Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 30 mars 2006 à 15h00
Communication du médiateur de la république

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le Médiateur de la République, votre rapport d'activité permet chaque année aux parlementaires qui vous saisissent d'apprécier la qualité de nos services publics.

Les réclamations qui vous sont adressées peuvent en effet contenir des motifs d'insatisfaction sérieux quant à l'exécution des missions de service public non seulement par l'administration centrale, mais aussi par les administrations locales, qui disposent de nouvelles prérogatives du fait de la décentralisation.

Ces dysfonctionnements n'ont pas pour source unique la méconnaissance de certaines règles ou de certains droits par les fonctionnaires exerçant ces missions de service public. Ils proviennent aussi des insuffisances ou de la complexité de certains textes.

Monsieur le Médiateur de la République, vous invitez l'ensemble des pouvoirs publics - Gouvernement, Parlement, justice - à la même démarche d'exigence. Votre rapport annuel illustre fort bien le rôle d'aiguillon que vous exercez à cet égard, un rôle d'autant plus précieux que l'évaluation des politiques publiques est parfois négligée dans notre pays. Toutefois, des progrès sont réalisés, notamment avec la loi organique relative aux lois de finances.

Il arrive que l'on préfère l'empilement des textes, dans une logique d'affichage qui n'épargne aucune législature, à l'examen approfondi de leur nécessité ou de leur bonne insertion dans le droit existant. Peut-être serait-il préférable de ne pas parler de cela aujourd'hui...

Toutefois, les 60 000 affaires que vous avez reçues en 2005, dont plus de 32 200 constituent des réclamations, ne visent qu'une très faible proportion de la masse des décisions administratives prises chaque année dans notre pays. Il s'agit d'une part réduite, certes, mais non négligeable puisque l'on ne doit vous saisir qu'en dernier recours.

Il faut reconnaître que, globalement, l'administration fonctionne assez bien. Elle est honnête et généralement compétente, mais elle est aussi soucieuse de perfectionnisme. Or la perfection ne s'accompagne pas nécessairement de l'efficacité.

Vous indiquez cependant que la logique selon laquelle on ne doit saisir le Médiateur qu'en dernier recours connaît des exceptions. Certains citoyens vous saisissent en effet dès qu'ils rencontrent une difficulté, y compris d'ordre privé, ou pour un motif largement étranger au strict respect de leurs droits. Il faut sans doute y voir le signe que le Médiateur de la République est aujourd'hui une autorité connue et reconnue.

Les avantages d'une telle notoriété dépassent de loin ses inconvénients. Ou, si l'on peut dire, vous savez faire des inconvénients de cette reconnaissance un avantage.

Votre rapport annuel explique ainsi que certaines réclamations sont sans fondement ou interviennent avant que toute autre démarche ait été entreprise auprès de l'administration visée.

Comme vous le dites fort bien, il faut savoir dire non, tout en faisant preuve de pédagogie, afin de réduire le sentiment d'arbitraire ou d'injustice et de conforter la légitimité de l'action administrative.

L'intérêt général n'est pas la somme des intérêts particuliers, et l'on ne saurait laisser instrumentaliser une autorité indépendante comme la vôtre sans menacer la confiance des citoyens dans leur administration.

À cet égard, la vigilance du Médiateur quant à la recevabilité des réclamations est indispensable à la pertinence de ses interventions et à l'affirmation de son rôle dans notre cohésion sociale.

J'avais relevé l'année dernière la part considérable des saisines directement adressées aux services centraux de la Médiature, sans passer par l'intermédiaire d'un député ou d'un sénateur. Celle-ci s'élevait alors à 32 % ; elle s'établit en 2005 à 45, 8 %. Près de la moitié des réclamations reçues par votre siège vous sont donc adressées directement par courrier postal ou électronique.

Il est souhaitable - je sais que certains n'en sont pas convaincus - que la saisine directe soit bientôt reconnue par la loi, sans remettre en cause la saisine par l'intermédiaire d'un parlementaire. Ces deux voies sont en effet complémentaires. M. Pelletier ne me démentira pas. §

Cette demande de proximité touche d'ailleurs en premier lieu vos trois cents délégués, qui ont eu à traiter 25 782 affaires en 2005. Ainsi, 90 % des affaires traitées par vos services sont locales.

Vous avez d'ailleurs eu le souci, monsieur le Médiateur, d'assurer la présence de vos délégués dans des lieux où l'accès au droit doit être mieux garanti : les quartiers en difficulté et les prisons.

Vous avez largement évoqué la question des prisons. À cet égard, je me réjouis que vous rejoigniez les conclusions de la commission d'enquête du Sénat sur les prisons : être incarcéré ne signifie pas être privé de droits. Cette expérimentation, qui devrait faire l'objet d'une évaluation dans quelques mois, devrait être riche d'enseignement sur les besoins des prisons françaises en matière d'accès au droit.

Monsieur le Médiateur, votre mission vous assure une connaissance aiguë des difficultés que peuvent rencontrer nos concitoyens en raison de l'excessive complexité du droit ou de son inadéquation à certaines évolutions de la société. Aussi le législateur ne manque-t-il pas de prendre son inspiration dans vos propositions de réformes, dont vingt-huit ont été satisfaites en 2005.

J'évoquerai la lutte contre les mariages forcés. La proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple comporte des mesures tendant à harmoniser l'âge minimal du mariage à dix-huit ans pour les filles comme pour les garçons, et permet au procureur de la République d'ouvrir l'action en nullité pour vice du consentement.

Dans le cadre de la loi de sauvegarde des entreprises, le bénéfice de l'assurance garantie des salaires, l'AGS, a été étendu, comme vous le souhaitiez, aux salariés des personnes physiques exerçant une profession libérale.

Vous avez évoqué également la couverture maladie des détenus et prévenus libérés. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 leur permet de recouvrer leurs droits lors de leur libération.

Enfin, parmi les réformes que vous souhaiteriez voir aboutir dans un proche avenir, je retiens le nécessaire renforcement des garanties relatives à la consultation des fichiers de police judiciaire à des fins administratives.

Il est vrai que la tardive mise à jour des fichiers STIC et JUDEX conduit à des imbroglios considérables pouvant être très préjudiciables en cas d'enquête administrative préalable à un recrutement, par exemple.

Votre rapport évoque également les difficultés posées par l'attribution des prestations familiales en cas de résidence alternée. Nous avons organisé des auditions sur le droit de la famille la semaine dernière. Le sous-directeur des prestations familiales de la caisse d'allocations familiales a émis un avis réservé. J'espère qu'il ne s'agit pas de difficultés administratives, car le service public est au service des citoyens, et non l'inverse !

Peut-être pourrons-nous trouver des solutions en ce qui concerne la garde alternée, même si, outre les problèmes administratifs, ce dispositif pose quelques difficultés juridiques. Je ne doute pas, monsieur le Médiateur, que vous y contribuerez.

Vous proposez par ailleurs de revenir sur la jurisprudence de la Cour de cassation qui refuse au juge la possibilité de relever d'office un moyen de droit tiré de la violation du droit de la consommation. Les problèmes de consommation étant de plus en plus nombreux, cette possibilité permettrait de pallier la méconnaissance, par les consommateurs ne recourant pas à un avocat devant les juridictions d'instance, du droit de la consommation.

Cette proposition peut être rapprochée d'autres demandes que vous formulez pour corriger les effets indésirables du traitement du surendettement. Nous avons beaucoup légiféré, peut-être trop et trop vite, sur ces sujets et il conviendrait de procéder à une évaluation avant de réformer la législation. La procédure de rétablissement personnel, notamment, ne semble pas avoir donné tous les résultats escomptés. La Banque de France, qui connaît bien ces dossiers, est très réceptive aux arguments que vous avez développés.

Le trait commun de toutes ces réformes, abouties ou en cours, est de renforcer l'effectivité du principe d'égalité, de corriger les incongruités, voire les failles de notre droit.

Monsieur le Médiateur, vous avez évoqué un point qui nous tient à coeur : la protection des incapables majeurs. En effet, nous réclamons depuis de nombreuses années une réforme en la matière. Cela me paraît une priorité législative : nous devons impérativement moderniser la loi sur les tutelles et les curatelles. Tous les jours, parlementaires, élus locaux, et vous-même, nous nous trouvons confrontés à des situations catastrophiques pour les familles et les personnes handicapées.

Vous avez accepté de venir devant la commission des lois le 12 avril prochain pour approfondir nos échanges sur ces questions lors d'une audition ouverte à tous nos collègues ; je ne doute pas que ceux-ci seront très nombreux.

Le dialogue qui s'établit entre votre autorité et le Parlement promet d'assurer plus efficacement la protection des droits fondamentaux et la cohérence de notre ordre juridique. Je vous remercie, monsieur le Médiateur, d'y contribuer largement.

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