Intervention de Jean-Pierre Vial

Réunion du 15 novembre 2011 à 14h30
Soirées étudiantes — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Jean-Pierre VialJean-Pierre Vial, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi porte, comme son intitulé l’indique, sur les « soirées étudiantes ».

Pourquoi légiférer dans un tel domaine, diront certains ? D’autres invoqueront même le principe de liberté. Comme beaucoup, je déplore notre propension à trop légiférer, mais, quand il s’agit de la santé publique, du respect de la personne et du droit à la vie, tout simplement, n’avons-nous pas l’obligation d’ouvrir les yeux et d’assumer nos responsabilités ?

En effet, derrière l’expression, plutôt sympathique, de « soirées étudiantes », se cache ce fait de société nouveau qu’est le binge drinking chez les jeunes. Venu d’outre-Manche, ce phénomène aura envahi l’Hexagone en quelques années seulement. La rapidité de son développement en Europe n’a pas manqué de faire réagir votre prédécesseur, monsieur le ministre. Ainsi, par courrier en date du 26 octobre 2010, Mme Valérie Pécresse indiquait « que plusieurs événements dramatiques survenus lors de soirées ou de week-ends d’intégration [l’avaient] conduite à rappeler en termes fermes les dispositions de la loi […] », soulignant que « toute forme de bizutage est strictement interdite ». Après avoir travaillé avec l’ensemble des acteurs de la communauté universitaire, elle a adressé à Mme Martine Daoust, rectrice de l’académie de Poitiers, une lettre de mission lui demandant « de s’attacher plus particulièrement à la prévention des comportements à risque et des conduites addictives liées notamment à la consommation excessive d’alcool […] sans exclure la possibilité de faire évoluer le droit si le besoin s’en faisait sentir […] ».

Oui, mes chers collègues, à l’instar du bizutage, dont on connaît les excès et, dans certains cas, les drames, le binge drinking, qui lui est parfois lié, est devenu une pratique courante dont les ravages sont, malheureusement, souvent encore plus graves, d’autant qu’elle se répète tout au long de l’année.

Il s’agit d’un phénomène récent, aux conséquences dramatiques. Le binge drinking, expression que l’on traduit souvent, en français, par « alcool défonce », touche les jeunes Européens de quinze à vingt-cinq ans. Dans les faits, cette pratique consiste à consommer de l’alcool de façon excessive et rapide, à seule fin d’être saoul le plus vite possible. Elle présente la particularité de s’être répandue très rapidement en Europe, plus particulièrement dans les pays du nord du continent. La motivation n’est pas le goût de l’alcool, mais bien la recherche des sensations procurées par son abus.

Le binge drinking entraîne des troubles de comportement classiquement liés à la consommation d’alcool : pratiques sexuelles à risques, conduite en état d’ivresse, violence extrême, coma éthylique parfois mortel, troubles cardiovasculaires et surtout cognitifs, les études expérimentales ayant fait apparaître des séquelles durables. Ainsi, en Europe, 10 % des accidents mortels chez la jeune fille et 25 % chez le jeune homme seraient liés à une intoxication à l’alcool.

Si l’appellation de « soirées étudiantes » peut laisser imaginer qu’il ne s’agirait que d’événements occasionnels, liés à des circonstances particulières ou festives, leur organisation s’avère en fait de plus en plus fréquente, jusqu’à devenir hebdomadaire dans certains établissements.

Aux termes d’une étude de l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, un décès sur quatre, parmi les Européens de sexe masculin âgés de quinze à vingt-neuf ans, serait causé par la consommation à risque d’alcool, et 55 000 jeunes Européens, au total, seraient morts des suites d’une consommation excessive d’alcool. Une étude conduite à l’échelon européen a révélé que, dans les hôpitaux allemands, le nombre d’admissions pour intoxication à l’alcool a plus que doublé entre les années 2000 et 2006, passant de 9 500 à 19 500.

Face à de tels excès et aux drames qui en résultent, faut-il légiférer ?

Le dispositif répressif existe déjà : le code de la santé publique punit l’ivresse publique manifeste comme une infraction depuis 1873 ; la loi Évin du 10 janvier 1991 est venue compléter la loi Veil pour lutter contre le tabagisme et l’alcoolisme au travers de l’encadrement de la publicité ; la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs qualifie le bizutage de délit ; la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance alourdit les peines pour les atteintes aux personnes lorsque l’acte a été commis en état d’ivresse ; la même loi prévoit une mesure d’injonction thérapeutique lorsque le condamné fait usage de stupéfiants ou consomme habituellement de l’alcool ; la loi du 21 juillet 2009 interdit la vente de boissons alcoolisées à emporter entre 18 heures et 8 heures et interdit la vente d’alcool à tous les mineurs ; le code de la santé publique encadre la vente d’alcool pour tous les débitants de boissons ; enfin, il y a lieu de rappeler les dispositions relatives aux rave parties contenues dans la loi de 1995, qui instaure la déclaration préalable, sur laquelle nous reviendrons dans un instant.

Le dispositif répressif existe donc, avec ses mesures d’accompagnement qui ne semblent pas devoir être davantage aggravées ni précisées pour en améliorer l’efficacité. Eu égard à l’inefficacité et à l’inadéquation de ce dispositif législatif face à un comportement social nouveau, ne faut-il pas davantage sensibiliser et responsabiliser les personnes concernées ? Plus que la répression, la prévention paraît être de toute évidence la solution la plus efficace pour lutter contre cette nouvelle pratique et ce nouveau mode de consommation de l’alcool.

La plupart des pays européens ont d’ores et déjà mis en place des dispositifs de prévention du binge drinking : je citerai, en Allemagne, le programme HaLT – contraction de « stop, c’est la limite » –, aux Pays-Bas, un programme intitulé « la boisson te détruit plus que tu ne le crois ». Nous savons, monsieur le ministre, à quel point ce sujet a constitué une priorité de votre action dès votre prise de fonctions ; nous vous en remercions.

La mission conduite par la Mme la rectrice Martine Daoust, dont je tiens à saluer la qualité du rapport – les orientations qu’il a dégagées ont recueilli l’adhésion des membres du groupe de travail –, a proposé de suivre une telle démarche de prévention. S’il fallait retenir deux idées fortes, ce serait, d’une part, la pédagogie, et, d’autre part, la responsabilisation.

Les auteurs de cette proposition de loi préconisent l’instauration d’un régime déclaratif pour sensibiliser et responsabiliser les différents acteurs.

Dans son rapport au nom de la commission des lois, notre collègue André Reichardt, dont je salue la qualité des travaux et des propositions, a précisé les modalités du régime déclaratoire dont pourrait relever l’organisation de ces soirées étudiantes.

À ceux qui objecteraient, à juste titre, que le binge drinking n’est pas le fait des seuls étudiants, je répondrai que cela ne justifie pas que nous ne tentions pas de remédier à une pratique dont les conséquences peuvent être particulièrement dramatiques : il nous revient de garantir aux étudiants et à leurs familles le respect de la personne.

Les étudiants vivent dans un environnement où l’effet de groupe et le cadre institutionnel peuvent fournir un prétexte à l’organisation de manifestations ou de soirées, ou faciliter celle-ci.

Si le rapport Daoust reflète bien la volonté de tous les acteurs de s’associer à une démarche pédagogique et préventive, encore convient-il d’être lucides quant aux intentions de certains d’entre eux, qui ne sont pas toujours désintéressées. Je me bornerai, à cet égard, à évoquer le cas de certains fournisseurs de boissons qui mettent de l’alcool à disposition en concédant une partie de la recette aux organisateurs de la soirée.

Dès lors, s’il n’y a pas lieu de prévoir de nouvelles mesures répressives, il importe de sensibiliser les organisateurs à leurs responsabilités et aux risques que font encourir des soirées que la consommation abusive d’alcool peut rapidement transformer en enfers.

La discussion qui s’est ouverte au sein de la commission des lois a mis en évidence qu’instaurer un régime de déclaration pourrait engendrer de trop lourdes conséquences, dont il convenait de prendre toute la mesure.

Puis-je simplement rappeler, avant de conclure, que notre débat a trait, d’abord et avant tout, à la santé publique, domaine qui relève de la compétence des maires et des préfets, et que ceux qui sont à l’initiative de telles soirées étudiantes ou concourent à leur organisation ne peuvent échapper à leurs responsabilités ?

Mes chers collègues, il importe que l’invocation des libertés et d’autres principes ne nous fasse pas oublier ce qui est au cœur du présent débat : l’éducation, l’avenir des étudiants, et surtout leur sécurité et leur santé.

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