Intervention de Yannick Bodin

Réunion du 26 juin 2008 à 9h30
Droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires publiques — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Yannick BodinYannick Bodin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici un texte de loi qui prétend mettre en place un service d’accueil dans les écoles. En fait, voici un texte qui causera, dans le cas où l’on réussirait à l’appliquer dans les communes – et c’est loin d’être gagné, je le montrerai par la suite – un nombre incalculable de contentieux en tous genres.

Voici un texte qui a pour conséquence immédiate d’exploiter le sentiment des parents d’élèves en montrant du doigt les enseignants et en faisant porter sur les communes la responsabilité d’un éventuel échec de la politique d’éducation du Gouvernement. Habile, monsieur le ministre !

Mais gouverner, bien que ce soit la méthode de M. Sarkozy, ce n’est pas dresser les Français les uns contre les autres. Le cynisme du diviser pour régner a quand même ses limites, avouez-le !

La méthode que vous avez choisie est, en effet, démagogique, l’objectif réel est bien éloigné de l’objectif officiel. Je crains que le résultat ne soit largement contre-productif, et d’abord pour les enfants.

Je commencerai par revenir sur la genèse de votre projet.

L’idée de départ, à savoir réutiliser les retenues sur salaires des enseignants grévistes pour les remplacer au pied levé par des personnels non qualifiés et non habilités à enseigner, n’est pas acceptable. Elle est même douteuse et malsaine, tout autant qu’elle est floue et peut-être anticonstitutionnelle, ainsi que nous tenterons de le prouver.

Vous avez commencé, monsieur le ministre, le 8 janvier, par adresser une lettre aux maires leur annonçant qu’ils pourraient à loisir organiser ce service de garderie « sur la base du volontariat ».

Jusqu’à la fin du mois de janvier, vous évoquiez donc le volontariat et la concertation ouverte avec les syndicats d’enseignants. Vous proposiez ainsi aux communes qui le souhaitaient une convention de trois ans moyennant un dédommagement financier, annoncé par décret. Il s’agissait de la phase expérimentale de votre projet de service minimum d’accueil dans les écoles.

Cependant, dès le 24 janvier, cette expérimentation dans les communes volontaires apparaît, il faut bien le dire, comme un échec cuisant. En effet, vous vous félicitez des quelque 2.000 communes qui ont joué le jeu en janvier, mais ce n’est pas sérieux ! Rappelons que, sur les 36 000 que compte la France, cela représente quelque 5 % de communes volontaires. Vous nous dites : ça marche ! Évidemment, puisqu’elles étaient volontaires ! Mais quelle garantie avez-vous concernant les 95 % restants ?

Et, franchement, il n’était pas nécessaire de faire un sondage pour savoir que les parents préfèrent pouvoir faire garder leurs enfants ! Ils sont comme les enseignants, qui préféreraient ne pas être obligés de faire grève !

Devant cet échec, vous décidez d’abandonner, et c’est logique, la méthode du volontariat et de contraindre par la loi. C’est plus sûr, je l’avoue ! En effet, aucune dépense à la charge de l’État ou d’un établissement public à caractère national ne peut être imposée directement ou indirectement aux collectivités territoriales ou à leurs groupements qu’en vertu d’une loi, selon le code général des collectivités territoriales.

Cependant, au vu de l’ampleur du projet, de la véritable « usine à gaz » que vous proposez aux communes, aux fonctionnaires de l’éducation nationale et aux parents d’élèves, on aurait imaginé qu’entre-temps vous engageriez de véritables concertations, ainsi que des négociations. Une simple consultation aura suffi. Tout est déjà décidé ! Et puis, comme d’habitude, quand il s’agit de légiférer, c’est toujours l’urgence. Pour quelle raison ? Est-ce bien la continuité du service public qui est votre priorité ? N’est-ce pas plutôt la tentative de faire plier les salariés du service public d’éducation en s’attaquant à leur droit de grève ?

Je vous l’ai déjà dit, monsieur le ministre, si vous voulez satisfaire les fédérations de parents d’élèves, les enseignants et leurs syndicats ainsi que les enfants et éviter les conflits, il faut mettre en œuvre une politique qui évite les grèves plutôt que tenter de les contrer.

Rappelons tout de même que, sur une scolarité normale, un enfant perd une année entière du fait de la mauvaise organisation des remplacements d’enseignants et d’absences, dont les causes sont multiples. Sur ce total, le nombre de jours de grève est marginal, vous le savez.

Remplacement de congé maternité, obligations dues aux responsabilités syndicales, maladie, stages pédagogiques... Les absences sont régulières, normales, mais doivent être gérées par l’éducation nationale dans le cadre de la continuité du service public. La voilà, la continuité du service public d’enseignement ! Nous sommes tout à fait d’accord sur ce principe !

Mais que faites-vous pour assurer ces remplacements ? Les non-remplacements augmentent au fur et à mesure que vous supprimez des postes. En cas de grève – mais est-ce uniquement en cas de grève ? -, vous proposez de remplacer le personnel enseignant par un personnel d’urgence, non enseignant et souvent non qualifié, du niveau d’un encadrant de centre de loisirs sans hébergement ou de centre périscolaire. Je vous en prie, ne parlez pas de continuité du service public !

En l’occurrence, vous le remplacez par de la garderie ou de l’animation éducative. Il n’y a pas continuité du service public d’enseignement. Au contraire, il y a rupture !

Votre objectif, malheureusement, est bel et bien de limiter le droit de grève des enseignants. Cependant, lorsque les grèves sont organisées, elles le sont dans le but de préserver, de défendre et d’améliorer le service public et son école. Comment oser prétendre que les enseignants font grève pour autre chose que l’intérêt commun ?

Certes, les enseignants, comme tous les salariés, font aussi grève pour défendre leurs intérêts catégoriels ; mais ils font aussi grève parce qu’ils se préoccupent du contenu de leur mission de service public. Et cela est tout à leur honneur !

S’il y a un service d’accueil à l’école, il doit être de la responsabilité civile et pénale – je dis bien : et pénale ! – de l’État. Pourquoi une défaillance dans le service public de l’État ferait-elle porter de nouvelles charges sur les communes ?

Votre projet de loi est, de surcroît, inapplicable pour de nombreuses communes qui ne disposent pas de personnels suffisants, même non qualifiés. Avez-vous pris conscience du déploiement d’activités que vous allez imposer aux communes dans des délais d’urgence ? Désorganisation des services, embauche de personnels occasionnels. Et les cantines, ouvertes ou fermées ? Et les transports scolaires ?

Bref, cela risque d’être, permettez-moi de le dire simplement, un « joyeux bazar ».

Votre gouvernement prend régulièrement en exemple les modèles nord-européens pour leur faible taux de chômage, leur fort taux de réussite scolaire. Mais, justement, dans ces pays, la syndicalisation de tous les personnels est maximale ! Et c’est dans la concertation permanente que gouvernements et représentants du public et du privé avancent, ensemble.

Il faut le comprendre : vous n’atteindrez pas les mêmes objectifs sans méthode. En optant pour des méthodes de sape et de division du monde syndical, vous n’obtiendrez pas de meilleurs résultats des élèves de l’école publique. Une seule méthode est la bonne, le dialogue. Mais cette méthode, votre gouvernement ne sait pas la pratiquer, ou ne veut pas l’utiliser.

Pour cette raison, monsieur le ministre, nous ne pourrons que nous opposer à votre projet de loi.

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