Intervention de Claudine Lepage

Réunion du 3 novembre 2011 à 15h00
Patrimoine monumental de l'état — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi

Photo de Claudine LepageClaudine Lepage :

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Rappelez-vous : le projet de loi de finances pour 2010 a assoupli la loi de 2004, en autorisant la cession de n’importe quel monument national à une collectivité locale, gratuitement, simplement après accord du préfet, cette dernière pouvant ensuite revendre à n’importe quel opérateur privé. Par chance, la disposition fut censurée par le Conseil constitutionnel.

Cette tentative de passage en force du Gouvernement a conduit au rapport rendu, au nom de la commission de la culture, par Mme Férat, en juin 2010, puis à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Mais le ver était déjà dans le fruit. Les modifications apportées par les députés en témoignent encore.

Ainsi, les garde-fous érigés par la proposition de loi de Mme Férat et M. Legendre ne nous semblaient pas suffisamment solides pour contrecarrer la tentation étatique de brader ce patrimoine dans un unique souci budgétaire.

La voie est aujourd’hui encore plus largement ouverte, et la volonté du Gouvernement encore plus limpide : remplir les caisses de l’État, intention bien sûr parfaitement louable, mais au mépris de toute autre considération, telle que – pourquoi pas ? – la valorisation du site cédé. À cet égard, il est significatif qu’aucun bilan n’ait été dressé des dévolutions réalisées depuis 2004.

La politique culturelle du Gouvernement se réduit-elle à une vision purement comptable ? Nous pouvons le craindre.

J’en veux pour preuve un exemple que je connais bien : le palais Lenzi à Florence, pour lequel rien de moins qu’une vente à la découpe est programmée. Ce palais, propriété de la France, accueille l’antenne consulaire ainsi que l’Institut français, et il devrait effectivement faire l’objet d’une vente partielle. Les craintes exprimées en 2010 par la commission de la culture « de voir naître une conception patrimoniale tendant à découper les monuments historiques en fonction de leur utilisation » prennent ici tout leur sens.

L’absence de répertoire des quelque 1 500 biens français, situés dans 160 pays et évalués à 4, 47 milliards d’euros, renforce encore notre méfiance, tout comme la quasi-opacité entourant leur gestion. Cela mériterait d’ailleurs que la commission de la culture se saisisse du dossier.

Le palais Buquoy à Prague, la Case de Gaulle à Brazzaville, l’Hospice wallon à Amsterdam, l’église Saint-Louis-des-Français à Lisbonne sont autant d’ambassades, de centres culturels, de logements de fonctions, mais aussi de lieux de culte, dont une centaine à la valeur patrimoniale exceptionnelle. Une trentaine d’entre eux auraient même vocation à être classés monuments historiques sur le territoire français et certains, tel le palais Thott à Copenhague, le sont déjà suivant la législation locale.

De surcroît, nombre d’entre eux sont de prestigieux vecteurs de l’image de la France à l’étranger et de son rayonnement.

Pourtant, quelques-uns sont d’ores et déjà prévus à la vente. L’État n’est pas prêt à renoncer à la manne financière qu’ils représentent, surtout depuis que le financement de la programmation immobilière du ministère des affaires étrangères ne peut plus être assuré que par les seuls produits de cession de ses biens immobiliers, plus aucun crédit d’investissement n’étant inscrit dans le budget général.

Pour ajouter encore à ces difficultés, le Quai d’Orsay n’est pas en mesure de bénéficier, pour de bien obscurs motifs, de la totalité de ces produits de cession.

Ce sombre tableau ne serait pas complet sans l’évocation des atermoiements du Gouvernement au sujet de la création d’une agence foncière de l’État à l’étranger. Le chantier semble à l’arrêt, alors même que le ministre M. Henri de Raincourt pointait, il y a encore quelques mois, la mise en lumière « de l’inadaptation des procédures et des instruments budgétaires existants à une gestion dynamique et efficace du patrimoine immobilier de l’État à l’étranger ».

Devant cet état de fait, il importe de prendre toutes les mesures pour éviter le pire, et donc d’encadrer davantage ces ventes en prévoyant une procédure similaire à celle qui est prévue par la proposition de loi pour les cessions aux collectivités territoriales. C’est le sens des amendements que j’ai déposés avec mes collègues du groupe socialiste-EELV et que je vous demande de soutenir.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le patrimoine historique est constitutif de l’identité qui unit chacun de nous et dont l’importance est peut-être encore davantage ressentie par nos compatriotes expatriés. À l’étranger, comme à l’intérieur de nos frontières, nous devons le préserver en s’assurant qu’il ne soit pas simplement mis au service de la réduction de la dette.

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