a tenu à remercier la commission de la confiance que celle-ci lui a témoignée en lui confiant ce rapport, tâche qui s'est avérée délicate, compte tenu à la fois des passions que déclenchait ce texte et, parallèlement, de la diversité - voire du caractère contradictoire - des données et des chiffres livrés par les différentes parties concernées. Il a indiqué s'être efforcé de procéder à une analyse équilibrée du sujet afin d'évaluer l'impact du Protocole de Londres sur l'usage de la langue française ainsi que sur la recherche publique de notre pays.
Evoquant le contexte historique et juridique dans lequel intervenait ce projet de loi de ratification, le rapporteur pour avis a rappelé que le brevet européen était né de la volonté des Etats d'édifier un système de brevets unifié à l'échelle de l'Europe pour protéger leurs inventions dans l'Espace économique européen, dans un souci de réduction des coûts et de simplification des procédures que la diversité des langues nationales rendait particulièrement complexes pour les déposants. Suite à l'échec des tentatives pour instituer un brevet communautaire, une Convention sur la délivrance des brevets européens a été signée à Munich le 5 octobre 1973. Entrée en vigueur fin 1977, elle a instauré le brevet européen et créé l'Office européen des brevets (OEB).
Le rapporteur pour avis a précisé que les 32 Etats signataires sont convenus de choisir trois langues de procédure : l'anglais, l'allemand et le français, dans des conditions fixées par l'article 65 de la Convention de Munich. Une mesure de simplification supplémentaire a été envisagée avec le Protocole de Londres, conclu le 17 octobre 2000, une dizaine de pays acceptant que les Etats ayant une langue officielle en commun avec les trois langues officielles de l'OEB renoncent aux exigences de traduction intégrale prévues par la convention de Munich. Ce protocole, qui concerne exclusivement l'article 65 précité, a un caractère facultatif, ce qui signifie qu'il ne lie pour l'instant que les 13 Etats qui en sont parties, 9 d'entre eux ayant achevé leur procédure d'adhésion ou de ratification. Or l'article 6 du protocole de Londres soumet son entrée en vigueur à la ratification par au moins 8 Etats membres, dont l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France.
a estimé qu'il était temps de procéder à cette ratification et de lever ainsi l'épée de Damoclès qui pesait sur le Protocole de Londres ; il a proposé un certain nombre de mesures d'accompagnement afin à la fois d'en maximiser les effets positifs et d'en atténuer les inconvénients.
Après avoir précisé le contenu du brevet et la valeur juridique de ses éléments (les revendications déterminant les conditions de la brevetabilité et l'étendue du droit du titulaire du brevet, la description et les dessins facilitant la compréhension de l'invention), il a indiqué que, selon l'étendue territoriale de la protection que le déposant souhaite apporter à son invention, il peut choisir une procédure nationale, européenne ou internationale.
Il a rappelé que, même si la proportion d'inventions d'origine française dont le premier dépôt est effectué auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) baisse régulièrement, les déposants français choisissaient très majoritairement (dans 90 % des cas) la procédure nationale de dépôt de brevet français pour des raisons économiques, (d'autant plus que l'INPI facture à un coût réduit le rapport de recherches des antériorités) et qu'environ 60 % de ces demandes nationales faisaient ensuite l'objet d'une extension européenne.
Puis il a évoqué le régime linguistique actuel et son évolution en application du Protocole de Londres. Il a indiqué que les demandes de brevet européen devaient nécessairement être introduites dans l'une des trois langues officielles de l'Office européen des brevets (OEB) : l'allemand, l'anglais ou le français, qu'elles étaient alors publiées dans cette langue dans un délai de 18 mois à compter de la date de dépôt, la délivrance du brevet intervenant 3 à 4 ans après la publication de la demande. Il a précisé que la langue qui faisait foi était la langue de procédure et de délivrance. A ce stade, la traduction des revendications doit être effectuée dans les deux autres langues officielles de l'Office. Puis, à compter de la délivrance du brevet, la traduction intégrale - tant des revendications que de la description - doit être effectuée dans les langues nationales des Etats désignés qui l'exigent, pour que l'invention soit protégée sur le territoire de ces Etats.
a précisé que, dans la pratique, ces traductions étaient effectives dans un délai moyen de 5 ans et que l'ensemble des Etats parties à la Convention avaient usé de la faculté de traduction offerte par l'article 65 de la Convention, qui permet aux Etats de prescrire la traduction intégrale (revendications et description) du brevet dans leur langue nationale pour rendre celui-ci valide sur leur territoire.
Il a observé que le Protocole de Londres ne s'appliquait qu'à la période postérieure à la délivrance du brevet européen, les règles applicables au stade du dépôt de la demande de brevet continuant à prévaloir. Il a distingué trois situations :
- premièrement, celle des Etats parties au Protocole de Londres ayant pour langue officielle l'une des trois langues officielles de l'OEB (soit la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Autriche, la Suisse, la Belgique, le Luxembourg, le Lichtenstein et Monaco) : ces pays renoncent aux exigences de traduction prévues à l'article 65 susmentionné. Toutefois, les revendications devront toujours être disponibles dans les trois langues officielles de l'OEB ;
- deuxièmement, la situation des Etats parties au Protocole de Londres n'ayant pas pour langue officielle l'une des trois langues officielles de l'OEB : ces pays renoncent également aux exigences de traduction prévues à l'article 65, ce qui signifie qu'ils doivent désigner l'une des trois langues officielles de l'OEB comme langue valable sur leur territoire. Néanmoins, ils conservent le droit d'exiger une traduction des seules revendications dans une de leurs propres langues officielles, si le brevet européen n'a pas été délivré ou traduit dans la langue officielle de l'OEB qu'ils ont prescrite ;
- troisièmement, la situation des Etats parties à la Convention de Munich, mais non à l'accord de Londres : ils peuvent continuer à bénéficier des stipulations de l'article 65, et donc à exiger une traduction intégrale dans leur langue officielle.
Le rapporteur pour avis a conclu que :
- tout Etat partie au Protocole de Londres conserve le droit d'exiger la traduction des revendications dans sa langue officielle, mais non des descriptions qui ne seront donc disponibles que dans la langue de procédure qui a conduit à la délivrance du brevet européen, à savoir l'allemand, l'anglais ou le français, ou dans deux ou trois de ces langues si la traduction dans les autres langues officielles est demandée par les Etats ayant choisi une autre langue officielle de l'OEB que celle de la procédure ;
- chaque Etat partie conserve le droit d'exiger qu'en cas de litige fondé sur un brevet, une traduction intégrale du fascicule soit fournie par son titulaire dans la langue nationale du pays.
s'est interrogé ensuite sur les enjeux du Protocole en termes de recherche publique et de diversité linguistique.
Il a observé qu'une partie des professionnels concernés, qu'il avait souhaité entendre, continuaient à s'inquiéter des conséquences de la ratification par la France du Protocole de Londres, faisant notamment valoir que :
- pour la première fois en France, des textes rédigés dans une langue autre que le français, « langue de la République », auraient une valeur juridique ;
- le Protocole conduirait de facto à réduire l'usage de notre langue, l'absence d'obligation de traduction en français des brevets augmentant considérablement le volume de brevets diffusés en langue anglaise en France ;
- le risque existerait d'une perte de fonctionnalité de la langue française dans un domaine stratégique, l'innovation scientifique et technique ;
- cet accord pourrait être préjudiciable aux déposants, qui n'ont pas tous les moyens d'effectuer une veille technologique en anglais ;
- la diminution du coût d'accès au brevet serait d'une ampleur incertaine et elle dépendrait notamment du nombre d'Etats ayant ratifié l'accord de Londres ;
- les déposants français resteraient contraints d'effectuer les traductions intégrales de leur brevet en anglais et en allemand, s'ils souhaitent que leur invention soit protégée dans des Etats n'ayant pas pour langue officielle une des trois langues de l'OEB et ayant opté pour l'une de ces langues, ainsi que dans les autres langues des Etats parties à la Convention de Munich mais non au Protocole de Londres, afin que leur invention soit protégée dans ces Etats.
Le rapporteur pour avis a rappelé que l'hypothèque de la constitutionnalité de l'accord avait été levée. En effet, dans son avis du 21 septembre 2000, le Conseil d'Etat a estimé que la France pouvait signer l'accord sans révision préalable de la Constitution et, dans sa décision du 28 septembre 2006, le Conseil constitutionnel a estimé que l'accord ne méconnaissait pas la disposition selon laquelle « la langue de la République est le français ».
a déclaré qu'il fallait relativiser la réalité de l'usage de la langue française dans le cadre juridique actuel, et qu'en pratique, la convention de Munich s'était traduite par une augmentation continue des dépôts en anglais. Il a ajouté que la veille économique et technologique s'effectuait le plus souvent en anglais, dans la mesure où les traductions intervenaient très tardivement (dans un délai moyen de 5 ans).
Le rapporteur pour avis a souligné que le Protocole viendrait confirmer le statut de la langue française, en consacrant cette dernière comme l'une des trois langues officielles de l'OEB. En outre, le brevet européen pourrait toujours être intégralement délivré par l'OEB en langue française et les revendications devraient toujours être disponibles dans les trois langues officielles. Il a indiqué qu'au demeurant, son impact sur l'usage de la langue française devait être nuancé, le Protocole ne conduisant pas à l'abandon du français comme langue de premier dépôt par les déposants français.
En outre, il a relevé que les activités de veille, qui portaient plutôt sur les revendications, ne seraient pas remises en cause ; par ailleurs, l'INPI continuerait d'assurer une traduction en français du résumé de toutes les demandes de brevets européens publiées désignant la France. Il a jugé essentiel également que le lexique des termes scientifiques géré par l'OEB reste dans les trois langues officielles.
Il a estimé que, s'agissant des organismes publics de recherche, le Protocole de Londres devrait leur permettre de réaliser des économies non négligeables en matière de traduction. Le coût des traductions est cependant difficile à évaluer, car il dépend de nombreux paramètres, tels que le taux de change du dollar, la longueur du texte de brevet à traduire, la complexité technique du texte, le nombre de traducteurs assermentés pour une langue particulière, ou le degré d'urgence. S'agissant des économies susceptibles d'être réalisées, la diversité des chiffres avancés s'explique par le mode de calcul : l'économie est de 20 % si l'on prend en compte le coût intégral du brevet pendant toute sa durée de vie ; elle est de 40 % si l'on impute les coûts de traduction à l'investissement initial lié au dépôt du brevet. Or, c'est bien le montant de cet investissement qui sera ou non rédhibitoire pour un déposant potentiel.
C'est pourquoi le rapporteur pour avis a jugé pertinent de retenir les évaluations du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, à savoir une diminution du coût des traductions située dans une fourchette de 35 % à 45 %. L'économie potentielle moyenne par brevet déposé serait ainsi de 1 566 euros. L'économie potentielle annuelle réalisée par les organismes de recherche sous la tutelle du ministère serait donc au moins d'1,1 million d'euros et de 0,5 million d'euros s'agissant des universités.
Le rapporteur pour avis a également fait état d'autres estimations : inférieures pour ce qui concerne l'Association pour le Droit à l'Information en Français (ADIF), globalement supérieures s'agissant du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Puis M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis, a recommandé l'adoption des mesures d'accompagnement.
Il a défendu, tout d'abord, la nécessité de plaider pour un renforcement de la sécurité juridique qu'offraient les traductions, surtout dans le nouveau contexte de non-traduction de la description du brevet. Après avoir évoqué les dispositions de l'article L. 614-10 du code de la propriété intellectuelle en la matière, il a souhaité que ce point essentiel soit abordé, au moins dans le cadre des négociations en cours sur le brevet communautaire.
Il a ajouté que le véritable défi à relever était la localisation des centres de recherche sur le territoire national et que, dans ce but, il fallait faire de la recherche une réelle priorité et poursuivre le chemin de la modernisation de notre système de recherche engagé depuis quelques années.
Il a souhaité aussi que soit inscrite dans les statuts de l'INPI, au titre de ses missions pérennes, l'obligation de réaliser les traductions abrégées des brevets dans les meilleurs délais.
Il a observé, par ailleurs, que notre pays souffrant d'un manque de culture du brevet, il convenait d'inciter les écoles d'ingénieurs et les universités à mieux former les jeunes dans les domaines de la veille technologique, des dépôts et de la valorisation des brevets.
Il a indiqué qu'il fallait poursuivre le combat pour la diversité linguistique, mené de longue date par la commission, notamment au travers des travaux de M. Jacques Legendre. Les pouvoirs publics doivent veiller à la pleine application de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, dite loi Toubon. A cet égard, il a insisté tout particulièrement sur la nécessité pour notre pays de défendre sa position sur l'information en français du consommateur, des évènements dramatiques récents ayant montré l'utilité vitale d'une information en français, et donc d'une traduction de qualité des notices d'instruction et d'utilisation. Il a rappelé qu'en 2004, le Sénat avait adopté à l'unanimité une proposition de loi, dont M. Philippe Marini était l'auteur, qui tendait à apporter quelques compléments utiles et pratiques à la loi de 1994. Il a suggéré que la commission demande au Gouvernement l'inscription rapide de cette proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Par ailleurs, il a souhaité que notre pays continue sa lutte incessante en faveur du plurilinguisme dans les enceintes internationales et de la place du français dans les institutions européennes.
Enfin, le rapporteur pour avis a préconisé des mesures d'accompagnement en faveur des professions menacées. Il a évoqué notamment la situation les traducteurs, dont un certain nombre seront nécessairement touchés par l'application du Protocole. Pour ceux-là, des actions de formation devraient être encouragées et le problème de leur financement étudié par les ministères concernés. Il a indiqué que la position du principal syndicat de traducteurs avait considérablement évolué, celui-ci étant aujourd'hui convaincu à la fois de la nécessité pour la profession de s'adapter et de l'existence de nouvelles opportunités pour ceux qui sauraient développer leur spécialisation.
En conclusion, et sous réserve de ces recommandations, M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis, a demandé à la commission de donner un avis favorable à l'adoption du projet de loi.
Un échange de vues a suivi l'exposé du rapporteur.