Comme je l’ai démontré tout à l'heure, le nombre des personnes éligibles qui ont effectivement formulé leur demande est extrêmement réduit. Je répondrai donc à M. Milon que le chiffre de l’année dernière est à prendre avec beaucoup de précaution, d’autant que tout cela a été évalué « à la louche »… Par conséquent, il est quelque peu hasardeux d’évoquer un taux d’augmentation aussi important pour l’année 2012.
J’en reviens au problème évoqué précédemment. Vous nous avez dit, monsieur le ministre, qu’il ne fallait pas toucher aux tableaux dans la mesure où des discussions étaient en cours.
Nous parlons d’invalidité et non de pénibilité. Je prendrai un exemple : pour ce qui est de la motricité du bras, un taux d’invalidité de 20 % signifie que la personne ne peut pas lever le bras plus haut que l’épaule. L’invalidité est donc d’importance.
Je prendrai un autre exemple, car on ne mesure pas sinon la réalité de ces situations...
Lorsque je présidais la mission d’information sur le mal-être au travail, nous avons auditionné une psychologue, qui a évoqué le cas de femmes travaillant toute la journée à la chaîne, à une cadence très élevée, pour visser des bouchons de bouteille. De prime abord, on peut supposer que ces femmes souffriront d’un trouble musculo-squelettique, qu’elles rencontreront des problèmes de motricité de la main, du coude, du bras…
Pour ces femmes, cependant, la pénibilité du travail réside non dans le vissage des bouchons lui-même, mais dans la concentration totale qu’il requiert. Ainsi accaparées par leur travail, elles sont dans l’impossibilité de songer à quoi que ce soit d’autre tout le temps qu’elles restent sur leur lieu de travail. Il n’y a pas le moindre espace dans la journée pour que ces femmes puissent envisager ce qu’elles feront une fois rentrées à leur domicile et qu’elles reprendront le cours de leur vie privée. À leurs yeux, ce n’est donc pas le geste mécanique qui constitue la pénibilité, mais l’aliénation de la pensée propre que la répétition du geste entraîne.
Or cette dimension-là de la souffrance n’est pas prise en compte dans la législation actuelle. Pourtant, selon moi, c’est là que réside la véritable pénibilité.
Je voudrais dire un mot des critères d’évaluation de la pénibilité. Il s'agit d’un débat difficile ; c’est d'ailleurs ce qui explique que les organisations professionnelles et patronales aient du mal à se mettre d’accord.
Je me souviens de la situation que j’ai connue dans l’entreprise où je travaillais. Certaines tâches étaient pénibles : on estimait qu’elles comportaient des risques de séquelles. Comme il s’agissait d’une entreprise publique, ceux qui étaient affectés à ces travaux pénibles gagnaient des points leur permettant de prendre plus tôt leur retraite. Que croyez-vous qu’il se passait ? Les salariés, loin de songer aux conséquences éventuelles de la pénibilité sur leur santé, se livraient à une véritable compétition pour se porter candidats. Or j’ai le sentiment quela notion d’invalidité nous ramène à cette pratique de l’indemnisation du préjudice subi au travail.
Je reconnais que le problème est posé grâce à la loi, mais ce qu’elle prévoit ne permet pas de fixer de véritables critères d’évaluation de la pénibilité au travail. C'est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement. J’ai bien conscience qu’il remet en cause ce qui a été décidé l’an dernier, mais nous sommes dans notre logique comme vous êtes dans la vôtre, monsieur le ministre.