À travers l'expérience du plus gros drame sanitaire du XXe siècle, celui de l'amiante, les membres de la mission d'information du Sénat ont enquêté sur le dispositif français de prévention des risques professionnels.
Au lendemain de la publication du rapport de cette mission sénatorial, le Premier ministre a immédiatement déclaré que le Gouvernement entendait « réparer les dommages considérables de l'amiante et éviter que de tels drames ne puissent se reproduire ».
Nous espérions, en conséquence, qu'un débat serait réservé à l'examen des conclusions de notre rapport. Mais rien n'a été décidé à cette heure. Affaire à suivre.
Pourtant, des suites doivent lui être données. Comment, en effet, laisser en l'état un système de prévention, en sachant qu'il souffre encore de nombreuses lacunes ? La branche AT-MP de la CNAMTS ne joue pas pleinement son rôle en matière de prévention des risques liés au travail. Les employeurs, sur lesquels repose la responsabilité de la santé des salariés, n'ont toujours pas intérêt à investir dans la prévention. Quant aux médecins du travail, qui disposent, comme outil principal, du certificat d'aptitude, ils cautionnent des conditions de travail inacceptables et donnent leur aval pour des expositions à des produits dangereux alors que leur mission devrait être la prévention primaire.
Manifestement, rien ne garantit aujourd'hui que nous soyons désormais à l'abri des compromis acceptés hier sur la santé des travailleurs pour des raisons économiques. Regardons, pour nous en convaincre, l'évolution du projet de réglementation européenne REACH. Afin que sa logique de marché soit sauvegardée, la puissante industrie chimique est en passe d'obtenir l'allègement des données et des informations à fournir. S'agissant des éthers de glycol - reconnus comme cancérigènes et reprotoxiques, et qui sont, de fait, interdits aux consommateurs -, cherchons également à savoir pourquoi il est si difficile aux pouvoirs publics français d'appliquer aux travailleurs le principe de précaution.
Il ne suffit pas de prétendre que la problématique de la santé au travail est traitée comme une composante à part entière de la santé publique pour nous en convaincre.
Encore faut-il dépasser le stade du diagnostic, agir de façon structurelle et ne pas simplement donner l'illusion en affichant notamment un plan « santé au travail » plombé par un manque de moyens humains et financiers, plan que nous soutenons dans son esprit.
Encore faut-il ne pas tout attendre des partenaires sociaux dans le domaine de la gouvernance et de la tarification des AT-MP, surtout lorsque que l'on sait que le MEDEF n'accepte de négocier que contraint et forcé par la petite augmentation du taux de cotisation AT-MP, et qu'il le fait dans l'optique de préserver un dispositif d'indemnisation garantissant la cotisation de l'employeur indépendamment des dégâts occasionnés aux salariés et des coûts qu'il engendre.
Encore faut-il, monsieur le ministre, ne pas décrédibiliser cette action en déstructurant la qualité de l'emploi, en s'attaquant sans cesse au code du travail et en permettant que l'on puisse négocier au niveau de l'entreprise des dérogations en ce domaine.
La santé au travail figure parmi vos priorités, dites-vous. Pourtant, monsieur le ministre, nous ne débattons jamais ensemble des réformes globales à mettre en oeuvre, nous n'approchons pas spécifiquement et sérieusement ces questions.
La Cour des comptes, dans son rapport de septembre 2005 sur la sécurité sociale, déplore que les recommandations faites à la suite du rapport public de 2002 sur la gestion du risque AT-MP tardent à être traduites en actes. C'est notamment vrai s'agissant de la rénovation du système de tarification, du développement des outils statistiques et de la capacité d'expertise permettant de mieux connaître les risques professionnels. Un bilan serait utile afin de savoir précisément si les objectifs de votre plan et le calendrier fixé sont respectés.
En outre, il est assez symptomatique de remarquer qu'à l'occasion de l'examen de ce PLFSS le sujet soit traité uniquement au détour de trois articles.
Il est tout aussi éclairant de remarquer que depuis maintenant quatre ans le Gouvernement soumet un PLFSS présentant une branche AT-MP déficitaire, et ce en dépit du principe d'équilibre spécifique à cette branche posé par l'article L. 242-5 du code de la sécurité sociale. Ce principe commande que les recettes - les cotisations des employeurs - couvrent les charges résultant de la réparation des AT-MP déclarés, reconnus et indemnisés.
On tente de nous faire croire que les fonds amiante, dont les dépenses ont fortement progressé ces dernières années, seraient responsables de cette situation financière négative, légitimant du même coup l'idée selon laquelle les dépenses d'indemnisation au titre de l'amiante seraient exorbitantes et mériteraient d'être réduites.
C'est un moyen trop facile pour le Gouvernement de passer sous silence les vraies causes du déficit de la branche et de s'exonérer ainsi de sa responsabilité.
La croissance des dépenses dues à l'indemnisation des victimes de l'amiante et à une meilleure reconnaissance des maladies professionnelles était prévisible. Or, au cours de la période 2000-2004, alors que les dépenses augmentaient de 32 %, le Gouvernement a non seulement fait le choix de ne pas ajuster le taux de cotisation, mais, de surcroît, il a abaissé le taux net des cotisations de 2, 2 % à 2, 185 % de la masse salariale.
Volontairement, vous avez contribué à rendre cette branche déficitaire. Vous êtes bienveillant à l'égard de ceux qui sont à l'origine des risques. Pire, vous confortez leurs comportements frauduleux en reconduisant, d'année en année, un montant ridicule de reversement de la branche AT-MP à la branche maladie au titre des charges indûment supportées en raison des AT-PM non déclarées.
Votre attitude est dommageable pour les comptes de la sécurité sociale et particulièrement contreproductive en termes de prévention. Combien de drames de l'amiante faudra-t-il pour que les impératifs de santé publique ne s'arrêtent plus aux portes de l'entreprise ?