Intervention de Michel Houel

Réunion du 3 novembre 2011 à 9h30
Protection de l'identité — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel HouelMichel Houel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, se faire voler son identité, sur la Toile ou dans la vie courante, une seule fois ou pour une durée plus ou moins longue, est un danger dont les Français sont de plus en plus conscients. « Le phénomène n’est plus inconnu », souligne une étude récente du CSA.

En effet, 86 % des Français ont déjà entendu parler de l’usurpation d’identité, généralement commise pour obtenir des avantages financiers – ouverture de crédit, obtention d’aides sociales –, pour se prévaloir indûment de la nationalité française ou, pis, pour commettre des malversations plus graves encore.

Si ce risque est jugé élevé par 65 % des Français, ces derniers ne se sentent paradoxalement pas visés puisque trois personnes sur cinq s’estiment à l’abri de cette mésaventure. Pourtant, l’usurpation d’identité ferait plusieurs dizaines de milliers de victimes tous les ans en France. Le chiffre de 213 000 personnes a même été avancé, mais je ne suis pas convaincu qu’un tel niveau soit réellement atteint.

De plus, la fabrication et l’usage criminel des fausses identités progressent considérablement, en qualité comme en gravité. La même enquête du CSA indique : « La criminalité identitaire a sensiblement évolué entre 2005 et 2010. Les vols d’identité se maintiennent à moins de 2 %, alors que depuis 2005, les cas d’usurpation d’identité ont doublé, passant de 15 % à 30 %. »

Neuf Français sur dix pensent que, lorsqu’on est victime de ce type d’infraction, il est compliqué de faire valoir ses droits, et ce malgré les avancées de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure de mars 2011, qui reconnaît l’usurpation d’identité comme infraction principale et prévoit de la punir d’une peine de deux ans de prison et de 20 000 euros d’amende.

Dans la vie courante, la transmission de données personnelles est un passage obligé pour ouvrir un compte, louer un appartement, souscrire un abonnement : 78 % des Français déclarent avoir fourni au moins une copie papier de leurs données personnelles au cours des douze derniers mois et 55 % d’entre eux ont transmis ce type d’information en ligne, une pratique heureusement moins courante. La protection des données sur la Toile est d’ailleurs considérée comme moins sûre par 77 % des sondés.

J’insisterai également sur les conséquences extrêmement traumatisantes de ces infractions pour les personnes qui en ont été victimes, et dont la vie s’est parfois trouvée anéantie : nous avons tous eu connaissance, dans les médias, de témoignages bouleversants.

Aussi, afin de lutter efficacement contre ce nouveau fléau, j’ai présenté cette proposition de loi avec mon collègue Jean-René Lecerf, qui a fourni un travail considérable pour l’élaboration du texte, travail que je tiens à saluer. L’objectif initial était bien de donner à nos concitoyens l’assurance que leur identité serait protégée et qu’il serait, à l’avenir, mis fin aux usurpations beaucoup plus rapidement qu’aujourd’hui.

Cette proposition de loi constitue donc une occasion pour le Parlement de se prononcer sur les moyens d’assurer la sécurité de l’identité tout en respectant l’indispensable équilibre entre les impératifs de préservation de l’ordre public et les exigences de protection des libertés individuelles. Elle vise à garantir une fiabilité maximale des cartes nationales d’identité et des passeports.

Nos collègues de l’Assemblée nationale l’ont d’ailleurs bien compris puisqu’ils nous ont suivis sur la quasi-totalité du texte. Il reste, en revanche, un point de désaccord qui me semble fondamental.

En effet, pour lutter contre l’usurpation d’identité, la proposition de loi met en place une base centrale de données biométriques. Le recours à ce fichier central aura pour objet de garantir qu’une même personne ne pourra disposer de deux identités différentes puisque ses empreintes biométriques ne pourront correspondre qu’à une seule identité.

L’Assemblée nationale a adopté une position radicalement opposée et a jugé utile d’autoriser la recherche d’identification d’un individu à partir des empreintes digitales enregistrées dans le fichier central. Résultat : l’équilibre entre l’objectif de lutte contre l’usurpation d’identité et l’exigence absolue de protection des libertés publiques est rompu.

L’article 5 du texte voté par le Sénat en première lecture, qui fait l’objet du désaccord avec l’Assemblée nationale, en prévoyant d’interdire toute possibilité de croisements entre les éléments d’état civil et les données biométriques prend sans doute des précautions disproportionnées au regard des objectifs à atteindre. Je rappelle néanmoins que l’exposé des motifs précisait : « La confrontation des caractéristiques biométriques d’une personne avec celles figurant dans le composant électronique ou la base centrale permettra de confondre les fraudeurs. »

Il faut, me semble-t-il, donner à nos concitoyens des garanties leur permettant de s’assurer que nous allons réaliser ce que nous promettons.

Au regard des débats qui ont eu lieu et des multiples questions que suscite l’actuelle rédaction du texte, je vous recommande d’en revenir au texte initial, qui tendait à garantir la cohérence entre les objectifs visés.

Ainsi, la commission des lois a souhaité limiter l’usage du fichier biométrique à la seule lutte contre la fraude à l’identité, en doublant les garanties juridiques de garanties matérielles et en interdisant son utilisation dans le cadre de recherches criminelles.

Elle a également souhaité encadrer les vérifications d’identité effectuées à partir des données biométriques, conformément aux recommandations formulées par la CNIL, et a voulu donner à l’usager la pleine maîtrise de la fonctionnalité d’identification électronique de la carte d’identité, afin d’éviter que ceux qui la refusent ne soient évincés de certains services.

Mes chers collègues, je vous encourage donc à suivre les propositions de la commission les lois en rétablissant l’article 5 dans sa rédaction initiale. Je vous rappelle, s’il en est besoin, que l’assemblée à laquelle nous appartenons reste le garant de l’équilibre de nos institutions, de la protection des libertés et de la défense des valeurs qui fondent la République. N’ouvrons donc pas aujourd’hui une brèche que nous pourrions un jour regretter.

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