Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 21 décembre 2009 à 14h30
Représentation devant les cours d'appel — Question préalable

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, président de la commission des lois :

L’idée de supprimer la profession d’avoué –il faut être clair, c’est bien là l’objet du projet de loi – n’est pas nouvelle : elle avait déjà été envisagée en 1971, puis en 1991.

La commission Attali allait d’ailleurs beaucoup plus loin, puisqu’elle préconisait la création d’une profession judiciaire unique, mais force est de reconnaître qu’il était tout de même malaisé de s’attaquer aux notaires, profession bien ancrée sur notre sol national qui – comme les avoués, madame le garde des sceaux, et je renvoie à cet égard à l’arrêt du Conseil d'État du 23 mars 2005 SCP Machoïr et Bailly – ont un droit patrimonial sur leur charge.

D’ailleurs, quand on parle de préjudice entièrement compensé, ce n’est ni du préjudice de carrière ni du préjudice de liquidation mais bien du préjudice patrimonial qu’il est question, comme toujours lorsqu’une charge est supprimée, et, nous sommes d’accord, madame le garde des sceaux, l’indemnisation est légitime. Toute solution contraire ne manquerait pas d’interpeller nos concitoyens.

Les arguments avancés par les auteurs de la question préalable sont séduisants, mais ils doivent être repoussés.

D’abord, la simplification est un objectif ancien, ce qui ne remet d’ailleurs pas du tout en cause l’utilité des avoués : ils n’ont pas un simple rôle de boîte aux lettres, contrairement à ce que peuvent dire ceux qui, justement, ont envie de les remplacer, certains proposant même de se faire spécialistes en postulation. À ce moment-là, autant garder les avoués !

La modernisation, notamment la dématérialisation, devrait permettre de simplifier le fonctionnement de notre justice, et il y a d’ailleurs des propositions en vue de simplifier la procédure civile.

Ensuite, si le processus de la suppression de la profession a été engagé à l’Assemblée nationale, le dispositif n’a pas été parfaitement réglé, en ce qui concerne tant l’indemnisation des charges que celle des personnels. J’estime qu’il serait extrêmement dangereux de voter la motion tendant à opposer la question préalable, car cela ne permettrait pas de poursuivre le dialogue et d’obtenir, d’une part, une juste indemnisation des charges, d’autre part, une non moins juste prise en compte de la situation des personnels.

Sur ce dernier point toutefois, je crois que nous avons déjà bien avancé, sur le plan tant des créations d’emplois prévues par la loi de finances pour 2010 que du versement des indemnités - un mois de salaire par année d’ancienneté, directement par le fonds d’indemnisation et non pas par les avoués, dont on ne sait pas comment ils seraient alors remboursés.

J’ajoute, madame le garde des sceaux, que nous tenons beaucoup à l’indemnité de reconversion, car elle permettra à des salariés de « rebondir » sans avoir à attendre d’être licenciés.

De surcroît, puisqu’il faut aussi être attentif au coût de cette réforme, je crois que le dispositif serait assez économique.

Dès lors que la commission des lois, grâce à l’ensemble de ses membres et en particulier M. Gélard, a, tout le monde l’a reconnu, permis ainsi des avancées notables pour accompagner la suppression d’une profession déjà engagée à l’Assemblée nationale, je préférerai donc que nous continuions le dialogue avec cette dernière, en restant, bien sûr, extrêmement fermes sur nos positions, quand bien même certaines seraient un peu éloignées – mais nous pouvons encore les rapprocher – de celles du Gouvernement.

Nous n’avons pas le droit d’empêcher une réforme importante et souhaitée, mais, surtout, nous avons le devoir de permettre à toutes celles et à tous ceux, avoués et salariés, qui n’ont en rien démérité, de trouver un avenir professionnel, par exemple dans la profession d’avocat pour les plus jeunes d’entre eux, et, plus largement, de veiller à leur avenir tout court.

À cet égard, le licenciement du fait de la loi n’a rien d’inédit. Nous l’avons déjà connu, je le rappelle, avec les commissaires-priseurs, qui ont été indemnisés dans les conditions que le Parlement a décidées, qui étaient différentes de celles qui avaient été prévues initialement.

Pour tous ces motifs, monsieur Badinter, je ne voterai pas la motion tendant à opposer la question préalable, tout en comprenant quelles raisons peuvent l’avoir inspirée.

Il faut, je le répète, que le Sénat fixe une position claire sur un certain nombre de points pour pouvoir poursuivre le dialogue avec l’Assemblée nationale, qui, à défaut, voterait le texte en dernière lecture sans prendre en compte nos arguments, ce que je regretterais, car nous avons fait des avancées importantes.

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