Intervention de Anne-Marie Payet

Réunion du 18 janvier 2007 à 10h00
Accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé — Adoption définitive d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Anne-Marie PayetAnne-Marie Payet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi est très important et constitue une avancée réelle. La question de l'accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé est cruciale pour des millions de nos concitoyens.

Pour les malades et anciens malades rencontrant des difficultés à accéder au crédit, vous avez parlé, monsieur le ministre, de « double peine ». Hélas ! c'est bien de cela qu'il s'agit. Non seulement ces personnes souffrent dans leur chair de maux terribles, tels que le cancer, le sida ou le diabète, contre lesquels elles mènent une lutte de tous les jours, non seulement elles doivent se battre sur le terrain biologique, mais la société leur refuse en plus les moyens de construire une vie normale.

En effet, ne pas avoir accès à l'emprunt peut équivaloir à une mort sociale. Dans certains cas, l'aporie est la suivante : comment subvenir à ses besoins si l'on ne peut emprunter ? Alors qu'il n'est question que de droit au logement opposable, le problème de l'emprunt immobilier reste primordial pour ce public.

Par elle-même, la situation de ces personnes est inadmissible. Elle est d'autant plus intolérable que celles-ci ne sont pas isolées et ne forment pas un public marginal. Au contraire, les chiffres avancés sont effrayants : 10 millions à 11 millions de personnes seraient concernées par ces discriminations, parmi lesquelles 7 millions souffriraient d'une affection de longue durée.

Une telle situation heurte le principe essentiel d'égalité sur lequel est fondée notre République. Pour cette raison, le législateur devait agir. Mais, bien entendu, l'intervention de la puissance publique dans ce domaine est délicate.

Dans une économie libérale régie par la loi de l'offre et de la demande, nous savons bien que banques et assureurs sélectionnent leur clientèle. C'est la raison pour laquelle la loi du 12 juillet 1990 relative à la protection des personnes contre les discriminations en raison de leur état de santé ou de leur handicap ne s'applique pas aux sociétés d'assurance.

Mais, en tenant compte de cette exclusion législative, il fallait bien mettre en place des mécanismes d'encadrement de la sélection assurantielle et accorder aux publics discriminés des garanties d'accès au crédit. Face aux insuffisances de la loi, c'est d'abord naturellement vers la convention que se sont tournés professionnels et usagers.

Un premier pas a donc été franchi en 1991 : cela constituait une avancée, même si des carences subsistaient. Cette première convention ne concernait, en effet, que les personnes atteintes du VIH, le virus de l'immunodéficience humaine. Bien entendu, l'insuffisance de ce dispositif était criante. C'est pourquoi a été signée, le 19 septembre 2001, la convention dite « convention Belorgey », qui a représenté, il ne faut pas l'oublier, un progrès remarquable.

Ce n'est qu'après la conclusion de cette convention que le législateur est intervenu. Par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, il a d'abord introduit la convention dans le code de la santé publique. Par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, il a ensuite inclus dans le champ de la convention les personnes exposées à un risque aggravé de santé du fait de leur handicap.

Cependant, la convention Belorgey est à son tour apparue largement insuffisante. Un consensus s'est fait sur ce constat. Les chiffres parlent d'eux-mêmes, même s'ils sont incertains. Ce ne seraient pas moins de 24 % des personnes présentant un risque aggravé de santé qui se seraient heurtées à un refus de prêt immobilier depuis 2001.

Un tel résultat s'explique. La convention Belorgey présentait la première insuffisance grave de couvrir seulement le risque décès, et non le risque invalidité. Par ailleurs, les garanties de confidentialité qu'elle mettait en place se sont révélées défectueuses et les délais d'instruction des dossiers restaient trop longs pour les vendeurs de biens immobiliers. Enfin, l'importance des surprimes - autour de 300 % - empêchait nombre de personnes de mener l'opération envisagée à son terme, même lorsque leur dossier était retenu.

Dans ces conditions, la convention Belorgey devait être rénovée et élargie. Aujourd'hui, nous ne pouvons que nous féliciter de son remplacement par la convention du 6 juillet 2006 « S'assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé », dite « convention AERAS ». Entrée en vigueur le 6 janvier dernier, non seulement celle-ci perfectionne les dispositifs de la convention Belorgey en termes d'accès à l'information, de respect de la confidentialité ou de réduction des délais, mais elle va également beaucoup plus loin que la précédente convention.

La convention AERAS améliore très substantiellement le mécanisme de l'accès à l'emprunt pour les personnes présentant un risque aggravé de santé.

Premièrement, elle intègre le risque invalidité dans le champ de la convention, qui, jusque-là, ne couvrait que le risque décès. En outre, la couverture assurantielle de ce risque est étendue au-delà de la perte totale et irréversible d'autonomie. Comme vous le rappeliez, monsieur le ministre, les personnes relevant de la troisième catégorie d'invalidité au sens de la sécurité sociale - impossibilité d'effectuer les actes de la vie quotidienne sans assistance d'une tierce personne - ainsi qu'environ un tiers des personnes relevant de la deuxième catégorie - impossibilité d'exercer une profession - sont désormais couverts. C'est fondamental.

Deuxièmement, les modalités de prêts couverts par la convention sont fortement assouplies. Les seuils en termes d'âge et de montant des prêts contractés sont substantiellement relevés.

Troisièmement, la convention AERAS crée un mécanisme de mutualisation. À nos yeux, c'est sans doute le point le plus important.

La mutualisation des primes d'assurance pour permettre un écrêtement des primes en faveur des personnes disposant de revenus modestes permet de corriger l'un des principaux dysfonctionnements du premier mécanisme conventionnel. Les publics qui en profiteront éviteront l'écueil de la surprime rendant financièrement non viable l'opération visée.

De plus, la nouvelle convention rend obligatoire le refus d'assurance et ouvre droit à une médiation.

Enfin, le présent projet de loi renforce encore le nouveau dispositif et lui confère une valeur législative : les nouvelles dispositions conventionnelles auront donc valeur de loi vis-à-vis de tous, et pas seulement vis-à-vis des parties à la convention.

Ce texte garantit également la couverture réglementaire de la question en cas de carence conventionnelle. Il élargit au pouvoir réglementaire le dispositif de sauvegarde de la convention. En cas d'enlisement du dispositif conventionnel, une solution réglementaire sera donc possible. Un décret pourra prendre les dispositions nécessaires en cas de dénonciation, de défaut de prorogation ou de non-renouvellement de la convention.

Pourtant, si la convention et le projet de loi sont satisfaisants, de sérieux doutes subsistent, hélas ! quant à l'effectivité de leur application, ce qui suscite notre inquiétude.

Premièrement, la notion de « risque aggravé de santé » n'est pas définie. Son appréciation sera le fait des assureurs, sous la houlette d'une instance publique ad hoc. Mais le risque n'existe-t-il pas de voir se créer de nouvelles inégalités, tant dans la sélection des risques jugés « aggravés » que dans leur tarification ?

Deuxièmement, le nouveau dispositif de mutualisation laisse naturellement subsister un effet de seuil. Pour les personnes dont les revenus ne dépassent pas le plafond de la sécurité sociale, soit 30 000 euros par an, la prime d'assurance sera plafonnée à 1, 5 point du taux effectif global. Mais les surprimes ne resteront-elles pas dissuasives pour les emprunteurs dont les revenus seront au-dessus de ce plafond ?

Ne serait-il pas opportun, pour éviter un tel écueil, de créer un fonds de garantie, ce qui permettrait aux personnes présentant un risque aggravé de santé de ne pas avoir à supporter les surprimes, lesquelles peuvent atteindre un niveau exorbitant ? Ce fonds pourrait être alimenté à la fois par les emprunteurs et par les établissements financiers, en particulier par les banques les moins vertueuses, à savoir celles qui pratiquent des taux démesurés.

Enfin, troisièmement, la convention et la loi demeurent muettes sur la question de la sanction du dispositif mis en place. Quelles sanctions se verront appliquer ceux qui ne respectent pas la convention ?

C'est parce que ces incertitudes demeurent et qu'elles sont susceptibles de vider le texte de sa substance que le dispositif de contrôle parlementaire créé par la loi est particulièrement bienvenu. Pour rendre effectif et efficace un dispositif digne de ce nom d'aide à l'accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé, nous ne pouvons faire l'économie d'un suivi réel ainsi que d'évaluations rigoureuses et régulières.

Monsieur le ministre, compte tenu des importants doutes qui subsistent, nous serons très attentifs à l'application de ce texte.

Ce projet de loi représente une avancée notable, et nous le voterons donc avec enthousiasme.

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