Intervention de Philippe Marini

Réunion du 27 juin 2006 à 16h20
Règlement définitif du budget de 2005 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Ce projet de loi de règlement va nous permettre de tourner une page de notre histoire budgétaire puisque, jusqu'ici, la loi de règlement était un exercice rétrospectif, comptable et ingrat, qui intéressait peu le Parlement. Avec la loi organique relative aux lois de finances, il en va différemment : la « reddition des comptes » devient l'heure de vérité. Enfin, nous pouvons concentrer nos débats sur la comparaison entre prévisions et réalisations.

Avant la LOLF, il était fréquent de comparer des prévisions aux prévisions et des réalisations aux réalisations. L'État ne s'était jamais astreint à cet exercice de nécessaire transparence qui consiste à comparer, fonction par fonction, programme par programme, la prévision au 1er janvier et la réalisation au 31 décembre.

Pour des raisons symboliques et afin que l'intitulé du projet de loi corresponde à la réalité, la commission des finances vous proposera un amendement tendant à rédiger ainsi cet intitulé : « Projet de loi portant règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2005 ».

Vos collègues du Gouvernement ont bien voulu se prêter à l'exercice des questions-réponses interactives et brèves qui, la semaine dernière en séance de commission, nous ont permis de passer en revue dix départements ministériels. Je crois pouvoir dire que les sénateurs des différentes commissions, et pas seulement les membres de la commission des finances, se sont impliqués dans cet exercice et ont bien voulu le faire vivre.

L'année 2005 est assurément une année de transition en matière de gestion budgétaire et comptable. Nous sommes en période de rodage ; il est encore difficile de bien juger des performances d'une machine, quelque peu lourde, qui se met en ordre de marche selon les nouvelles règles du jeu.

Il est vrai que la globalisation des crédits comporte quelques aspects déroutants. Il ne nous est plus possible de calculer, avec une précision suffisante, la progression des dépenses de fonctionnement, par exemple, ou de bien repérer le concept d'investissement auquel nous sommes habitués.

Des efforts restent donc à accomplir pour faciliter le passage d'un référentiel à l'autre, ainsi que pour mieux connaître les effectifs de l'État. Il faudra sans doute un jour y intégrer les personnels qui sont rémunérés non pas par l'État, mais par ses opérateurs, c'est-à-dire les établissements publics qui dépendent totalement de l'État.

Il convient de relever que le décalage entre le cadre des missions dans lequel s'apprécie dorénavant la performance et la réalité budgétaire et comptable soumise à l'approbation du Parlement ne disparaîtra pas totalement l'année prochaine, et ce pour une série de raisons.

Tout d'abord, les emplois sont comptabilisés au niveau des ministères et non des missions.

Ensuite, la responsabilité spécifique des directeurs de programme devra encore être précisée par rapport à celle des ministres.

Enfin, la non-correspondance entre la structure de la nomenclature budgétaire et l'organisation administrative peut aboutir à limiter les capacités de manoeuvre et l'autorité des responsables de programmes.

Nous allons donc nous appliquer ensemble à opérer cette transition de la meilleure façon possible.

L'année 2005 est une année de transition non seulement en termes de méthode, mais aussi en termes de politique budgétaire.

En 2004, l'ampleur du rétablissement, qu'il convient de rappeler, tenait, pour une large part, au caractère inattendu du retournement de la conjoncture et à l'amélioration particulièrement significative des comptes en raison de la prudence des estimations initiales, n'est-ce pas cher Alain Lambert ?

En 2005, la réalité se présente sous des abords plus classiques, avec moins d'écarts entre les prévisions initiales, les ajustements en cours de gestion par la loi de finances rectificative et les résultats définitifs figurant dans la loi de règlement.

En dépit du poids des mesures non reconductibles et bien que nous ne soyons toujours pas parvenus à atteindre le solde stabilisant la dette publique, la commission des finances considère que l'on est en droit de parler d'une année de consolidation budgétaire. Cette performance n'est pas mince eu égard aux incertitudes de la conjoncture que nous avons connue.

Le Gouvernement est parvenu, il faut vous en donner acte, monsieur le ministre, à atteindre ses objectifs dans des conditions que nous pouvons estimer, sur le plan des chiffres, globalement satisfaisantes.

Pour apprécier les résultats, il convient de distinguer le fond des choses de la manière.

D'une part, en faisant le lien avec le débat d'orientation budgétaire que nous aurons jeudi, je ne peux que répéter que l'heure n'est manifestement pas aux largesses budgétaires. La France reste plus que jamais en état d'urgence financière, comme l'a montré, parmi d'autres travaux, le rapport de Michel Pébereau.

D'autre part, s'agissant de la manière, la commission s'est efforcée de faire le tri entre des pratiques acceptables et celles qui le sont moins et qui ont vocation, de notre point de vue, à être rectifiées dans l'avenir.

Mais l'essentiel est de rappeler que le Gouvernement est parvenu à une consolidation, qui est loin d'être aussi négligeable que d'aucuns voudraient bien le dire.

Je citerai à cet égard trois exemples.

En premier lieu, il convient de noter la diminution très marquée des reports de crédits : ces « épées de Damoclès » de l'exécution budgétaire représentaient, à l'entrée de l'exercice 2005, 11, 9 milliards d'euros ; à la sortie de cet exercice, ils ne représentaient plus que 5, 2 milliards d'euros. Ce résultat est peut-être peu médiatique, mais il est réel ; il convient, monsieur le ministre, de vous en remercier et de saluer les efforts qui ont été faits, car ce résultat n'a évidemment pas été obtenu sans mal.

En deuxième lieu, il faut rappeler que le solde s'établit un peu en deçà de 3 %. Nous souhaiterions, certes, un meilleur taux, mais si nous regardons à l'extérieur de nos frontières en Europe, un tel résultat est à l'honneur de la France.

En troisième lieu, il importe de souligner, monsieur le ministre, que vous vous êtes astreint au respect des autorisations parlementaires de dépenses et que la règle « zéro volume » a été appliquée une nouvelle année sans défaillance.

Certains collègues ont évoqué en commission le rapport de la Cour des comptes. Bien entendu, nous avons été extrêmement attentifs, d'une part, aux propos du Premier président de celle-ci que nous avons auditionné et, d'autre part, au rapport écrit que cette institution nous a livré. S'il est vrai que quelques pratiques sont perfectibles, il n'en reste pas moins qu'aucune de ces pratiques n'est de nature à entacher la sincérité budgétaire globale de l'exercice.

D'ailleurs, la plupart des remarques formulées par la Cour des comptes portent sur des questions de répartition entre l'État et la Sécurité sociale. Je ne saurais négliger ces questions qui ont leur importance, mais, en termes de présentation consolidée et de résultats « maastrichtiens », en termes de comptes à rendre à nos partenaires de l'Union européenne, les chiffres du Gouvernement, qui caractérisent bien la réalité, me semblent tout à fait irrécusables. Sans doute, des progrès restent-ils à faire, mais c'est une autre affaire.

Dans le domaine des comparaisons des finances publiques des différents États européens, la commission des finances estime qu'Eurostat est un organisme tout à fait perfectible. Il devrait devenir un jour une véritable autorité veillant à la permanence des méthodes et aux conditions de comparabilité des budgets des différents États. Nous n'en sommes pas encore là, loin s'en faut !

La Cour des comptes a donc émis quelques critiques.

En ce qui nous concerne, nous ne saurions condamner la réforme des acomptes de l'impôt sur les sociétés. Car cette mesure, qui constitue une amélioration de la gestion de la trésorerie de l'État, ne se traduira pas par une dégradation du solde les années suivantes.

Il est vrai que nous avons observé le maintien de quelques pratiques discutables en matière de sous-budgétisation de certaines dotations, de retards de paiement générateurs de charges d'intérêts pour le budget ou d'arriérés de paiement de l'État au détriment de la sécurité sociale.

Les exemples en la matière sont connus : recouvrement de la créance de 1, 2 milliard d'euros sur l'UNEDIC ; versement de la CADES au budget général pour 3 milliards d'euros, lequel est considéré comme une opération budgétaire alors que la créance ainsi remboursée n'a jamais été comptabilisée en dépenses ; reprise de la dette du FFIPSA par le budget général, qui s'expose à la même critique.

La LOLF, mes chers collègues, est un outil que nous devons encore améliorer. Elle comporte naturellement beaucoup d'aspects positifs et constitue un levier efficace pour la réforme de l'État, mais elle ne saurait se substituer à la volonté politique qui, elle, permettra de réaliser cette réforme de l'État. En outre, nous devons sans doute nous défier, comme en toute chose, d'un perfectionnisme excessif : il ne faudrait pas mettre en place une bureaucratie « lolfienne », ou recentraliser des politiques à partir d'une application trop littérale des nouvelles dispositions.

La commission mesure, à l'occasion de l'examen de la loi de règlement, à la fois les progrès accomplis par les administrations et le chemin qui reste à parcourir pour que les principes de la loi organique soient appliqués non seulement dans leur lettre, mais aussi et surtout dans leur esprit.

Pour concrétiser mon propos, monsieur le ministre, je prendrai un seul exemple, celui de la comptabilité patrimoniale. Une telle réforme est, elle aussi, peu médiatique, mais elle est fondamentale en termes de concept. C'est une véritable innovation apportée par la LOLF et il nous faudra bien définir, tous ensemble, ce qu'est le bilan d'entrée de l'État.

Ainsi, il est prévu que les monuments historiques dont l'État est le détenteur en termes patrimoniaux soient valorisés, à partir de 2006, à l'euro symbolique. Il s'agit, selon moi, d'une erreur de gestion, car la dégradation de ces monuments ne sera pas constatée dans les comptes par le biais d'amortissements ou de provisions.

Or il paraît clair que la valeur minimale de ces monuments devrait correspondre à la valeur des travaux de maintien en l'état qu'il est inéluctable d'engager pour qu'ils continuent à exister ; il s'agirait de chiffrer les seuls travaux conservatoires, mais ce minimum devrait en toute logique représenter la valorisation desdits monuments historiques.

Si l'on procédait ainsi, on se conformerait aux principes de rigueur et de sincérité comptables, mais, surtout, on donnerait à l'opinion publique et à la représentation nationale une idée des travaux à engager pour que notre génération laisse à la suivante un patrimoine intact.

Le raisonnement que je développe en ce qui concerne les monuments historiques peut naturellement s'appliquer à beaucoup de catégories d'actifs qui vont se trouver comptabilisés dans le bilan de l'État.

C'est en même temps un exemple des avancées que la loi organique, si elle est bien mise en pratique, peut nous permettre de faire en termes de transparence des enjeux et de qualité de la gestion de l'État.

À la vérité, mes chers collègues, le peuple français, qui est l'usager des services publics, a le droit de savoir et de bénéficier de prestations de la collectivité calculées au meilleur coût, financées de la meilleure façon possible : c'est un témoignage de respect à l'égard de nos électeurs, à l'égard du peuple français dans son ensemble, que de bien gérer l'argent public.

Bien entendu, monsieur le ministre, lorsque vous vous inquiétez, s'agissant de certains projets aventureux, en matière de gestion économique et budgétaire, la majorité de la commission ne peut que vous suivre et mettre en garde : l'heure n'est pas aux largesses, elle est à la bonne gestion ! C'est par la bonne gestion que l'on retrouvera les marges de manoeuvre qui rendront à l'État sa crédibilité, car un État sans marges de manoeuvre est un État impuissant, un État où ne se joue plus qu'un théâtre d'ombres, ...

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