Puis la commission a entendu une communication de M. Alain Vasselle sur la mission d'information de la commission en Argentine.
a rappelé qu'une délégation de neuf sénateurs s'est rendue en Argentine du 9 au 17 septembre dernier. Elle y a rencontré les plus hautes autorités argentines, notamment M. Daniel Scioli, président du Sénat et vice-président de la Nation, et a participé à des réunions avec les principaux ministères en charge des questions sociales (santé, travail et développement social), correspondant aux différents champs de son étude. Des déplacements sur le terrain - visite d'un bidonville en cours de réhabilitation, d'hôpitaux et d'un centre d'accueil d'enfants défavorisés - lui ont permis une meilleure perception du système de protection sociale argentine et des défis qu'il doit relever.
Cette étude s'est révélée particulièrement complexe, car l'une des principales caractéristiques de la protection sociale argentine réside en sa très grande fragmentation entre de multiples opérateurs. Ainsi, le système d'assurance maladie s'organise autour de trois catégories distinctes d'opérateurs : les « obras » sociales, le secteur privé et le secteur public. La répartition des rôles entre les acteurs y est très différente du modèle français :
- les opérateurs privés ne sont pas des assureurs complémentaires ; ils prennent en charge les mêmes prestations que le régime obligatoire ;
- la sécurité sociale et les assureurs privés se comportent comme des acheteurs de soins, c'est-à-dire qu'ils adressent leurs assurés à des professionnels de santé, avec qui ils ont passé des contrats. Il ne s'agit donc pas, comme en France, de gérer des demandes de remboursement ;
- le secteur public a pour mission la prise en charge médicale des personnes ne disposant d'aucune couverture santé, c'est-à-dire de la population la plus démunie.
Le profil de ces opérateurs est différent selon les catégories. Au nombre de trois cents, les obras sociales sont elles mêmes réparties en plusieurs catégories selon qu'elles interviennent au niveau national, régional ou professionnel. Elles constituent la pierre angulaire du système d'assurance maladie argentin.
Au milieu des années 90, le Gouvernement a entamé une série de réformes structurelles destinées à optimiser le fonctionnement du système. Il a alors souhaité organiser une concurrence entre les caisses afin de contraindre les opérateurs à améliorer leur gestion et les prestations fournies aux assurés. Parallèlement, il a imposé aux obras sociales la mise en place d'un panier de biens et services minimum garanti aux assurés.
Toutefois, ces réformes n'ont pas produit les effets escomptés, car la fragilité financière des caisses n'a pas permis d'assurer un panier de biens et services minimum, mais seulement les prestations relevant de l'urgence. La grave crise économique, politique et sociale traversée par l'Argentine au début des années 2000 a accru leurs difficultés et s'est traduite par un net recul du nombre des assurés : les « obras » sociales ne couvrent plus aujourd'hui que 52 % de la population, soit 10 % de moins qu'il y a dix ans.
Le secteur privé intervient essentiellement comme un régime de base, mais il offre l'accès à des structures de soins plus performantes. Il assure la couverture de 9 % de la population, résidant à plus de 80 % à Buenos Aires et ses alentours.
Enfin, le service public hospitalier, troisième grand acteur du système d'assurance maladie, constitue pour près de 40 % des Argentins, le seul moyen d'accès à la santé. Il est gratuit et financé par les régions sur leurs ressources propres.
a estimé que ce système d'assurance maladie souffre de faiblesses importantes : il n'a pas la capacité d'offrir une couverture à l'ensemble de la population et l'accès aux soins primaires gratuits ou pris en charge par un assureur n'exclut pas l'existence d'une participation financière à la charge des assurés.
Pour pallier ces carences et améliorer l'état sanitaire de la population, les autorités argentines tentent de développer une politique de santé publique dynamique, un plan triennal 2004-2007 a été mis en oeuvre pour développer une politique de promotion de la santé qui tienne compte de l'état sanitaire de la population et de l'environnement où elle vit. Il comporte des objectifs chiffrés répartis en six catégories : santé de l'enfant, santé maternelle, éducation sexuelle et prise en charge de la grossesse, personnes handicapées, lutte contre le tabac et « autres actions ».
Cette politique se heurte toutefois à deux obstacles : le caractère hospitalo-centré du système de santé public, qui empêche un travail de proximité et promeut presque exclusivement le recours aux soins curatifs, et le coût de développement des centres de promotion de la santé, qui est supérieur aux ressources des instances régionales. La mise en oeuvre de cette politique de santé publique est une préoccupation majeure des autorités argentines, notamment dans sa partie consacrée à l'amélioration de la santé maternelle et infantile, compte tenu des taux élevés de mortalité et des conditions de vie des jeunes enfants.
a ensuite présenté deux autres volets du système de protection sociale argentin : les retraites et la lutte contre l'exclusion.
Tout comme l'assurance maladie, le système de retraite trouve son origine dans les mutuelles ouvrières. Progressivement développé à partir de 1950, il a fait l'objet d'une réforme structurelle d'ensemble en 1994, avec la création d'un système unique intégré des retraites et pensions, organisé autour de deux branches gérées par des caisses distinctes : l'Agence nationale de la sécurité sociale, structure publique en charge du régime par répartition, et l'Agence des fonds de retraites et pensions, qui assure la gestion du régime de retraites par capitalisation.
L'adhésion à ce système, équivalent à un régime général, est obligatoire pour tous les salariés âgés de dix-huit ans et plus, ainsi que pour les professions libérales. L'âge de départ à la retraite a été fixé à soixante-cinq ans pour les hommes, avec une durée de cotisation de trente ans, et à soixante ans pour les femmes, avec vingt-cinq annuités de cotisation. Une période de transition de cinq ans a été prévue afin de permettre la montée en charge de ce nouveau système de retraites.
A la différence de la réforme plus radicale mise en oeuvre au Chili, le modèle argentin se caractérise par l'équilibre qu'il a su trouver entre un système par répartition, qui offre une prestation de base, et un système par capitalisation, qui vient le compléter.
Le premier pilier permet de servir à chaque assuré une prestation de base, universelle dont le montant est indépendant du niveau des cotisations. Il s'élève aujourd'hui à 200 pesos, soit moins de 50 euros, auxquels s'ajoute par une prestation compensatoire variant selon le niveau de cotisation de chaque assuré. Ces deux prestations constituent la retraite de base de tous les cotisants au régime général.
Le second pilier offre au travailleur le choix entre deux régimes, soit un programme à prestation définie, administré par la sécurité sociale, financé par répartition sur la base de cotisations salariales individuelles et offrant un complément égal à 0,85 % du revenu de référence pour chaque année de cotisation, soit un système de capitalisation administré par des institutions privées et financé au moyen de cotisations individuelles.
Sur les 12 millions de cotisants, dont près de 8 millions d'hommes, 86 % ont souscrit au régime de capitalisation. Fin 2003, la pension moyenne était de 503 pesos (environ 120 euros), soit 486 pesos (117 euros) pour le régime de répartition et 596 pesos (142 euros) pour celui par capitalisation, sachant que la moitié des salariés argentins gagne moins de 400 pesos par mois, soit 96 euros.
Comme l'assurance maladie, le système de retraite a été frappé de plein fouet par la crise économique, entraînant une réduction du niveau des pensions de 13 %. En outre, le système connaît d'autres difficultés, et notamment le recul très net de la population couverte. Le taux de couverture était déjà peu élevé au moment de la réforme, mais il n'a cessé de diminuer entre 1994 et 2001, revenant de 50 % de la population active à environ 40 %. Cette dégradation s'explique par le durcissement des conditions d'obtention des prestations, en dépit de l'instauration d'un régime de transition, et plus encore par la forte hausse du chômage, la mise en oeuvre d'une politique de l'emploi qui permet d'embaucher sans obligation de cotiser à la sécurité sociale et la progression du travail informel.
a alors indiqué que cette situation a conduit le gouvernement argentin à développer une politique de lutte contre les exclusions.
Créé en janvier 2002 par le précédent président de la République, Eduardo Duhalde, le plan Jefes y Jefas avait pour objectif d'apporter une aide aux familles les plus démunies. Conçu comme un plan d'urgence en réponse à la crise de 2001, sa durée initiale devait être d'un an ; depuis, il a été reconduit chaque année et constitue l'un des piliers de l'action sociale menée par le Gouvernement.
Doté d'un budget de 3,5 milliards de pesos (environ 900 millions d'euros, soit 80 % du montant de l'aide sociale distribuée par l'Etat), il distribue une aide de 150 pesos (soit 36 euros) à toute personne sans emploi ayant des enfants mineurs ou handicapés à charge, en contrepartie d'une obligation de scolarisation et de vaccination des enfants et de travaux d'intérêts généraux. Il est géré par les collectivités locales et financé par les ressources fiscales fédérales et régionales et des crédits spécifiques obtenus auprès de la Banque mondiale.
En octobre 2006, 1,5 million de personnes bénéficiaient de ce programme, dont 70 % de femmes chefs de famille et deux tiers d'adultes âgés de vingt-six ans à quarante-cinq ans.
Le gouvernement du président Duhalde a tenté de transformer ce programme en une stratégie de lutte contre le chômage. L'idée, avancée en janvier 2003, était d'adjoindre à ce programme social un volet réinsertion, en se fixant comme objectif le recrutement d'un quart des deux millions de bénéficiaires par le tissu des PME.
Le volet réinsertion de ce plan s'est avéré être un échec. Outre les problèmes de gestion des bénéficiaires, il a créé un effet d'aubaine pour les PME, qui ont licencié leurs salariés pour les remplacer par des bénéficiaires du programme Jefes y Jefas afin de réduire le coût de leur main-d'oeuvre. Des détournements ont également été constatés au niveau local, le plan étant mis à profit pour la constitution de clientèles électorales.
Face à cet échec, le gouvernement du président Kirchner a mis en place un nouveau dispositif, intitulé Mas y mejor Trabajo. Pour y être éligible, une entreprise ne peut licencier aucun de ses employés pendant les trois mois qui précèdent le dépôt de sa demande et doit s'engager à embaucher l'allocataire après huit mois d'activité et à payer ses contributions au système de sécurité sociale. A ce jour, seuls, 13 % des bénéficiaires du programme ont pu retrouver un emploi stable.