés des commissaires-priseurs, à savoir un mois de salaire par année d’ancienneté. Madame la ministre d’État, vous avez déposé un amendement tendant à limiter à trente années la possibilité d’appliquer cette règle. Pourquoi pas ? Ce sera au Sénat d’en décider.
Que deviennent ces 1 650 salariés ? Les plus diplômés d’entre eux, au nombre de 170, ont les titres suffisants pour devenir avocats, huissiers, notaires, et peuvent donc entrer dans les professions juridiques. Parmi les autres, 380 seront recrutés par le ministère de la justice pour renforcer les tribunaux, notamment les cours d’appel ; environ 350 resteront auprès de leurs anciens patrons et deviendront ainsi secrétaires de leur avoué devenu avocat. Mais entre 700 et 800 d’entre eux n’ont, pour l’instant, aucun débouché réel.
Il convient tout d’abord de les indemniser correctement selon la règle un mois, un an, c’est-à-dire qu’un an de travail dans une étude d’avoués est égal à un mois de salaire d’indemnisation. Nous l’avons votée ; attendons de voir comment les choses évolueront.
Il convient ensuite d’accorder une indemnité de reconversion. En effet, la rémunération que recevront ces personnels dans leur nouveau métier sera nettement inférieure à celle qu’ils ont à l’heure actuelle.