Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 3 novembre 2011 à 9h30
Protection de l'identité — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ai le souvenir encore trop vif d’une expérience où nous avions confondu objectifs et moyens, et qui avait permis l’apparition sur le marché de nombreux « vrais faux » papiers, pour ne pas être très vigilante sur les mesures qui vont être prises ici.

Je vous ai écoutés, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, avec la plus grande attention. Je suis néanmoins obligée de dire que nous avons assisté, avec la modification apportée par l’Assemblée nationale à la proposition de loi telle que votée à l’unanimité en première lecture par le Sénat, non pas à un contournement mais à un véritable détournement de l’esprit initial du texte.

Rappelons-nous un instant quel était l’objectif de nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel, auteurs de cette proposition de loi heureuse et opportune. Il s’agissait d’éviter les risques de fraude à l’identité, un mal qui s’est développé de façon vertigineuse sous les effets conjugués de la malignité de délinquants peu scrupuleux et d’une insuffisante protection des données personnelles identitaires. Généraliser à l’ensemble de la population française un dispositif protecteur des libertés publiques et individuelles et éviter des drames dont vous avez souligné l’intensité : tel était l’objectif initial de la proposition de loi.

Pareille ambition exigeait une absolue vigilance sur les moyens à mettre en œuvre. Le Sénat avait, sur proposition de l’excellent rapporteur de la commission des lois, veillé à un parfait équilibre du texte de loi visant à rendre pleinement dissuasive toute tentative de fraude sans jamais permettre au dispositif choisi d’être utilisé à d’autres fins, notamment de recherche criminelle.

Le vote positif que j’avais exprimé au nom de tous les membres du groupe RDSE ne valait que parce que le fichier central créé reposait sur le principe du « lien faible », qui encadrait strictement les garanties juridiques autant que matérielles de la protection des libertés publiques et individuelles.

L’Assemblée nationale, en choisissant de supprimer à l’article 5 l’alinéa relatif à ce « lien faible », fait de cette proposition de loi un tout autre dispositif. Elle permet le fichage de soixante millions de personnes, la population française, en donnant la possibilité de croiser les données identitaires de base avec les empreintes biométriques et les images faciales numérisées.

Comment accepter que pareil fichier puisse trouver sa place dans un pays qui s’honore d’être le pays des droits de l’homme et qui ne peut accepter que soit progressivement rogné le champ des libertés publiques, en contradiction avec les principes posés dans notre Constitution ?

C’est donc tout naturellement et fermement que le retour au texte initial du Sénat s’impose à nous, qui sommes les gardiens en même temps que les garants de ces principes.

Le texte issu de la commission qui nous est proposé aujourd'hui respecte les garanties fondamentales de l’individu, lui apporte la protection qu’il est en droit d’attendre de notre système judiciaire et le préserve de ces démarches intrusives qui ne cesseraient, si l’on n’y prenait pas garde, de l’emprisonner.

La CNIL est là, fort opportunément, pour veiller à ce que pareil enfermement soit rendu très difficile, à défaut d’être impossible. Elle a su montrer sa capacité à résister à des mesures intempestives et privatives de liberté. Ses avis ont utilement éclairé ce texte. Il suffit, comme cela nous a été rappelé à l’instant, de se référer à sa note d’observations du 25 octobre dernier.

Pour ces raisons, les membres du groupe RDSE conditionneront leur vote positif au retour au texte initial du Sénat, amendé lors du dernier examen en commission des lois pour exclure explicitement que le fichier central créé puisse faire l’objet d’un système de reconnaissance faciale. Seules ces dispositions garantissent l’équilibre voulu sur ces travées entre protection des libertés publiques et individuelles, prévention des fraudes et assurance de la parfaite faisabilité concrète du fichier.

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