Intervention de Roland du Luart

Réunion du 21 décembre 2009 à 14h30
Représentation devant les cours d'appel — Discussion d'un projet de loi

Photo de Roland du LuartRoland du Luart :

Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, la suppression de la profession d’avoués s’inscrit dans un mouvement continu, depuis plusieurs années, de modernisation de l’institution judiciaire.

Certaines de ces réformes ont connu un retentissement majeur, dans les milieux judiciaires et dans l’opinion publique ; je pense, notamment, à la réforme de la carte judiciaire. D’autres sont plus discrètes, ce qui ne signifie pas que leurs conséquences soient moins importantes pour le justiciable et pour les professionnels de la justice ; tel est le cas de la réorganisation de la justice en appel, sur laquelle nous avons à nous prononcer aujourd’hui.

En qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », je veux tout particulièrement insister sur les enjeux économiques et financiers de cette réforme.

En réalité, le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis n’est que le « vaisseau amiral » d’une trilogie législative engagée avec la loi de finances pour 2010 et poursuivie par la loi de finances rectificative pour 2009. Ce rappel est nécessaire pour bien saisir le contexte dans lequel se situe le projet de loi portant réforme de la représentation devant les cours d’appel.

La loi de finances pour 2010 a permis d’aborder le volet « emploi » de la reforme : 190 emplois équivalents temps plein seront créés au sein de la mission « Justice », en milieu d’année 2010, pour permettre le recrutement de 380 personnes au total.

Affectés aux greffes des juridictions, ces emplois se répartissent entre 19 postes de catégorie A, 139 postes de greffiers de catégorie B et 222 postes d’adjoints administratifs de catégorie C. Cet effort est substantiel, mais on peut regretter que les emplois de catégorie A soient des emplois contractuels, dont la pérennité est par définition sujette à caution.

La loi de finances rectificative pour 2009 a, quant à elle, permis de traiter le volet « financement » de cette réforme. Cet aspect est bien évidemment décisif. En l’état, le texte qui vient d’être adopté cet après-midi par la commission mixte paritaire fait reposer ce financement sur toutes les parties à l’appel, via la création d’un nouveau droit. Ce droit s’élève à 150 euros et ne pèse pas sur les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle. Au total, selon les estimations de la commission des finances du Sénat, la ressource fiscale disponible pour le financement de la réforme pourrait ainsi se monter à près de 347 millions d’euros.

Le collectif budgétaire anticipe également sur le volet « indemnisation des avoués », puisqu’il prévoit déjà, pour ceux qui partent à la retraite du fait de la suppression de la profession, l’exonération des plus-values de cession réalisées pour les offices, ce qui est équitable.

Cette question de la juste indemnisation des avoués et de leurs personnels est, à mes yeux, essentielle, et je veux insister sur ce point en guise de conclusion.

La passerelle ouverte par le présent projet de loi aux avoués vers la profession d’avocat est appréciable. Elle ne règle toutefois pas tous les problèmes : les avoués n’ont guère de clientèle propre, et ils étaient jusqu’à présent très dépendants des avocats, qui jouaient le rôle d’apporteurs d’affaires. Leur reconversion sera donc nécessairement difficile.

Il en sera de même pour leurs salariés, qui ne pourront pas tous retrouver un emploi dans un cabinet d’avocat. Faut-il rappeler que l’on compte actuellement 4, 3 salariés par avoué, mais seulement 0, 8 salarié par avocat ? Ce rapport de 1 à 5 suffit à lui seul à éclairer la difficulté du reclassement.

En définitive, la réforme de la représentation en appel va donc bouleverser dans leurs vies professionnelles près de 2 000 personnes, contraintes de s’adapter, de se former à un nouveau métier et, parfois, de faire preuve de mobilité géographique. Si l’on apprenait, demain, la fermeture d’une entreprise et le licenciement de 2 000 salariés, le choc serait, à n’en pas douter, très médiatisé ; il conviendrait alors d’envisager un plan d’accompagnement soigneusement pensé. C’est à un effort comparable que nous incite le présent projet de loi. Le texte issu des travaux de la commission des lois va d’ailleurs dans ce sens, et ce n’est que justice.

La tâche sera assurément difficile, mais l’objectif à atteindre est clair : parvenir à une juste et équitable indemnisation du préjudice subi par les avoués et leurs personnels. Le Sénat se doit d’y veiller, et je suis certain que M. le rapporteur et M. le président de la commission des lois y sont parvenus en adoptant un texte plus équilibré que celui qui nous était présenté.

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