Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous débattons des crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales » du projet de loi de finances pour 2009 quelques jours après l’adoption, par l’Assemblée nationale, du projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, mais avant l’examen de ce même texte au Sénat.
Or il est une vérité que nous partageons tous : les engagements pris à la suite du Grenelle de l’environnement ne deviendront effectifs que s’ils se traduisent par des engagements budgétaires concrets. À cet égard, si l’on en retrouve quelques éléments dans le projet de budget que vous nous proposez, monsieur le ministre, les ombres qui pèsent sur notre modèle agricole en crise – lui aussi ! – ne sont toujours pas dissipées.
Je relève, certes, quelques dispositions favorables au développement de l’agriculture biologique – j’y reviendrai ultérieurement –, mais je ne peux que dénoncer avec la plus grande fermeté le soutien apporté au développement des agrocarburants, à hauteur de 1 milliard d’euros d’argent public.
Je suis au regret de devoir rappeler à la Haute Assemblée les problèmes graves posés par le développement des agrocarburants de première génération, qui ne présentent pas un intérêt suffisamment significatif, en termes de bilan global d’émission de gaz à effet de serre, pour être ainsi subventionnés.
En effet, les cultures industrielles dédiées à la production d’agrocarburants de première génération ont une incidence très négative sur l’environnement, notamment sur la qualité des eaux et des sols, ainsi que sur la biodiversité.
Je me dois également de rappeler, à cet instant, les mises en garde de Jean Ziegler, rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation pour l’ONU, à propos du développement des biocarburants. Selon lui, loin de diminuer la faim dans le monde, le développement des biocarburants va l’aggraver : « Cet empressement […] revient à courir à la catastrophe. Cela risque d’entraîner une concurrence entre nourriture et carburant qui laissera les pauvres et les victimes de la faim des pays en développement à la merci de l’augmentation rapide du prix des aliments, des terres vivrières et de l’eau. »
C’est pourquoi, à l’instar du rapporteur spécial des Nations unies et de nombreuses organisations non gouvernementales en Europe et dans le monde, mon groupe demande un moratoire immédiat sur la production de ces agrocarburants de première génération.
Par ailleurs, dans notre pays, ces agrocarburants bénéficient indûment de l’appellation « biocarburants », alors qu’ils ne répondent en rien aux critères imposés à la filière biologique.
Au mieux, cet usage apparu dans le Journal officiel résulte d’une traduction erronée du terme anglais biofuel, qui ne prête pas à confusion dans les pays anglo-saxons dans la mesure où les produits issus de l’agriculture biologique y sont qualifiés d’organic. Au pire, cette appellation de « biocarburants » vise à entretenir la confusion au sein du grand public et parmi les consommateurs, en s’appuyant sur l’image positive du « bio » pour vendre un concept fallacieux sur le plan environnemental et dangereux pour la sécurité alimentaire mondiale.
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à mettre un terme au subventionnement inacceptable des ces agrocarburants de première génération et à désamorcer cette « pompe à finances publiques » qui profite, une fois encore, au lobby céréalier ? Êtes-vous prêt, également, à abandonner une fois pour toutes cette appellation parfaitement erronée de « biocarburants » ?
Cela étant dit, je tiens à revenir sur le sort de la filière « bio », la vraie. Je salue votre volonté de soutenir cette filière, affichée lors de l’inauguration des assises nationales de l’agriculture biologique, avec une enveloppe supplémentaire annuelle de 12 millions d’euros accordée pour atteindre l’objectif fixé lors du Grenelle de l’environnement de tripler la surface consacrée à l’agriculture biologique.
Cela se traduit, aujourd’hui, par la décision de doubler le crédit d’impôt, par le déplafonnement des aides à la conversion à l’agriculture biologique et par l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties pour les exploitations converties à l’agriculture biologique.
Si ces mesures vont dans la bonne direction, elles posent cependant quelques petits problèmes d’ordre technique : en effet, à la lecture du projet de budget pour 2009, nous nous apercevons que le doublement du crédit d’impôt ne sera effectif que pour le revenu de 2009, c’est-à-dire qu’il n’apparaîtra dans les trésoreries des paysans qu’en 2010 !
En outre, l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties ne concerne pas les exploitations déjà engagées dans l’agriculture biologique. De plus, elle reste à la charge des communes !
En tout état de cause, le problème de fond, monsieur le ministre, est que ces bonnes dispositions sont loin de répondre aux enjeux actuels, qui ont bien été mis en lumière lors du Grenelle de l’environnement.
Nous sommes soumis à une double nécessité.
Tout d’abord, il faut marquer une nécessaire rupture avec le modèle de production agricole dominant, productiviste, qui, pour reprendre les propos tenus devant la commission des affaires économiques par Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l’Académie d’agriculture et président honoraire de l’INRA, n’est pas loin de l’effondrement du mur des pesticides.
Ensuite, il est nécessaire de prendre sans tarder le virage qui s’impose vers un modèle de production agricole fondé sur l’agro-écologie et la valorisation durable des spécificités de nos territoires et de nos terroirs, plutôt que sur la fuite en avant dans la chimie ou les manipulations génétiques. Il s’agit, en quelque sorte, de mobiliser, mais aussi de réorienter les efforts de recherche et de formation.
En attendant la réforme nécessaire de la PAC, il convient, monsieur le ministre, de réaménager notre politique agricole en utilisant enfin des marges de manœuvre qui, quoi qu’on en dise, existent, mais restent toujours ignorées.
Quand donc allez-vous saisir les chances offertes par l’application de l’article 69 de la PAC, en mobilisant les 9 milliards d’euros d’aides du premier pilier selon des critères environnementaux précis ? Les conclusions du Grenelle de l’environnement nous y invitent instamment.
Cette éco-conditionnalité forte, attendue par nos concitoyens, doit reposer sur des critères techniques simples, efficaces et vérifiables : surfaces de compensation écologique, chargement en animaux, diversité et rotation des cultures, réduction des intrants, exclusion de certaines pratiques et de certains produits.
À cet effet, il importe de ne pas se référer au cahier des charges de l’agriculture dite « raisonnée », élaboré au sein du forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement, le FARRE, qui défend les intérêts conjoints de la frange productiviste de la profession agricole et de l’agrochimie.
Je vous propose plutôt de vous appuyer sur les outils qui ont été développés avec succès au sein de votre ministère. Je pense ici aux indicateurs de durabilité des exploitations agricoles, à l’élaboration desquels j’ai eu le plaisir de collaborer naguère en tant qu’ingénieur du génie rural, des eaux et des forêts, et qui, de mon point de vue, peuvent servir de base d’évaluation des systèmes de production agricoles et des pratiques effectivement durables.
À court terme, les engagements du Grenelle de l’environnement ne pouvaient pas ne pas déboucher sur des dispositions fiscales claires, propres à infléchir les pratiques agricoles dans le sens du respect de l’environnement. Je pense, notamment, au renforcement des taxes et des redevances sur les pollutions et sur la consommation de ressources naturelles, ainsi qu’à la mise en place d’une taxation dissuasive des pesticides. Hélas, en la matière, les dispositions fiscales proposées dans le projet de loi de finances sont surtout symboliques !
Au final, ce projet de budget est loin d’introduire la rupture nécessaire et attendue par nos concitoyens, mais aussi par l’immense majorité des paysans de France.
Ces paysans souffrent sur le plan économique. Ils souffrent également de ne pas être compris et ils continuent de subir de plein fouet les effets désastreux d’une déclinaison de la PAC à la française, construite sur les fameuses et détestables – j’ose le dire ! – références historiques.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il s’agit d’une des pires déclinaisons de la PAC au sein de l’Union européenne. Elle continue de profiter indûment à la minorité bien organisée et influente des grands céréaliers, au détriment des éleveurs extensifs.
Eu égard à l’ensemble de ces considérations économiques, sociales et environnementales, monsieur le ministre, les Verts voteront contre les crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales ».