Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au fil de la navette parlementaire, nos inquiétudes perdurent concernant les intentions réelles qui sous-tendent cette proposition de loi.
Nous continuons à demander plus de garanties pour encadrer les transferts de monuments historiques classés ou inscrits. Peut-être serons-nous satisfaits par cette deuxième lecture ?
La politique patrimoniale publique se doit d’être protectrice de notre héritage commun, fortement constitutif de notre identité et de notre rayonnement national. Elle doit donc tendre à interdire tout dépeçage, tout défigurement, tout détournement de la vocation culturelle de ces monuments à des fins spéculatives.
Notre collègue Françoise Férat a effectué un travail important et appliqué. Nous aurions cependant préféré que ce texte prenne la forme d’un projet de loi, plus à même d’embrasser les problématiques nombreuses de la sauvegarde du patrimoine. Outre l’avis du Conseil d’État, nous aurions pu bénéficier d’une étude d’impact éclairante sur les objectifs poursuivis et sur les conséquences des dispositions envisagées. Les débats auraient été plus longs, mais aussi plus approfondis.
Nous sommes d’autant plus circonspects et inquiets que ces dernières années ont été émaillées de coups portés à l’intégrité du patrimoine monumental de l’État.
Le rapporteur pour avis de la commission de la culture des crédits du programme « Patrimoines » que je suis n’oublie pas l’adoption de l’article 52 du projet de loi de finances pour 2010, qui assouplissait les conditions de transfert, jusqu’à autoriser la « vente à la découpe » des monuments historiques, sans aucune garantie quant à l’usage culturel du bien acquis. Cet article avait été voté, au Sénat, par la majorité d’alors. Nous ne pouvons que nous réjouir de la censure du Conseil constitutionnel, même si nous déplorons qu’elle n’ait porté que sur la forme.
Plus récemment, l’actualité patrimoniale a été marquée par le triste épisode de la tentative de cession de l’hôtel de la Marine, ancien garde-meuble royal et chef-d’œuvre architectural de la place de la Concorde, à un opérateur privé désireux de le transformer en établissement lucratif. Nous restons vigilants sur ce dossier.
Enfin, comment ne pas être inquiets face à la vaste opération de cessions immobilières de biens appartenant au domaine public organisée par le Gouvernement depuis 2007, par l’intermédiaire de France Domaine ?
Le 9 juin 2010, le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État présentait le programme pluriannuel des 1 700 cessions prévues entre 2010 et 2013. Les objectifs quantitatifs de vente imposés à cet organisme ne seront-ils pas complétés par des projets de transfert aux collectivités locales, fussent-ils à titre gratuit, dans le seul but de désengager l’État de sa mission de gestion du patrimoine culturel ?
Cette proposition de loi n’aide-t-elle pas France Domaine à atteindre son objectif d’optimisation financière ?
Pourtant, nous ne sommes pas hostiles à la dévolution, bien au contraire ! Nous prônons une décentralisation culturelle pragmatique. Nous savons la charge financière lourde que représente notre patrimoine monumental et nous déplorons, chaque jour, son mauvais état sanitaire. Nous ne pourrons conserver et sauver ce patrimoine qu’à l’aide d’un partenariat, d’une synergie entre l’État et les collectivités territoriales. Les collectivités de gauche ont d’ailleurs pris toute leur part dans la décentralisation engagée en application de l’article 97 de la loi du 13 août 2004.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, encore faut-il s’entendre sur les motivations qui président aux transferts de monuments. Pour nous, les seuls critères à retenir doivent être l’intérêt du site transféré et sa valorisation culturelle dans le cadre d’une dynamique locale. Il importe que le monument historique cédé à une collectivité fasse l’objet d’un projet culturel. Il ne s’agit en aucune façon de cautionner une logique libérale, car elle braderait le patrimoine sur l’autel des restrictions budgétaires et permettrait le retrait de la puissance publique.
Ainsi, nous n’avons pu que déplorer l’intrusion d’opérateurs privés, de plus en plus nombreux, désireux de développer des projets qui n’ont rien de culturel, puisqu’ils sont essentiellement commerciaux. Le projet culturel devient alors un alibi.
Nous regrettons à ce sujet que les amendements présentés par le groupe socialiste, à l’Assemblée comme au Sénat, visant à poser le principe de l’interdiction de revente par la collectivité bénéficiaire, aient été rejetés ; d’autant que renforcer la possibilité de vente à des acteurs privés ne garantit en rien, au contraire, ni l’accès du patrimoine au public, ni sa conservation, ni sa valorisation.
La proposition de loi est à cet égard ambivalente. Elle contient en germe de lourds risques de dépeçage de notre patrimoine.
Enfin, dans un contexte de RGPP, de crise financière et d’endettement étatique, il est à craindre que les collectivités territoriales ne soient sciemment appelées à la rescousse pour financer, en lieu et place de l’État, l’animation et l’entretien du patrimoine. Autrement dit, le second pourrait se défausser de ses charges sur les premières : il est coutumier du fait !
Certes, les communes, les départements et les régions possèdent déjà près de la moitié des monuments historiques. Pourquoi pas davantage ?
On aurait souhaité un État moins démissionnaire, plus appliqué dans l’exécution de ses missions de sauvegarde, de conservation, de mise en valeur du patrimoine national, un État plus ambitieux dans sa politique culturelle.
Avec la suppression de la taxe professionnelle, le gel des dotations, la compensation non intégrale par l’État des charges transférées, les collectivités sont à l’asphyxie. À l’Assemblée nationale, elles viennent d’ailleurs d’être privées de 200 millions d’euros au titre de leur contribution à la réduction du déficit.
Dans ce contexte de resserrement budgétaire, les collectivités ne seront-elles pas finalement encouragées à spéculer pour réaliser une bonne opération ou à revendre au plus offrant si les contraintes financières d’entretien des sites acquis se font trop lourdes ? C’est toute l’ambiguïté du texte.
En outre, rappelons que le transfert par l’État de son patrimoine aux collectivités territoriales n’est pas une nouveauté. Ainsi, la loi de 2004 permet déjà à l’État et au Centre des monuments nationaux de transférer à titre gratuit aux collectivités locales des monuments classés ou inscrits dont la liste est fixée par décret.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de programmer une autre phase de transferts, il eût été sage de faire un bilan et de comprendre plus au fond les réticences de certaines collectivités. En réalité, peu de transferts ont été effectués. Sur les 176 monuments inscrits sur la liste dite Rémond, seuls une soixantaine, soit le tiers, ont fait l’objet d’une convention signée.