Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 3 décembre 2008 à 22h15
Loi de finances pour 2009 — Développement agricole et rural

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits pour 2009 de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales » se déroule dans un contexte très particulier, caractérisé par le sombre bilan de santé de la PAC et par la crise financière mondiale.

La seule constante, si je puis dire, c’est de débattre à un moment où de nombreux secteurs de production agricole sont en crise, avec la particularité, en 2008, de ne pas avoir de difficulté à trouver les secteurs qui vont bien, tant ils sont rares.

Pour dresser un état complet de la situation, il faut ajouter l’échec des négociations au sein de l’OMC, qui favorise les accords bilatéraux au détriment d’une vision globale, nécessaire à l’équilibre alimentaire mondial. Faut-il préciser qu’un succès du cycle de Doha conduirait à une catastrophe encore plus grande, en livrant le monde entier, les plus faibles comme les plus forts, à la loi de la jungle du libéralisme le plus débridé ? Non, merci, on a déjà donné et ça risque de durer !

Faut-il inclure dans ce contexte la révision générale des politiques publiques, que nos libéraux nationaux appellent « rationalisation », alors qu’il s’agit d’en finir avec ce qui reste des anciens grands services publics, de livrer les secteurs rentables au secteur privé et de mutualiser les pertes des secteurs les moins attractifs pour le capital ?

Dernière touche au contexte, la crise alimentaire mondiale, qui touche désormais près d’un milliard d’individus. Sont-ils encore considérés comme des hommes dans ce monde devenu fou ? La crise financière y ajoutera bientôt 100 millions de personnes, à en croire les fameux experts.

Je vous fais grâce du Grenelle de l’environnement, qui demeure pour l’instant un pavé de bonnes intentions et qui donne bonne conscience à celles et ceux qui en parlent avec gourmandise, mais sans ouvrir le porte-monnaie.

Le tableau est dressé, il n’est pas brillant ; il est même dramatique. Mais il traduit plutôt bien ce à quoi nous pouvions nous attendre au regard des multiples dispositions prises ces dernières années, tant par la France que par l’Europe ou l’OMC.

S’agissant des crédits de cette mission, je me contenterai de citer le rapport de la commission des affaires économiques : ce budget contraint « limite les dégâts », « permet de continuer à financer le noyau dur des actions portées par le ministère », mais subit « une baisse de 13% de ses dotations en CP d’ici 2011 ». Ce n’est guère réjouissant pour ce budget national, qui, avec 5 milliards d’euros, ne constitue qu’une partie mineure des concours publics à l’agriculture – 15, 7 % –, eu égard à la prévalence du budget communautaire : 73%.

Nous pouvons donc nous demander, de façon légitime, à quoi peut servir le budget agricole, partie nationale. À quoi doit-il servir prioritairement ? Comment peut-il être utile au monde agricole dans sa diversité, à son niveau de revenu, à sa capacité à structurer durablement l’espace rural en accomplissant sa mission prioritaire : nourrir les hommes ?

Dans la mesure où les chiffres pèsent peu et où l’augmentation des crédits n’est pas à l’ordre du jour du Gouvernement, bien au contraire, il me semble de plus en plus évident qu’il faudrait se doter d’outils législatifs permettant d’assurer une stabilité des revenus, de garantir des productions qui répondent aux attentes des consommateurs en qualité et quantité et de structurer l’espace rural au travers de tous les modes et tailles d’exploitations. Car il s’agit de familles, qui sont beaucoup plus heureuses là où elles sont que dans les banlieues, où elles iraient grossir le nombre de ceux qui sont dans la misère.

Ces dernières années, la loi d’orientation agricole, la loi relative au développement des territoires ruraux, la loi Dutreil et, plus récemment, la loi de modernisation de l’économie ont contribué à conforter une conception entrepreneuriale de l’agriculture, une forte concentration des exploitations et, surtout, une agriculture désarmée face aux centrales d’achat et à la grande distribution.

Dernier exemple en date, l’article 59 ter du projet de loi de finances : à l’instar de la loi de modernisation de l’économie, il vise à accentuer la concurrence libre et non faussée voulue par la réglementation communautaire. En adoptant cet article, mes chers collègues, vous condamnerez des dizaines de milliers de producteurs laitiers non seulement en Bretagne, mais aussi en zone de montagne et dans tout l’Hexagone.

Le regroupement des offices agricoles dans une même structure, pour ne pas dire dans un même sac, contribue également à neutraliser le rôle de régulation du marché pour lequel ils ont été conçus initialement.

Pour ce qui concerne l’installation des jeunes, ce budget semble enfin aller dans le bon sens, tout en restant modeste. Je m’interroge néanmoins sur la réalité des moyens nécessaires pour mettre en œuvre les objectifs du Grenelle de l’environnement, notamment le passage de 1, 4 % à 6 % en 2012 et à 20 % en 2020 des surfaces agricoles consacrées à l’agriculture biologique. C’est demain, monsieur le ministre !

Je m’interroge également sur le manque de dispositions qui pourraient rendre incontournable l’installation ou la conversion de milliers d’exploitations biologiques peu consommatrices de terres et d’intrants polluants. Je sens que l’on va s’amuser, dans les CDOA ! J’aimerais, monsieur le ministre, connaître votre sentiment sur ce point précis, qui n’engage que ceux qui veulent bien y croire.

Quant au plan ECOPHYTO 2018, il vise à réduire de 50 % l’usage de pesticides, notamment par le retrait des 53 molécules les plus dangereuses. J’ai lu avec la plus grande attention les huit axes de ce plan, mais je n’ai rien vu de lisible en matière de recherche de molécules de substitution non nocives pour les humains et la biodiversité. Il est vrai que la recherche coûte cher. Pour le reste, les huit axes vont plutôt dans le bon sens. Mais restons prudents, car le lobbying des marchands de poison est déjà à l’œuvre – encore une histoire de « gros sous » ! – et les résistances de la profession sont également très fortes.

J’en viens aux Haras nationaux. L’État se désengage progressivement de ses missions et ferme des sites. En Bretagne, ceux de Lamballe et Hennebont demeurent ; ils réalisent un travail exemplaire, tant pour la conservation des races que pour l’animation équestre. Il faut préserver ces outils, monsieur le ministre, car ils sont à la Bretagne ce que le cheval est à l’homme : sa plus belle conquête !

Dans le cadre de la préparation de ce projet de budget, nous avons été interpellés par les associations de développement et d’animation du milieu rural. À l’instar de ce qui se passe au sein du budget de l’éducation nationale pour les mises à disposition, elles se voient dépourvues de crédits et ne peuvent guère s’inscrire dans les opérations du compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural, le CAS-DAR, qui ne semble pas être l’outil adapté à leurs missions. Ces coupes sévères signifient la mort du lien social en milieu rural. Aussi, nous demandons que les crédits soient intégralement rétablis.

Ce qui pose avant tout problème à l’agriculture française et à son avenir, c’est la question des revenus, qui sont le plus souvent en baisse ; ils sont irréguliers au gré des crises, déséquilibrés selon les productions, incertains en raison du régime des aides de la PAC et écrasés par les marges des centrales d’achat et de la grande distribution.

La table ronde qui s’est tenue en urgence à la préfecture de région à Rennes, samedi dernier, témoigne de la priorité qu’accorde le monde agricole à la question vitale des revenus et aux relations avec la grande distribution. Aucun gouvernement n’est parvenu, jusqu’à présent, à résoudre l’équation suivante : des prix rémunérateurs pour les producteurs ; des prix abordables pour les consommateurs ; des marges raisonnables pour les voleurs de la grande distribution.

Ce serait possible, à condition, bien sûr, de ne pas faire un préalable de la concurrence libre et non faussée et de tout l’arsenal libéral en place, qui légalise et pérennise le « banditisme » commercial.

Le bilan de santé de la PAC demeure, de loin, l’élément qui inquiète le plus l’ensemble de la profession : la remise en cause des aides, qui constituent aujourd’hui 50 % du revenu des agriculteurs, et la fin des dispositifs de régulation – offices, quotas laitiers, découplage généralisé – ont effectivement de quoi inquiéter et même démoraliser le monde agricole.

Monsieur le ministre, je vais vous citer la réaction au bilan de santé d’une personne que vous connaissez bien et qui ne peut être taxée de « dangereux gauchiste » : « C’est une décision irresponsable. Cet accord symbolise la fin de la régulation des marchés. Alors que la crise financière est omniprésente, que la crise économique est de plus en plus prégnante et que la crise alimentaire semble permanente, la Commission et les ministres sont restés figés sur un schéma dogmatique libéral, sans tenir compte du contexte européen et mondial.

« La stratégie de la Commission de Bruxelles, “le marché, rien que le marché, tout le marché”, ne peut avoir que des conséquences graves pour les producteurs et les consommateurs.

« Pour les produits laitiers par exemple, l’augmentation des quotas laitiers est une ineptie au moment où partout en Europe, les producteurs subissent des baisses de prix importantes. »

Il s’agit de la réaction de Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA. Je n’ai rien à ajouter !

Il est vrai qu’en cette période de crise du système capitaliste et ultralibéral les commissaires européens auraient été bien inspirés de ne pas en remettre une louche. C’est indécent !

« Les marchés sont devenus fous », disent-ils. Non, ce sont les hommes qui sont devenus fous ! Gandhi affirmait que « la terre peut satisfaire les besoins de tous, mais pas la cupidité de tous ».

Les glissements autorisés du premier pilier de la PAC vers le second visent à capter l’opinion publique sensible aux questions environnementales et à justifier les dérégulations en cours. Certes, les actions visées par le second pilier sont indispensables, mais rien ne justifie la disparition de l’ensemble des instruments de régulation et la baisse progressive des aides.

En Bretagne, première région agricole de France, les producteurs de lait sont en colère. Pendant plusieurs jours, ils ont bloqué les plateformes logistiques de la grande distribution. La fin programmée des quotas en 2014, leur augmentation de 1 % par an et la pression des laiteries sur le prix du lait constituent le cocktail explosif idéal pour exaspérer la profession. Le compromis qui a été trouvé hier fait état de baisses allant de 25 euros à 55 euros la tonne d’ici au mois de mars 2009.

Selon l’Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers, l’ONILAIT, la France ne compterait plus que 75 000 exploitations laitières en 2010, contre 133 000 en 1998. La concentration va être extrême.

Il est urgent de maintenir tous les instruments de régulation, de favoriser le stockage des matières premières, avec une marge d’environ six mois, comme le fait la Chine aujourd’hui.

Il est urgent de décourager par tous les moyens, juridiques et fiscaux, la spéculation sur les denrées alimentaires, véritable crime contre l’humanité. Un clic d’ordinateur peut tuer beaucoup plus que des armes conventionnelles, dans ce cas précis !

Il est urgent de rétablir les règles de préférence communautaire qui sont bafouées.

La crise alimentaire mondiale n’aurait pas eu lieu sans les spéculateurs ; un déficit mondial de production des céréales de 3 % s’est traduit par une augmentation du prix de ces denrées de 100 % en 2007. Certes, les productions sont soumises à de multiples aléas climatiques et sanitaires, mais l’aléa spéculatif peut être évité.

Dans le monde, 30 millions d’agriculteurs ont des tracteurs, plusieurs centaines de millions utilisent la traction animale et plus d’un milliard ont recours à la houe. Ces derniers sont les premiers à souffrir de la faim, ce qui est un comble.

Selon un rapport de l’ONU, 82 milliards d’euros devraient suffire à résoudre les épidémies et la faim sur la planète. C’est finalement peu au regard des 2 000 milliards d’euros prévus pour renflouer les spéculateurs européens du système bancaire.

Nous sommes contraints de constater que ni le budget, ni les politiques agricoles françaises, ni les orientations européennes de la PAC ne correspondent aux attentes du monde paysan et aux défis mondiaux. Aussi, nous ne voterons pas ce projet de budget et formons le vœu qu’un ressaisissement, une prise de conscience, une réorientation profonde inspirent les vingt-sept pays membres de l’Union européenne en 2009.

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