Intervention de Yves Dauge

Réunion du 27 juin 2006 à 9h30
Convention relative à la diversité des expressions culturelles — Adoption d'un projet de loi

Photo de Yves DaugeYves Dauge :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'évidence, cet événement est unique dans l'histoire de l'UNESCO puisque aucune convention n'a été adoptée à une majorité aussi forte.

Ces votes traduisent un moment politique fort qui a été ressenti au sein de l'UNESCO. Tous ceux qui ont suivi cette longue marche - assez rapide au demeurant : quatre années de préparation et deux ans de négociation - peuvent en témoigner. Les raisons tiennent à une autre façon de voir la mondialisation et d'aborder les problèmes du développement, notamment dans le tiers monde.

Permettez-moi de revenir un instant sur la méthode. La France a quelquefois joué trop seule. Là, au contraire, elle a su créer un réseau d'alliances sur une vision qui n'était pas défensive - à un moment donné, nous étions sur un concept qui ne permettait pas de gagner - et qui présentait la culture comme un élément essentiel du développement.

Ce thème fédérateur a permis non seulement de rassembler tous les réseaux politiques qui ont été évoqués, mais aussi de conclure des alliances avec les milieux professionnels. De ce point de vue, la société civile doit rester un des éléments décisifs du succès politique qu'il faut obtenir.

À cet instant, madame la ministre, je tiens à rendre hommage à l'immense professionnalisme dont ont fait preuve les diplomates français de l'UNESCO, MM. Musitelli et Guéguinou, soutenus par le Président de la République et les Premiers ministres successifs.

La démarche qui a été suivie pourrait être utilisée au sein d'autres instances internationales, où la France n'a pas été toujours suffisamment présente non pas seulement sur le plan physique, mais aussi sur le plan du concept, des idées, du rayonnement culturel. Pour avoir souvent travaillé avec l'UNESCO, je dois dire qu'à une époque j'étais désespéré de constater l'absence de la France. Pourtant, après la guerre, elle avait revendiqué l'installation de cet organisme à Paris. Mais, une fois l'édifice construit, elle s'en est désintéressée.

Madame la ministre, il importera de se montrer très attentif au choix des représentants de la France dans les institutions internationales, notamment celle-ci.

Bien entendu, il n'est pas dans mon intention de critiquer certains ambassadeurs. Mais il est insoutenable de constater notre absence dans des lieux et des débats essentiels au regard des prétentions que nous affichons.

C'est d'ailleurs également le cas au sein d'autres instances, notamment de l'Union internationale pour la conservation de la nature, l'UICN, grande organisation non gouvernementale internationale, où la France est complètement écrasée par le monde anglo-saxon. Ainsi, lors des assemblées générales auxquelles j'ai pu assister et qui rassemblent des milliers de participants venant du monde entier, j'ai pu observer qu'aucun texte n'est écrit en français, aucune intervention en séance plénière n'est formulée en français.

Dès lors, je m'interroge : comment pouvons-nous défendre les causes qui nous sont si chères ?

Nous devons faire une révolution culturelle chez nous, poursuivre dans la voie qui nous a conduits à ce succès diplomatique et mettre les moyens suffisants dans les organisations internationales partout dans le monde.

Vous l'avez tous dit, la base juridique est bonne, même si elle fait l'objet de critiques. Nous aurions pu nous trouver en situation de subordination ; nous sommes à égalité. Mais il nous faut rester attentifs à la jurisprudence qui sera déterminante.

Nous devons suivre l'exemple de la convention de Rio, de 1992, à partir de laquelle s'est créée une jurisprudence, où comme dans des domaines similaires, les décisions des juges ont tenu compte des questions environnementales. Il nous faut accompagner cette évolution juridique avec une grande attention. À l'évidence, un combat politique est à mener, à l'intérieur même de l'UNESCO.

Ceux qui connaissent bien la maison le savent, les États-Unis imposent une pression énorme, accompagnant systématiquement toutes les informations montant à la direction générale de leurs commentaires, critiques, remises en cause, ce qui crée une espèce de double pouvoir au sein de l'organe. Cette situation est liée à une vision politique de l'instant. Je fais d'ailleurs une distinction entre cette machine politique qui veut prendre le pouvoir partout et l'esprit créatif, le rayonnement politique des Américains dans le monde, que chacun est prêt à reconnaître et à soutenir.

Il faut donc que nous commencions à anticiper, comme nous l'avons fait tout au long de ce processus, et que nous nous interrogions sur le dispositif interne qui se doit se mettre en place à l'automne 2007, selon le calendrier fixé. Selon toute vraisemblance, tout se jouera à ce moment. J'espère que d'ici là le seuil des trente ratifications sera atteint, voire dépassé.

Une Conférence des parties aura lieu ; un comité technique sera mis en place. La France interviendra-t-elle afin d'anticiper sur la préfiguration du dispositif ? Le secrétariat ne sera-t-il qu'un embryon résultant de la volonté forte de certains de le réduire au minimum ou parviendra-t-on à constituer une équipe puissante, à l'instar du comité du patrimoine mondial, créé à l'époque grâce à M. Mayor, dans le cadre de la convention de 1972, que l'on peut comparer avec la convention qui nous est soumise aujourd'hui ? La France apporte d'ailleurs un soutien constant au fonctionnement de ce comité.

L'organisation de ces structures ne s'improvisera pas, d'où la nécessité d'anticiper.

Il importe de réfléchir aux politiques à mener. Se contenter d'adopter une position d'observateur, de compter les points et de prendre connaissance d'un rapport bisannuel est très décevant.

La France doit absolument garder la même stratégie d'anticipation, en s'appuyant sur ses réseaux, pour envisager une politique dès maintenant, avant même que cette convention soit ratifiée, car elle aura un poids politique et psychologique considérable dans le monde. Elle ne doit pas baisser la garde !

À l'extérieur de l'UNESCO, nous disposons d'un réseau mondial puissant dans le domaine culturel, comprenant plus de mille alliances.

Nous avons également cent cinquante centres culturels, mais, comme nous le savons tous, madame la ministre, ce réseau ne va pas bien du tout.

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