Aux termes de la Constitution, c’est le Conseil constitutionnel, saisi par le conseil des ministres, qui organise soit, en cas de décès ou de disparition définitive, un intérim définitif, suivi alors d’une élection, soit un intérim provisoire.
Je dois le dire, notre Constitution est insuffisamment précise sur ce point. Imaginons que le Président de la République soit injoignable, du fait d’une prise en otage ou d’un isolement : que se passerait-il ? Combien de temps durerait l’intérim provisoire ? La question n’est pas résolue dans la Constitution. Or elle mériterait de l’être.
La deuxième hypothèse est celle qui est évoquée l’article 53-2 de la Constitution, auquel renvoie d’ailleurs l’article 67 : il s’agit de la responsabilité du chef de l’État dans le domaine très particulier des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Là encore, je ne suis pas convaincu de la bonne rédaction de la Constitution. En effet, il existe une certaine contradiction entre les deux articles que je viens de mentionner : l'article 67 protège, pendant la durée de son mandat, le chef de l’État de tout acte de procédure, alors que l’application de l’article 53-2 supposerait la coopération des organes juridictionnels français, qui seraient ainsi amenés à exercer les contraintes qu’exclut l’article 67. Je ne vois pas comment tout cela pourrait s’harmoniser et il y a manifestement là une lacune supplémentaire du texte constitutionnel.
Je souligne au passage que le professeur Badinter n’est pas non plus étranger à cette affaire de responsabilité devant la Cour pénale internationale.
J’en viens à la troisième hypothèse, qui se fonde sur les articles 67 et 68 de la Constitution.
À cet égard, il est faux de dire que le Président de la République échappait auparavant à toute responsabilité.
Dans les Constitutions des IIIe et IVe Républiques, figurait une disposition relative à la responsabilité, disposition qui s’est retrouvée, dans une certaine mesure, dans celle de la Ve République, mais qui posait des problèmes d’interprétation. Cette disposition a donné lieu, sous la Ve République, à deux analyses.
La première, cela a été rappelé tout à l’heure, a été fournie par le Conseil constitutionnel, présidé à l’époque par Roland Dumas : pour mettre en cause la responsabilité pénale du chef de l’État, il fallait mettre en place la structure prévue par la Constitution en cas de mise en accusation pour haute trahison. C’est sur cette interprétation que s’est appuyé, avec raison, d’ailleurs, le député Arnaud Montebourg lorsqu’il a voulu lancer la procédure de saisine de la Haute Cour.
Cette analyse du Conseil constitutionnel a été contredite par la Cour de cassation. Dans un arrêt, celle-ci a estimé que, si le Président de la République ne peut être poursuivi pendant la durée de son mandat, du même coup, la prescription est suspendue et l'ensemble des procédures peuvent être reprises à la fin de son mandat. C’est peu ou prou cette formule qui, à la suite des propositions de la commission Avril, a été reprise dans l’article 67 de la Constitution, et que l’on trouve dans la plupart des démocraties voisines. Cela étant, je ne suis pas convaincu qu’elle soit tout à fait satisfaisante.
La quatrième hypothèse à considérer est tout à fait nouvelle puisqu’elle résulte de l’actuelle rédaction de l’article 68, qui fait l’objet de la présente proposition de loi organique.
Son premier intérêt est de mettre fin à cette anomalie juridique qu’était la haute trahison.
À l’époque de la Monarchie ou de l’Empire, tout était plus clair : la haute trahison consistait à voler dans les caisses de l’État, car l’argent se trouvait physiquement dans des cassettes, à se rendre coupable d’intelligences avec tel ou tel ennemi, ou à fuir ses responsabilités en partant à l’étranger.
L’inconvénient, c’était que la haute trahison n’était pas mentionnée dans le code pénal et que nul ne savait quelles sanctions il convenait de lui appliquer. En définitive, elle n’a jamais été invoquée. Lorsque des chefs de l’État ont été poursuivis, on a utilisé d’autres procédures que celles qui étaient prévues par le texte constitutionnel de l’époque.
Faute d’invoquer la haute trahison, la responsabilité du chef de l’État n’était pas mise en cause en France. Cela nous rapprochait un peu du modèle américain, où le président est pratiquement à l’abri l’impeachment, eu égard à la très grande complexité de sa mise en œuvre.
Ce fut donc une tout autre procédure, désormais inscrite à l’article 68 de la Constitution, qui fut inventée. Après avoir fait quelques recherches dans les démocraties voisines, je dois dire que la France a fait preuve d’une originalité intéressante, car je n’ai pas retrouvé l’équivalent ailleurs !