Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, faisant figure d’exception culturelle au sein de la sécurité sociale, la branche accidents du travail et maladies professionnelles, dite « AT-MP », ne devrait pas être en déficit cette année et, somme toute, c’est normal. Elle répond, en effet, à une logique quelque peu différente des autres branches : une logique assurantielle. Les entreprises cotisent en fonction du risque qu’elles font peser sur la santé des travailleurs ; ces cotisations doivent donc s’ajuster aux dépenses.
Selon ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, la branche devait produire 100 millions d’euros d’excédents en 2011 – j’ai compris cet après-midi qu’ils seraient vraisemblablement nuls. Il était même prévu 200 millions d’euros d’excédents en 2012 et en 2013, 400 millions d’euros en 2014 et 600 millions d’euros en 2015, qui devraient plutôt s’élever respectivement à 100 millions d’euros, à 300 millions d’euros et à 500 millions d’euros !
Je serai, pour ma part, beaucoup plus prudent. Nous savons ce que valent désormais les hypothèses de croissance et d’évolution de la masse salariale qui sous-tendent ce projet de loi. Madame la ministre, je trouve d’ailleurs curieux que vous ayez rectifié la prévision de croissance pour 2012, mais que vous ayez conservée celle des années suivantes. Vous auriez dû être plus prudente dans les tableaux prospectifs.
Plus encore, j’ai tendance à considérer que ces excédents sont artificiels. Ils résultent en réalité du transfert de près d’1, 3 milliard d’euros de dette de la branche vers la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, que vous avez opéré l’an dernier.
Nous nous y étions d’ailleurs vivement opposés à l’époque. Ce transfert revenait à exonérer les entreprises des obligations qui leur incombent en matière de réparation des dommages causés aux victimes.
Qui plus est, cette fameuse dette de la branche AT-MP s’était constituée, pour une part importante, du fait de l’augmentation de la compensation versée à l’assurance maladie au titre de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Par ce transfert à la CADES, on fait donc payer aux citoyens, non aux entreprises, des dépenses imputées à tort à l’assurance maladie. C’est faire peu de cas du lien entre les cotisations dues par les entreprises et leurs actions de prévention, que le Conseil constitutionnel vient encore récemment de rappeler.
J’ai le sentiment que la branche AT-MP est aujourd’hui dans la tourmente. Elle est, en effet, critiquée sur de nombreux plans.
Sur le plan juridique, la règle de limitation des préjudices indemnisables en cas de faute inexcusable de l’employeur figurant dans le code de la sécurité sociale a été récemment censurée par deux fois, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, par le Conseil constitutionnel.
Malgré cela, les victimes peinent encore à faire reconnaître leurs droits, faute notamment de la transcription de cette jurisprudence dans le droit positif. Nous y reviendrons lors de l’examen de nos amendements.
Sur le plan financier, les indemnisations forfaitaires qu’elle sert aux victimes paraissent de plus en plus en retrait par rapport à l’évolution du droit civil, même dans les cas où l’imputation est présumée.
Sur le plan comptable, la Cour des comptes, observant l’existence de dysfonctionnements importants dans la manière dont sont établis les taux de cotisation, a refusé de certifier les comptes de la branche en juin dernier. Ce n’est pas un événement anecdotique et, s’il devait se reproduire, cela remettrait en cause la crédibilité même du système de tarification, qui constitue pourtant, je le répète, l’un des traits caractéristiques du régime.
Sur le plan moral, la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles ne cesse d’augmenter en dépit de quinze années d’actions menées pour la juguler. Le dernier rapport de la commission Diricq, qui estime qu’elle pourrait représenter jusqu’à 1, 1 milliard d’euros de dépenses, relève que certaines victimes ne connaissent pas leurs droits, mais aussi que certains employeurs font pression pour que ces droits ne soient pas reconnus. C’est inacceptable !
Sur le plan de la prévention, le nombre de malades souffrant de pathologies liées au travail augmente chaque année, de même que le nombre d’accidents de trajet. C’est inquiétant.
Ces problèmes sont anciens, madame la ministre ; ils ne paraissent pourtant pas en voie de résorption. Nous les dénonçons depuis longtemps, mais peu de choses ont été faites pour y remédier. On fait attendre les victimes en multipliant les commissions et les rapports.
Les travailleurs de l’amiante ne le savent que trop bien, eux qui attendent encore que l’accès au dispositif de cessation anticipée d’activité soit enfin ouvert en fonction des professions exposées et non plus seulement à des entreprises répertoriées. Faudra-t-il que les victimes atteignent le nouvel âge de la retraite, tel qu’il résulte de la réforme de 2010, pour que soient reconnus leurs droits ?