La branche AT-MP connaît depuis plusieurs années une situation déficitaire tout à fait nouvelle, qui est due, selon nous, à plusieurs facteurs. Bien entendu, l'indemnisation des victimes de l'amiante a été en quelque sorte l'élément déclencheur. Mais cela ne doit pas nous dissimuler des difficultés plus profondes, plus anciennes, et, surtout, ne doit pas nous empêcher de mesurer les problèmes à venir.
La sous-évaluation des accidents du travail est un phénomène chronique et récurrent dû pour une large part à la pression des employeurs, qui ne veulent pas voir augmenter leurs cotisations.
Quant aux maladies professionnelles, il est désormais reconnu qu'elles sont encore largement sous-estimées, pour au moins deux raisons. D'une part, elles se déclarent souvent plusieurs années après qu'a cessé l'exposition à des substances dangereuses ; d'autre part, toutes les maladies provoquées par ces substances ne sont pas encore clairement identifiées.
Je rappelle que les rapports officiels du ministère du travail attestent une situation d'une extrême gravité.
Deux millions trois cent soixante-dix mille salariés sont exposés à un ou à plusieurs produits cancérigènes. Cent quatre-vingt mille sont exposés à des produits reprotoxiques tels que le benzène et les éthers de glycol. Enfin, cent quatre-vingt-six mille sont exposés à des produits mutagènes tels le plomb et ses dérivés.
Les exploitants et les salariés agricoles sont depuis quelques années massivement - le mot n'est pas trop fort - frappés par des maladies du cerveau et du système nerveux, qui ont pour cause l'utilisation de pesticides.
Et nous connaissons tous l'importance des troubles musculo-squelettiques dus à une mauvaise ergonomie des postes de travail.
Tels sont les faits générateurs. Qu'en est-il de la prévention et de la réparation ?
Le plan « santé au travail » annoncé par le Gouvernement, ambitieux dans ses objectifs, est à peu près au point mort. La négociation entre les partenaires sociaux afin de présenter des propositions de réforme de la gouvernance de la branche AT-MP n'a même pas réellement commencé. La grande agence de sécurité au travail s'est réduite à un appendice de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale, avec seulement une dizaine de recrutements annoncés pour cette année.
En revanche, le nombre d'étudiants en médecine destinés à la médecine du travail ne dépasse pas la dizaine, ce qui est étonnant au regard des ambitions affichées.
Il faut sans doute s'inquiéter de voir ainsi diminuer le nombre de professionnels compétents pour dépister les troubles et les affections dont sont victimes les salariés et pour en signaler les causes.
Selon une théorie malheureusement trop répandue dans certains cercles patronaux, si le nombre de maladies professionnelles augmente, c'est parce qu'on les détecte trop bien aujourd'hui. Au lieu de résoudre le problème, mieux vaudrait donc les dissimuler et laisser le poids des cotisations et de la réparation à la branche maladie, financée par les ménages, plutôt qu'aux employeurs.
J'ajoute, enfin, que le nombre d'inspecteurs du travail n'augmente toujours pas, ce qui nous place dans le peloton de queue des pays industrialisés. Là aussi, il s'agit d'une profession gênante pour ceux qui préfèrent ignorer les risques auxquels sont soumis les salariés.
Le scandale de l'amiante a conduit à un premier pas vers l'objectif de réparation intégrale, mais la diversité des modes et des montants d'indemnisation est aujourd'hui profondément injuste et n'est absolument pas viable.
Je cite le rapport de la Cour des comptes sur la branche AT-MP : « L'évolution des dépenses et la situation financière de la branche résultent, pour une large part, de problèmes de fond. La situation et les perspectives de la branche devraient inciter à des réformes plus profondes. Faute d'une adaptation longuement différée, la branche se trouve devant un cumul de difficultés : croissance prévisible des dépenses dues à l'indemnisation des victimes et au progrès des connaissances sur les maladies professionnelles... »