Intervention de Richard Tuheiava

Réunion du 24 novembre 2011 à 21h45
Loi de finances pour 2012 — Outre-mer

Photo de Richard TuheiavaRichard Tuheiava :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les orateurs précédents l’ont souligné, l’effort budgétaire de l’État consacré à l’outre-mer stagne. Les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2012 sont en diminution de 24, 8 millions d’euros en autorisations d’engagement, soit une baisse de 1, 2 %, et en stagnation pour ce qui est des crédits de paiement.

En plus de pâtir de la diminution des dépenses fiscales, l’outre-mer français est financièrement affecté par le plan d’économies supplémentaires demandé au titre de l’effort collectif afin de tenir compte de la révision à la baisse des perspectives de croissance pour 2012.

Presque tous les dispositifs figurant dans la mission « Outre-mer » que vous défendez ce soir devant le Sénat, madame la ministre, subissent une diminution de leurs dotations.

La collectivité d’outre-mer de la Polynésie française, elle non plus, n’a pas été épargnée par la crise. La situation budgétaire et comptable de notre collectivité est plus qu’alarmante, vous le savez, mais le gouvernement polynésien a marqué par deux fois son engagement à la relever : d’abord par un plan de redressement adopté par la majorité des représentants de l’assemblée de la Polynésie française le 18 août dernier, puis par un projet de budget de rigueur pour 2012, déposé sur le bureau de ladite assemblée pour être débattu à partir du 8 décembre prochain.

Si la Polynésie française n’est pas encore sortie de la crise qui l’a touchée, j’ai noté que le redressement et l’assainissement des finances constituaient un objectif prioritaire du gouvernement polynésien.

La collectivité de Polynésie française engage un chantier de réformes sans précédent : une fiscalité ajustée sur les revenus, une domanialité privée, un plan énergétique, un toilettage progressif de l’administration locale, etc. De nombreuses restructurations et réorganisations entre services et établissements publics seront effectives dès le 31 décembre 2011.

Des mesures de redressement sont également annoncées dans le régime de la protection sociale généralisée. Cependant, madame la ministre, si la mécanique économique est bien belle et permet les prévisions les plus inspirantes, elle ne traite pas de l’humain et des réactions sociales, ce que vos collègues du gouvernement central savent très bien !

La Polynésie française prend un virage institutionnel et économique qui ne porte toujours pas de nom.

Il y a une volonté réelle de s’en sortir. Il faut toutefois en finir avec un discours culpabilisateur à l’égard de nos départements et collectivités d’outre-mer. Ce sentiment est partagé par mes collègues ultramarins, qui représentent la France des trois océans.

Nous avons depuis peu, au Sénat, des moyens supplémentaires pour contrôler l’efficacité de la politique gouvernementale vis-à-vis de l’outre-mer et pour déployer nos synergies parlementaires, grâce à la création récente d’une délégation pour l’outre-mer qui portera la voix des territoires ultramarins au sein de notre Haute Assemblée chaque fois que ce sera nécessaire.

Je ne peux toutefois m’adresser à vous ce soir sans vous faire part des sérieuses préoccupations que m’inspire l’avenir des communes polynésiennes, qui, comme tant d’autres, rencontrent des difficultés financières, certaines d’entre elles étant même en situation d’asphyxie. Elles sont au bord du gouffre !

La loi de finances pour 2011, votée ici même il y a un an, a réformé la dotation globale de développement économique, la DGDE, fruit de la fameuse « dette nucléaire » envers les Polynésiens, en la remplaçant brutalement par trois nouveaux instruments financiers.

Dans le projet de loi de finances pour 2012, le niveau des dotations a été maintenu.

En revanche, la dotation territoriale pour l’investissement des communes de Polynésie s’avère très insuffisante pour leur permettre d’assumer les missions et les compétences qui leur ont été imposées par le gouvernement central en 2004 en matière de collecte des déchets, de distribution d’eau potable et d’assainissement des eaux usées.

Ainsi que je m’en suis ouvert à mon éminent collègue Christian Cointat, rapporteur pour avis, lors de mon audition par la commission des lois, il devient impératif d’envisager législativement la rétrocession de ces trois compétences communales onéreuses à la collectivité d’outre-mer de la Polynésie française et de réparer ainsi l’erreur commise en 2004.

De même, devant les difficultés émergentes de l’actuel fonds intercommunal de péréquation, créé en 1972 pour le financement des communes polynésiennes et encadré depuis 2004 par l’article 52 de la loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, un bon nombre d’élus polynésiens souhaitent aujourd’hui que son mode de fonctionnement soit repensé et revu.

Ce fonds est l’un des nombreux stigmates du modèle économique et social qui a prévalu dans la période 1970-2000, qu’on appelle l’« ère nucléaire », et qui a été suivie par une reconversion économique dont on peut dire, vous en avez convenu, qu’elle fut un échec.

Ce fonds est alimenté chaque année, pour 10 % environ, par le gouvernement central – de manière facultative –, et pour les 90 % restants par les recettes fiscales prévisionnelles à encaisser par le gouvernement de la Polynésie française.

Ce qui n’est pas clairement dit, c’est d’abord que cette quote-part de l’État est complémentaire du versement d’une dotation générale de fonctionnement aux communes polynésiennes, ce qui signifie que l’État contribue sur deux plans en faveur de celles-ci. Dont acte !

Mais je pose publiquement la question d’une revalorisation de la participation de l’État au financement de ce fonds intercommunal de péréquation. En effet, ce que l’on ne dit pas suffisamment, c’est que les 90 % restants, qui alimentent donc le fonds intercommunal de péréquation, destiné aux communes locales, sont directement dépendants de la santé financière du « pays », plus précisément de sa croissance économique.

Or il n’est plus possible de maintenir plus longtemps ce lien de dépendance historique entre la croissance économique de la collectivité de Polynésie Française, régie par l’article 74 de la Constitution, qui sera d'ailleurs sujette d’ici peu à une refonte globale de son modèle de développement, et la santé financière des communes, régies, elles, par l’article 72 de la Constitution.

Ignorer cet état de fait conduirait à battre en brèche encore et encore le principe de libre administration des collectivités locales, qui s’applique aussi aux communes polynésiennes, en vue de leur autonomie et de l’exercice de leurs missions publiques, pour reprendre les termes employés par le rapporteur pour avis de la commission des lois.

Dès lors, se présente à notre horizon commun une souhaitable modification des dispositions de l’article 52 de la loi organique du 27 février 2004 relatives au fonds intercommunal de péréquation ; de même, il est souhaitable de modifier les dispositions relatives à la répartition des compétences entre les communes et le gouvernement polynésien en matière de collecte des déchets, de distribution d’eau potable et d’assainissement.

Madame la ministre, je vous avais posée, le 17 juin 2010, une question d’actualité afin de savoir quelle stratégie nationale d’accompagnement économique et institutionnel votre ministère s’engageait à garantir aux collectivités territoriales d’outre-mer pour permettre à ces dernières de mettre enfin en place un modèle de développement ultramarin rénové ; vous aviez alors esquivé cette question qui revient aujourd’hui, alors qu’il est question du redressement des comptes et du poids de l’instabilité politique.

La réalité, c’est que vous ne disposez que de peu de marge de manœuvre pour appliquer pleinement une stratégie ultramarine satisfaisante, car Bercy ne vous en donne pas les moyens.

La réalité, c’est aussi que certains de vos prédécesseurs ont laissé des marques profondes et indélébiles de leur action ministérielle : d’où ce contexte ultramarin d’effervescence dont vous vous avez hérité voilà seulement deux années.

À cet égard, je citerai deux exemples.

Premièrement, une révision constitutionnelle amendée en 2003 à l’Assemblée nationale a déclassé la notion de « peuples d’outre-mer » en y substituant, sans la moindre consultation des peuples ultramarins, celle de « populations d’outre-mer ».

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