Intervention de Jean-Claude Carle

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales — Réunion du 31 janvier 2008 : 1ère réunion
Collectivités territoriales — Financement des écoles privées - examen du rapport

Photo de Jean-Claude CarleJean-Claude Carle, rapporteur :

a rappelé que depuis son adoption, l'article 89 de la loi « Libertés et responsabilités locales » du 13 août 2004 avait fait l'objet de nombreuses controverses et donné lieu au dépôt de plusieurs propositions de loi tendant à son abrogation ou à sa modification. C'est à ce titre que Mme Annie David, auteur et rapporteur d'une proposition de loi identique à celle du groupe socialiste lorsqu'elle siégeait à la commission des affaires culturelles, avait procédé dès l'année dernière à une première série d'auditions, dont elle avait rendu compte à la commission le 2 juillet 2007. Ce travail de réflexion se poursuit à présent avec l'examen d'une nouvelle proposition de loi, tendant à abroger l'article 89.

a ensuite indiqué que l'article 89 avait pour vocation originelle de mettre fin à un déséquilibre indiscutable entre écoles primaires publiques et écoles primaires privées sous contrat d'association, en contradiction avec l'exigence de parité qui préside aux relations financières des pouvoirs publics et des écoles sous contrat d'association, depuis l'adoption de la loi Debré n° 59-1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement privés. Pour les écoles primaires, cette exigence trouve sa consécration à l'article L. 442-5 du code de l'éducation, qui dispose que : « les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public ». Il revient donc aux communes de les acquitter.

a précisé que ces charges constituaient des dépenses obligatoires et que, s'agissant des classes élémentaires, les communes devaient les acquitter sans que leur accord au contrat passé entre l'Etat et l'école en question soit requis. La jurisprudence est très claire sur ce point : quelle que soit la position du maire de la commune sur la laïcité ou la liberté de l'enseignement, qu'il y ait ou non une école publique sur le territoire de la commune, il est tenu de les prendre en charge. Cette obligation trouve en effet son origine dans le souci de protéger l'exercice effectif de la liberté d'enseignement sur l'ensemble du territoire.

Il a ensuite observé que, jusqu'à l'intervention de l'article 89, cette exigence n'était pas respectée quand une école privée sous contrat d'association accueillait des enfants domiciliés dans une autre commune. Les règles de répartition des contributions respectives des communes d'accueil et des communes de résidence différaient en effet selon que l'école considérée était privée ou publique.

S'agissant des écoles publiques, la commune de résidence des enfants et la commune sur le territoire de laquelle ils sont scolarisés ont l'obligation, en vertu du principe posé à l'article L. 212-8 du code de l'éducation, de s'entendre pour se répartir les dépenses de fonctionnement de l'école concernée. Si elles ne trouvent pas d'accord, il revient au préfet de régler la question. Il dispose pour ce faire de certains éléments d'appréciation déterminés par l'article du code précité et doit à ce titre prendre en compte notamment le nombre d'élèves scolarisés hors de leur commune ainsi que l'importance de chacune des collectivités concernées, ces critères lui permettant de moduler la contribution de chacune en fonction de la situation particulière qui lui est soumise. De plus, la loi fixe certaines conditions qui, lorsqu'elles sont vérifiées, conduisent la commune de résidence à devoir participer au financement de l'école publique de la commune d'accueil ou, au contraire, l'exonèrent de cette obligation.

Ainsi, la commune de résidence n'est-elle pas obligée de contribuer au financement de l'école publique si elle dispose des capacités d'accueil suffisantes pour scolariser les élèves en question, sauf si le maire de la commune, préalablement consulté, a donné son accord à la scolarisation de ces élèves en dehors de la commune.

Toutefois, la commune de résidence est tenue d'acquitter cette participation :

- si les parents des élèves en question ont besoin pour des raisons professionnelles de pouvoir recourir à un système de garde et que celui-ci n'existe pas dans la commune ;

- si des raisons médicales obligent à scolariser l'enfant dans une autre commune ;

- ou bien encore si le frère ou la soeur de l'enfant est déjà inscrit dans une école de la même commune.

Mais, en tout état de cause, si la commune de résidence n'est pas tenue de payer, c'est la commune d'accueil qui le sera. La scolarité d'un élève d'une école publique est donc toujours prise en charge par une ou plusieurs communes.

S'agissant des écoles privées sous contrat d'association, le principe posé à l'article L. 212-8 pour les écoles publiques était, jusqu'en 2004, également applicable : commune d'accueil et commune de résidence devaient donc partager le poids de cette contribution et rechercher un accord, en application de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat. Rien n'était toutefois prévu pour permettre au préfet de trancher un éventuel désaccord, de même qu'aucune condition particulière n'était posée afin de contraindre l'une ou l'autre des communes à acquitter cette contribution, ce qui a conduit ce principe à rester le plus souvent lettre morte.

Les dépenses de fonctionnement liées à l'accueil d'un enfant dans le privé sous contrat d'association pouvaient donc n'être prises en charge par aucune des deux collectivités, ce qui était à l'évidence contraire tant à la lettre qu'à l'esprit de la loi Debré. Cela revenait également à faire peser sur certaines familles l'obligation de financer les dépenses de fonctionnement, alors même que, de par la loi, cette obligation aurait dû échoir à la commune. De ce point de vue, il y avait donc une indiscutable rupture d'égalité entre contribuables. Quant aux établissements privés, ils souffraient eux aussi de cette situation, la plupart des écoles ne pouvant intégralement répercuter sur les familles des charges de fonctionnement qui pour certaines auraient été trop lourdes.

a relevé que ce déséquilibre, en première analyse défavorable au privé, pouvait également tourner au désavantage du public. Comme l'a indiqué M. Michel Charasse au cours de la séance où l'article 89 a été adopté par le Sénat, certains maires profitaient en effet de cet état lacunaire du droit pour inciter fortement leurs administrés à scolariser leurs enfants dans l'école privée de la commune voisine plutôt que dans l'école publique d'une autre commune, puisqu'ils n'avaient rien à payer dans un cas, alors qu'ils devaient le faire dans l'autre. Dès lors, il était parfaitement légitime et même nécessaire d'étendre, comme l'a fait l'article 89, la garantie de l'intervention préfectorale aux écoles privées sous contrat d'association et de rétablir ainsi les équilibres fondamentaux issus de la loi Debré.

a ensuite indiqué que l'application de l'article 89 ne posait pas des difficultés justifiant son abrogation immédiate. L'état du droit applicable a en effet été clarifié, permettant ainsi de lever les incertitudes sur le point de savoir si les dispositions de l'article 89 devaient être lues isolément ou bien articulées avec l'ensemble du droit en vigueur. Or si les dispositions de l'article 89 sont prises seules, elles reviennent à poser le principe de l'intervention du préfet lorsqu'il y a désaccord entre communes au sujet du financement des écoles primaires sous contrat, sans reprendre pour autant les différentes conditions posées par le même article, lesquelles rendent la contribution de la commune d'accueil obligatoire ou facultative.

Le rapporteur a alors noté que cette lecture pouvait en apparence conduire une commune de résidence à participer au financement du privé dans des hypothèses où elle ne participerait pas au financement du public, en particulier lorsqu'elle dispose des capacités d'accueil sur le territoire de sa commune. Cela pourrait alors revenir à traiter de manière plus favorable des établissements privés que des établissements publics, ce qui en vertu des garanties constitutionnelles qui entourent l'organisation du service public de l'enseignement, paraît difficilement compatible avec les principes fondamentaux de notre droit. Mais si le Conseil constitutionnel, saisi d'un recours sur la loi de 2004, n'a pas soulevé d'office ce grief d'inconstitutionnalité, c'est qu'une autre lecture de cet article est possible, qui repose sur la combinaison des dispositions de l'article 89 et du principe énoncé à l'article L. 442-5, qui prévoit que les dépenses de fonctionnement des écoles primaires privées sous contrat d'association sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles applicables au public. C'est cette dernière lecture que les ministres de l'éducation nationale et de l'intérieur ont explicitement retenue dans leurs deux circulaires communes du 2 décembre 2005 et du 27 août 2007.

a affirmé que cette interprétation était de nature à satisfaire l'ensemble des acteurs concernés, en particulier l'Association des maires de France ainsi que les représentants des intérêts laïques, et ce d'autant plus que le principe posé à l'article L. 212-8 est celui de la recherche d'un accord. L'action des préfets dans les départements est guidée par cette exigence et permet de trouver des solutions équilibrées, qui tiennent compte des ressources respectives des communes. C'est cet esprit de modération qui explique que l'application de l'article 89 n'ait jamais entraîné la fermeture d'une seule école publique.

Rappelant que, d'ores et déjà, la contribution versée par une commune à une école privée située hors de son territoire ne pouvait être supérieure au coût moyen par enfant constaté dans les écoles publiques situées sur son territoire, M. Jean-Claude Carle, rapporteur, a estimé que ces précisions et ces garanties permettaient désormais une application beaucoup plus sereine de l'article 89 dans les communes. A cette occasion, il a salué la volonté marquée par chacune des parties, qu'il s'agisse de l'enseignement catholique ou des maires, de respecter ce qui apparaît à tous comme un modus vivendi tout à fait satisfaisant. Il demeure toutefois des incompréhensions dans certaines communes, lesquelles ont conduit à la contestation de chacune des circulaires précitées devant le Conseil d'Etat et à l'annulation de la première d'entre elles pour des raisons de pure forme. La seconde en reprend donc pour l'essentiel le texte.

s'est félicité de l'existence d'un compromis juridiquement fondé et politiquement équilibré qui permet désormais une application sereine de l'article 89. Le faible nombre de contentieux en témoigne, puisque sur 5.147 écoles privées sous contrat d'association, seuls 19 cas ont eu des suites judiciaires.

En conséquence, le rapporteur a proposé à la commission de rejeter cette proposition de loi.

Un large débat a suivi l'intervention du rapporteur.

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