Intervention de François Trucy

Réunion du 28 novembre 2011 à 22h15
Loi de finances pour 2012 — Compte d'affectation spéciale : gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien

Photo de François TrucyFrançois Trucy, rapporteur spécial :

Je suis désolé d’avoir perturbé ainsi la séance, et je suis très sensible à la démarche du président de la commission des affaires étrangères, Jean-Louis Carrère, à qui il m’était difficile d’opposer un refus !

Je reprends donc mon exposé. Comme je le disais, à la conclusion près du rapporteur spécial de la commission des finances, que j’appelle le « rapporteur principal », M. Krattinger, qui recommandait de s’abstenir, j’aurais cosigné assez facilement l’ensemble du rapport. Je m’explique.

Je relève avec satisfaction, comme vous tous, la somme considérable de 38, 3 milliards d’euros de crédits de paiement figurant dans le présent budget, en hausse de 2, 3 % par rapport à 2011. Je relève en outre que les chapitres majeurs de cette mission sont pourvus et que les crédits affectés sont conformes, dans la plupart des cas, aux dispositions de la loi de programmation militaire pour la période 2009-2014 ; dans la plupart des cas seulement car, au final, cette année encore, la LPM ne sera pas respectée dans son intégralité. L’écart entre elle et la programmation budgétaire triennale pour 2011-2013 se monte à 1, 35 milliard d’euros selon mes recherches, même si les chiffres peuvent varier d’une source à l’autre. La faute en revient à cette « bulle programmatique » qu’il semble difficile de résorber totalement.

Ce décalage entre la programmation et la réalisation n’étonnera néanmoins que ceux qui prenaient pour argent comptant les données de la LPM, données qui, pour satisfaire les options du Livre blanc, se nourrissaient de bien trop d’espérances. Ainsi étions-nous sceptiques, en particulier lors du précédent vote, quant aux recettes provenant des cessions immobilières et des ventes de fréquences hertziennes, qui semblent maintenant arriver à échéance. Nous craignions que les unes et les autres nous réservent d’importantes déceptions, tant sur le calendrier des réalisations que sur le plan de leur rendement. La suite nous a partiellement donné raison.

J’éprouve personnellement le même scepticisme à l’égard de la réalisation du projet Balard, le « Pentagone à la française ». Compte tenu de son coût et des difficultés multiples qu’il rencontre, compte tenu, en outre, de la quasi-impossibilité de réaliser dans le même temps les cessions immobilières nécessaires au financement du projet et dont certaines – je pense à l’hôtel de la Marine dont M. Bockel vient de parler – sont déjà déprogrammées, je me permets de penser que ce projet était déraisonnable.

S’il y avait, à l’évidence, un intérêt de confort à regrouper en un seul lieu tous les services de la défense, était-ce cependant le moment d’y procéder ?

Je note que le génial promoteur de ce projet, quand il était ministre de la défense, est maintenant le premier à critiquer et attaquer ceux de ses amis à qui il a laissé le soin de payer l’addition…

Monsieur le ministre, les sénatrices et sénateurs qui soutiennent le Gouvernement dont vous faites partie sont inquiets de la situation actuelle du budget de la défense et des perspectives d’avenir. D’ores et déjà, ce budget est amené, alors qu’il n’est même pas encore voté, à contribuer aux efforts d’économies que réclame la conjoncture économique et financière de notre pays. La RGPP, depuis quelque temps, contredit la LPM. Un décret d’avances a déjà été octroyé et des gels de crédits assez conséquents ont été annoncés.

Dans ces conditions, quel sort sera réservé aux grands programmes de matériel ? Que deviendront les programmes du nouveau NH90, du Rafale, des frégates FREMM ou de l’A400M ?

Au fond, plus que des critiques, la minorité sénatoriale tient surtout à exprimer des inquiétudes. Cette année, monsieur le ministre, compte tenu des conditions de préparation de l’examen du budget au Sénat, il ne nous a pas été possible de faire le point, comme c’était habituellement le cas, sur les sujets essentiels que sont la condition militaire, les activités des forces, le maintien en condition opérationnelle de tous les matériels, au-delà du simple matériel engagé dans les opérations extérieures, les OPEX.

Si M. le rapporteur principal, Yves Krattinger, en est d’accord, voilà des points qu’il nous faudrait éclaircir durant l’année 2012, qui, comme chacun sait, va nous réserver beaucoup de temps libre.

Il faudrait aussi préciser dans quelles proportions le plafond des autorisations d’emplois est sous-exécuté.

En effet, en 2012, à une réduction programmée de 7 462 équivalents temps plein travaillé, ou ETPT, s’ajoute la notion persistante de la sous-exécution de la programmation elle-même. Est-elle vraiment de 4 000 ETPT ?

Si c’est le cas, comme les années précédentes, c’est que la programmation n’a pas été réaliste sur ce point et que les autorités militaires, confrontées à une sous-estimation de la masse salariale, ne peuvent que piloter à vue. Il serait important pour nous d’obtenir des informations sur ce point, car elles seront déterminantes lors du vote de la future loi de programmation militaire de 2012.

Je souhaite aussi vous dire, monsieur le ministre, à quel point nous avons été choqués, l’an passé, par le rapport qu’a publié la Cour des comptes sur le service de santé des armées. Nous sommes quelques-uns, ici, à considérer certaines des critiques comme injustes et déplacées dans la mesure où elles ne tiennent aucun compte des contraintes spécifiques de ce service – et Dieu sait qu’elles sont lourdes ! – ni de l’aide immense qu’il rend aux militaires, à leurs familles et aux populations des pays où nos forces sont engagées. Dans cette affaire, la Cour des comptes, pour laquelle nous avons le plus grand respect par ailleurs, nous semble être à côté de la plaque !

Dernier point : d’année en année, les OPEX sont un sujet permanent d’angoisse pour le ministre, qui ne sait jamais comment lui sera compensé le déficit considérable entre les crédits votés et la dépense réelle.

Elles sont également un sujet d’irritation tout aussi permanent pour le Parlement, qui n’apprécie guère ces impasses et encore moins les moyens que le Gouvernement utilise chaque année pour boucler le budget.

Cette année encore, faute de pouvoir estimer la dépense, ce qui est compréhensible, il faudra nous contenter d’une sorte de provision dont on reconnaîtra qu’elle a heureusement beaucoup augmenté en 2010 et en 2011.

Ce budget, particulièrement difficile à structurer et à exécuter, va à l’essentiel, c’est un fait, mais il est fortement impacté, comme tous les autres, par les difficultés financières que connaît notre pays. De plus, il s’écarte chaque année davantage de sa programmation, comme le rapporteur Krattinger l’a souligné d’entrée de jeu.

Je souhaite conclure sur des propos plus personnels et que je n’ai pas la prétention d’imposer à mes collègues de la minorité.

Monsieur le ministre, si la France n’a pas ou n’a plus, en matière de défense, la possibilité de tout faire, de tout construire, de tout acheter, si elle n’a pas les moyens de maintenir en condition opérationnelle tous les éléments du matériel de nos armées, si elle n’a plus la capacité de projection qui a été programmée, il vaudrait mieux le reconnaître et ajuster à nos ressources les efforts financiers que réclameront toujours les intérêts vitaux de notre pays, c'est-à-dire la défense de ses territoires et l’essentiel de sa présence et de son rôle dans le monde.

S’agissant des OPEX, par exemple, je constate qu’en 2010, sur 867 millions d’euros de dépenses, 231 millions d’euros, soit 27 % du total, ont été consommés pour le Kosovo – 59 millions d’euros –, pour la Côte d’Ivoire – 82 millions d’euros – et pour le Liban – 90 millions d’euros.

En 1993, après la mission parlementaire qui m’avait amené au Sud-Liban avec la Force intérimaire des Nations unies au Liban, la FINUL, je m’interrogeais déjà sur la justification de notre présence dans ce pays ami. Entre 1993 et 2011, il s’est écoulé dix-huit ans, monsieur le ministre ! Est-ce raisonnable ?

À ne pas savoir partir de certains pays, nous nous interdisons de participer à d’autres opérations majeures que l’ONU nous demandera de couvrir. À moins que l’abandon de notre droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU ne règle ce problème et ne nous dispense, demain, de toute intervention hors de nos sacro-saintes frontières.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai la charge de vous faire connaître que, sur ma proposition, la minorité de la commission des finances du Sénat vous recommande un vote favorable à l’adoption des crédits de la mission « Défense ».

Elle le fait non seulement à l’intention des sénateurs et sénatrices qui appartiennent à l’opposition dans cette assemblée, mais aussi à l’intention de tous les autres, puisque la recommandation de sagesse du rapporteur Krattinger les laisse libres de leur décision. Un tel vote exprimerait une solidarité légitime envers nos soldats. §

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