Intervention de Jacques Muller

Réunion du 22 mai 2008 à 9h45
Organismes génétiquement modifiés — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire, amendement 252

Photo de Jacques MullerJacques Muller :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, attendue depuis 2002, la loi OGM censée transcrire en droit national la directive européenne CE/2001-18 visait également à traduire dans nos textes les orientations issues du Grenelle de l’environnement et avait même été présentée comme un moyen de permettre l’arrêt des opérations de désobéissance civile dans nos campagnes.

Le dialogue sociétal qui avait été instauré entre les parties prenantes, en mettant l’expression de la société civile au cœur d’une démarche plébiscitée à juste titre par l’opinion publique, avait débouché sur des orientations fortes, notamment la garantie d’une liberté fondamentale : être en mesure de pouvoir « produire et consommer sans OGM ». Hélas, la formidable dynamique enclenchée lors du Grenelle de l’environnement n’est plus qu’un souvenir !

Au risque de vous surprendre, permettez-moi de faire référence à la réflexion du mahatma Gandhi - Machiavel ou Gandhi : à chacun ses références politiques ! - : « La fin est dans les moyens comme l’arbre dans la graine. »

À cet égard, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne peux que constater et dénoncer le passage en force du Gouvernement et sa majorité sur ce dossier complexe et sensible.

D’abord, le Gouvernement convoque une commission mixte paritaire alors que la deuxième lecture à l’Assemblée n’a pas eu lieu puisqu’elle a été interrompue par le rejet du texte à l’issue de la question préalable.

Sur la forme, cette démarche ne respecte pas l’article 45 de notre Constitution.

Sur le fond, le rejet du texte dans sa globalité invitait évidemment le Gouvernement à proposer un nouveau texte, enfin équilibré, qui réponde véritablement aux attentes de nos concitoyens.

Ensuite, le Gouvernement verrouille complètement la commission mixte paritaire. En refusant d’y examiner le moindre amendement, y compris sur l’article 1er, qui restait en discussion, le président Patrick Ollier a littéralement interdit de travail parlementaire les sénateurs présents. Et je me dois de souligner le refus obstiné de ce dernier de discuter de la définition du seuil de contamination des cultures et de l’environnement.

Au final, la commission mixte paritaire aux ordres a validé un texte qui reflète la méthode employée et qui, objectivement, trahit les engagements du Grenelle de l’environnement.

À l’issue du processus parlementaire conclu par ce coup de force, je suis au regret de devoir relever trois violations caractérisées du Grenelle de l’environnement.

Première violation, la question du « sans OGM » a été mal traitée. Dans ses conclusions, le Grenelle de l’environnement consacrait à juste titre la nécessité de garantir la liberté de produire et de consommer « sans OGM » : la loi se doit en effet de protéger le faible. Mais, dans son discours du 25 octobre 2007, interprétant très personnellement ces conclusions, le Président de la République dénaturait cette légitime précaution en introduisant une nouvelle donne : la liberté de produire « avec ou sans OGM », comme si les deux concepts étaient équivalents !

La négation de la dissymétrie pour l’environnement entre des cultures traditionnelles et des cultures d’OGM – par exemple, capables de résister à l’imprégnation totale par un herbicide, ou secrétant en permanence un insecticide – est une hérésie du point de vue scientifique. L’ensemble du texte souffre de cette équivalence erronée entre cultures « avec OGM » ou « sans OGM ».

Plus grave encore, l’affichage de la « protection des cultures qualifiées sans OGM » – permis par l’amendement n° 252, présenté par M. Chassaigne à l’Assemblée nationale et adopté grâce à l’avis de sagesse rendu par Mme la secrétaire d’État, que je remercie – est devenu un leurre. En effet, la définition légale du « sans OGM » a été reportée aux calendes grecques par l’amendement de M. Bizet, puis refusée en commission mixte paritaire !

Pourtant, que l’on soit promoteur zélé ou opposé au déferlement des OGM dans nos campagnes, une définition rigoureuse par la loi du « sans OGM » s’imposait, une définition scientifique, c’est-à-dire avec un seuil de détection technique reproductible.

Nous savons tous que cette définition du « sans OGM » est centrale. Le nombre et l’indemnisation des victimes des contaminations ainsi que la définition, « espèce par espèce », des périmètres d’isolement – effectivement protecteurs par rapport aux cultures OGM incriminées – dépendent très directement de ce fameux seuil. La définition scientifique du seuil de contamination transcende évidemment les clivages politiques : ma collègue Fabienne Keller et moi-même l’avons démontré. Mais les interventions des lobbies productivistes et de l’agro-industrie ont manifestement plus pesé que l’intérêt général !

Deuxième violation, le Haut Conseil est dénaturé. Le dialogue fructueux entre communauté scientifique et représentants de la société civile, expérimenté avec succès lors du Grenelle de l’environnement, est définitivement enterré : après, ou plus précisément, au moyen de « l’exécution », à deux heures trente-huit du matin, de notre collègue Jean-François Le Grand, « mort debout mais qui remue encore » – je cite ici les propos de notre collègue rapporteur Jean Bizet –, la société civile est désormais confinée dans un rôle de faire-valoir, réduite à faire de simples recommandations qui ne pèseront rien, personne n’est dupe, par rapport aux avis dits « scientifiques ».

Troisième violation, le principe de responsabilité est bafoué. Les procédures d’indemnisation des victimes sont soumises à des conditions restrictives inacceptables qui en limitent considérablement la portée : la charge de la preuve à établir par les victimes, la sous-estimation du nombre de victimes de contaminations effectivement prises en compte, faute d’une définition scientifique du seuil de contamination, et la sous-estimation du montant des préjudices subis, économiques, moraux et environnementaux.

Dans la même veine, les coûts de traçabilité des filières de qualité, labels AOC et autres cultures « qualifiées sans OGM », restent à la charge des producteurs concernés, qui n’ont pas demandé l’introduction de ces événements génétiques nouveaux dans les campagnes : ces cultures d’OGM menacent objectivement, sur le plan économique, leurs productions.

En définitive, cette loi consacre implicitement un nouveau grand principe : le principe du « pollué-payeur » !

Non, madame la secrétaire d’État, vous ne pouvez pas vous permettre de dire que cette loi est la plus respectueuse au monde du principe de précaution ! C’est tout simplement faux ! Il suffit, pour s’en convaincre, d’analyser celles de nos voisins les plus proches, allemands, autrichiens ou suisses, par exemple.

Au final, le « Grenelle des OGM » n’aura été qu’un vaste écran de fumée, incapable de dissimuler une situation décidément récurrente : les lobbies semenciers et agricoles productivistes, complaisamment relayés par une majorité globalement aux ordres, continuent de faire la loi dans notre pays. Qu’il s’agisse de son contenu ou du déroulement des procédures d’adoption, cette loi sur les OGM, tant attendue par nos concitoyens et par les instances européennes, apparaît comme une véritable provocation : voudrait-on rallumer les conflits dans les campagnes, que l’on ne s’y prendrait pas autrement !

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne pouvons que voter contre cette première grande loi d’application du Grenelle de l’environnement qui trahit les attentes de nos concitoyens. Cette loi « grenellement incompatible » porte même atteinte à plusieurs principes constitutionnels : la liberté d’entreprendre, le droit de propriété des producteurs « sans OGM », ainsi que le respect du principe de précaution proclamé par la Charte de l’environnement.

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