Intervention de Françoise Cartron

Réunion du 3 novembre 2011 à 15h00
Patrimoine monumental de l'état — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi

Photo de Françoise CartronFrançoise Cartron :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque année, l’engouement formidable de millions de Français et d’étrangers pour les Journées du patrimoine nous montre toute l’importance que revêt notre héritage monumental, et nous rappelle toute l’attention que nous devons porter à sa protection et à son entretien.

Par conséquent, deux grands principes doivent guider notre travail de législateur. D’une part, la préservation de notre passé collectif doit toujours relever de l’intérêt supérieur défendu par la loi. D’autre part, l’implication des collectivités territoriales dans le domaine du patrimoine, que nous défendons également, doit s’inscrire dans le cadre de la défense de cette conscience collective, et uniquement dans ce cadre.

Dans ce dessein, il est légitime, et sûrement nécessaire, que l’État se tourne vers les collectivités locales, et inversement, afin d’assurer la bonne gestion et la préservation de nos monuments historiques.

Cette association, que le groupe socialiste-EELV soutient, ne peut cependant se faire qu’à une triple condition.

Premièrement, il est nécessaire que les règles qui encadrent cette coopération soient assez claires et précises pour éviter tout risque de démantèlement ou de dépeçage de nos ensembles patrimoniaux et de nos collections.

Deuxièmement, il importe que ces mêmes règles, se voulant plus protectrices, ne viennent pas au final mettre en danger financièrement ou juridiquement, ou sur les deux plans à la fois, les collectivités locales, à qui l’on pourrait, demain, transférer des biens monumentaux.

Enfin, nous souhaitons que cette association ne soit en aucun cas l’occasion de spéculer ou de réaliser des opérations financières, et que la valorisation des biens et l’accès au public soient toujours nos priorités.

Sur ces trois points, nous estimons que cette proposition de loi, dans la version issue des travaux de l’Assemblée nationale, n’est pas satisfaisante.

En effet, le texte que nous examinons en deuxième lecture vise à étendre les possibilités de transfert des monuments nationaux par l’État aux collectivités territoriales, sans limite dans le temps, et à assouplir les modalités de ce transfert, en permettant notamment à l’État de céder à titre onéreux à ces collectivités certains monuments ou sites.

En vertu de l’article 97 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, les transferts de monuments aux collectivités sont effectués « à titre gratuit et ne donnent lieu au paiement d’aucune indemnité, droit, taxe, salaire ou honoraires ». Or l’article 5 de la présente proposition de loi remet en question ce principe de gratuité, qui s’applique désormais aux seules demandes de transfert de propriété accompagnées d’un « projet culturel ».

Si l’objet du transfert est déclaré non culturel, sa cession à titre onéreux est possible. Dans ce cas précis, la collectivité n’a pas à présenter de projet culturel spécifique et peut utiliser le monument pour tout usage, sans aucun contrôle, et le revendre ensuite à une personne privée pour n’importe quel usage.

À ce propos, je souhaite revenir sur un exemple récent illustrant parfaitement les risques que nous prendrions à voter cette proposition de loi en l’état.

Dans ma région, en Aquitaine, la municipalité de Saint-Émilion, en grandes difficultés financières, souhaite se défaire du clos des Cordeliers, l’un des derniers monuments historiques de cette belle cité médiévale qui soient librement accessibles au public. Chaque année, près d’un million de touristes s’y promènent. Afin de renflouer les caisses de la commune, le maire souhaite vendre ce fleuron du patrimoine public à un opérateur privé, sans aucune consultation ni aucun appel d’offres. Ainsi, demain, il pourrait n’être plus accessible qu’à quelques privilégiés, si telle était la décision du nouveau propriétaire.

Dois-je rappeler que nos monuments ne sont pas des produits de luxe ? Par vocation, par essence, ils doivent être accessibles au plus grand nombre.

Monsieur le ministre, je vous avais interpellé, voilà quelques mois, sur les risques de vente à la découpe de la citadelle de Blaye. La problématique est identique.

Une partie de notre patrimoine national classé ou inscrit pourrait alors se voir attribuer un usage sans aucun rapport avec sa vocation initiale, d’autant plus que, aux termes de l’article 4, la cession d’un bien immobilier avec ses meubles ne présente plus un caractère obligatoire. Il sera ainsi possible de diviser et de disperser des ensembles ou des collections qui forment une unité avec le monument qui les abrite, ce qui entraînera le dépeçage de biens patrimoniaux exceptionnels.

Par ailleurs, la volonté d’une implication positive des collectivités territoriales pourrait se traduire par une fragilisation effective de leur rôle. En effet, en période de resserrement budgétaire, comme celle que nous connaissons aujourd’hui, quelles sont les garanties apportées par l’État aux collectivités pour que celles-ci puissent continuer à entretenir les monuments et les sites acquis ? À défaut du transfert des moyens financiers suffisants, la seule possibilité sera le déclassement pour revente afin d’éviter un coût devenu insupportable.

Quant aux modalités de suivi de l’utilisation du monument, une fois celui-ci transféré, elles nous paraissent, là encore, insuffisantes. Par conséquent, nous nous interrogeons légitimement sur la volonté réelle de l’État d’assurer un tel contrôle.

Cette inquiétude est renforcée par le fait que le Haut conseil du patrimoine, rebaptisé Haut conseil du patrimoine monumental par les députés, ne dispose pas, à notre sens, d’un rôle assez fort. Sur la base de l’article 1er, tel qu’il nous est présenté, cet organisme est chargé d’établir la liste des monuments transférables, classés ou inscrits, et de donner un avis sur les opportunités de transfert à titre gratuit aux collectivités, à condition qu’elles présentent un projet culturel. Il dispose, de plus, de la possibilité de statuer sur l’opportunité du déclassement du domaine public, en vue de la revente d’un monument ayant été transféré à une collectivité à titre gratuit.

Nous sommes conscients des difficultés d’entretien d’un grand nombre de monuments nationaux. Cependant, il convient d’apporter des réponses plus complexes que la simple levée de garde-fous en vue de permettre la vente à la découpe de notre patrimoine. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’à terme, l’État fasse une bonne affaire en revendant ses biens.

En conséquence, notre groupe émet des réserves sur les mesures d’encadrement proposées pour le transfert des monuments nationaux aux collectivités territoriales. Les protections prévues dans ce texte apparaissent encore trop faibles à nos yeux.

Nous avons déposé un certain nombre d’amendements afin de nourrir le débat et d’affiner notre position autour d’une pensée globale positive, appelée de ses vœux par M. Legendre. Place au débat ! Nous déterminerons notre vote en fonction de celui-ci.

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