Par sept voix contre six à la Turquie, la France a obtenu le 28 mai 2010 l'organisation du championnat d'Europe de football de 2016. Cette compétition, organisée tous les quatre ans depuis 1960, est le troisième évènement sportif mondial en termes d'impact médiatique. C'est une chance, une joie et un honneur de l'accueillir en France.
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale n'est en rien un dispositif d'exception, dérogeant fondamentalement au droit commun pour répondre à un engagement ponctuel de la France. Elle répond au contraire à un besoin majeur du sport français, l'organisation d'une coupe d'Europe offrant l'opportunité d'expérimenter de nouveaux modes de partenariat public/privé (P.P.P.) au service d'équipements sportifs à rénover ou à moderniser.
Nos stades sont à la fois de faible capacité et archaïques. Alors que le taux de remplissage est plutôt bon - plus de 75 % en 2008 contre moins de 60 % en Italie -, la capacité moyenne d'accueil du public s'établit à moins de 30 000 places dans le championnat de France de football contre plus de 45 000 en Allemagne. L'âge moyen des stades était en 2008 de 7 ans en Allemagne, de 11 en Angleterre, et de 17 en France. La qualité de l'accueil est donc insuffisante en termes de confort et d'espaces réceptifs, avec notamment seulement 4 % de la surface totale des stades consacrés aux sièges à prestations, contre 8 à 12 % pour les standards européens. La multifonctionnalité, élément crucial de rentabilité des stades est très insuffisante. La plupart de nos grands stades ne sont occupés que deux jours par mois pendant neuf mois, soit une vingtaine de jours par an avec les coupes. C'est contraire à une bonne utilisation de l'argent public. Enfin, comme l'avait noté notre collègue Pierre Martin dans son rapport sur les supporters, les normes de sécurité ne sont pas toujours respectées.
En conséquence le championnat de France qui profite peu de la billetterie - autour de 15 % du chiffre d'affaires - est « télé-dépendant » : avec 57 % de leurs ressources provenant des droits télévisuels, les clubs sont donc à la merci d'un retournement du marché. En un mot, il n'y pas de modèle économique du sport professionnel en France. On peut se féliciter du contrôle de gestion rigoureux exercé sur les clubs, mais il faut s'inquiéter du manque de compétitivité des clubs professionnels Car, en dépit des salaires parfois indécents versés aux sportifs professionnels, notamment aux footballeurs, ce ne sont pas des groupes « ultracapitalistisques » aux taux de rentabilité vertigineux et beaucoup de clubs de football terminent la saison en déficit.
Le sport professionnel est devenu un spectacle, dont l'objet est la rentabilité. Mais il continue à jouer un rôle essentiel pour les collectivités territoriales. Je vous renvoie à cet égard au rapport présenté devant notre commission par notre ancien collègue Bernard Murat sur les clubs sportifs et les collectivités territoriales : les clubs assurent une notoriété très importante aux communes où ils sont implantés, ils créent un ciment d'identification locale et du lien social, du fait de la mixité sociale dans les stades et de l'atmosphère qui y règne la plupart du temps - il suffit de voir ce qui se passe dans les virages lors d'un match de l'OM pour s'en convaincre. Le sport professionnel renforce aussi la pratique sportive de la population. Le stade lui-même est, comme le note le rapport de la commission « Grands stades », « un outil de développement de l'attractivité des villes et des territoires, un facteur de contribution à la croissance économique, voire une opportunité de donner un nouvel essor à des quartiers urbains situés alentour du stade », comme l'illustre le Stade de France à Saint-Denis. D'où l'intérêt des projets de rénovation et de construction de stades pour 2016, qui rencontrent des obstacles depuis de longues années.
Les causes en sont d'abord historiques. De nombreux rapports sont parus dans la dernière décennie sur la question des équipements sportifs : celui de Maître Guillot pour le ministère des sports, celui d'Éric Besson sur la compétitivité du football français, celui de la commission « Grands stades » présidée par Philippe Seguin, le rapport « Arena » de Daniel Constantini et enfin celui de David Douillet. Tous font le même constat de la spécificité française de la gestion publique des stades qui sont historiquement la propriété de la collectivité territoriale d'implantation - dans 90 % des cas, contre 59 % dans l'Europe élargie. La coexistence entre obsolescence des stades et propriété publique n'est pas une coïncidence. Le rapport Seguin explique que le stade est, dans notre pays, davantage perçu comme un enjeu politique que comme un centre de ressources et de profits. A partir du moment où le club résident est un simple locataire sans droits réels ni marges de manoeuvre de gestion du stade, il a peu d'intérêt à exploiter économiquement l'équipement, à y attirer des supporters et à moderniser l'infrastructure. Et même si les clubs le souhaitent, ils sont souvent confrontés à l'incapacité financière de la collectivité à rénover, voire simplement à entretenir l'installation sportive. Je suis bien placé pour le savoir avec l'accession à la première division de l'équipe d'Arles-Avignon qui a coûté 8 millions pour porter le stade à 17 000 places.
Ensuite, il y a des causes juridiques. Il n'existe pas de cadre juridique unique adapté à l'ensemble des projets, le choix dépendant de chaque situation : rénovation ou construction, maîtrise d'ouvrage publique ou privée, mode de financement.
La maitrise d'ouvrage publique est un outil simple mais de moins en moins utilisé en raison de la lourdeur de la gestion des projets, de la charge financière pour les collectivités, qui payent l'intégralité des travaux, et du rôle secondaire laissé aux clubs. Parmi les stades concernés par l'organisation de l'Euro, le Stadium de Toulouse et Geoffroy-Guichard de Saint-Etienne seront rénovés sous cette formule, avec un investissement très important de la collectivité.
Les concessions et les contrats de partenariat permettent de confier à un prestataire la gestion du projet dans son ensemble et d'étaler les investissements publics dans le temps, mais les clubs n'ont toujours pas la maîtrise du projet ni de droits sur l'infrastructure.
Les deux régimes juridiques les plus à la mode sont donc les partenariats public-privé (PPP) et les baux emphytéotiques administratifs (BEA). Le PPP permet d'associer la collectivité, l'opérateur et le club à la vie quotidienne du stade, aux conditions de son exploitation, et de partager coûts et recettes. Il semble que cette formule soit notamment adaptée en cas de construction d'un nouveau stade. Quatre des stades concernés par l'Euro sont ou seront rénovés ou construits dans ce cadre : le grand stade de Lille, le nouveau stade bordelais, celui de Nice et le stade Vélodrome de Marseille.
Le bail emphytéotique administratif séduit par sa souplesse et par la possibilité qu'il offre au club de mener une exploitation ambitieuse du stade. La collectivité reste propriétaire et peut imposer le respect d'un certain nombre de règles. Le rapport Seguin notait cependant les incertitudes juridiques entourant ce bail et c'est la raison pour laquelle le BEA spécifique « équipements sportifs » a depuis été introduit par la loi de février 2009 pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés. La présente proposition de loi a pour objet principal d'assouplir encore le régime du BEA, conformément aux propositions du rapport Seguin, notamment en raison des spécificités entourant son mode de financement. Les travaux de rénovation du Parc des Princes, du stade Bollaert de Lens et du stade Marcel-Picot de Nancy devraient être exécutés sous cette formule.
Bien que la construction entièrement privée - comme pour le stade de Lyon - ne pose pas de problème particulier, il est extrêmement difficile de monter ce type de projets. Ceux de Strasbourg et de Nice ont été abandonnés et celui de l'Olympique Lyonnais se heurte à des obstacles importants : vous avez tous lu dans la presse les échanges entre Jean-Michel Aulas et la ministre des sports. Il faudra nous interroger sur l'éventuelle existence de causes culturelles au faible nombre de projets privés d'intérêt général, dans le domaine du sport ou même de la culture - comme l'illustre l'échec du projet de la fondation Pinault sur l'île Seguin.
Bref, il y a encore des difficultés à construire des stades en dépit de leur rôle en matière de compétitivité du sport professionnel et d'aménagement du territoire. Par conséquent, l'organisation de l'Euro 2016 est une occasion historique pour rénover et moderniser nos stades. Le député Bernard Depierre, auteur de la proposition de loi, a choisi de mettre en place une forme « d'expérimentation significative d'un nouveau mode de financement des grandes infrastructures nationales », dont j'approuve pleinement la forme et le fond.
Le cahier des charges de l'UEFA est exigeant mais il répond à des besoins réels. Neuf stades doivent être proposés dont deux d'au moins 50 000 places - ils existent déjà ; ce sont le Stade de France et le Stade Vélodrome à Marseille - trois de 40 000 places - Lens, Paris, Lille, Bordeaux ou Lyon - et quatre de 30 000 places - Nice, Saint-Etienne, Toulouse, Nancy.
Trois types d'exigences sont ensuite définies : spatiales, techniques et fonctionnelles. Les points noirs des équipements français sont les espaces dits « hospitalité » et le bloc « tribunes de presse et installations médias », à cause de l'ancienneté de nos stades. Les travaux de rénovation se concentreront donc sur ces objectifs, qui sont en outre des éléments majeurs de la rentabilité des stades. Le confort des stades n'est pas non plus adapté au cahier des charges de l'Euro. Son amélioration ne pourra qu'être facteur d'attraction des familles dans les enceintes sportives et, donc, d'amélioration de leur performance économique. Il faut aussi y améliorer la sécurité.
Outre que ces rénovations auront un impact positif sur la compétitivité du sport professionnel français, l'Euro 2016 aura des conséquences économiques positives, chiffrables à plusieurs centaines de millions d'euros.
La présente proposition de loi devrait permettre de débloquer certains dossiers. Comme je l'ai indiqué, la voie la plus prometteuse en matière de rénovation des stades, pour des raisons historiques et culturelles, est le financement mixte entre le public et le privé. L'article premier permet ainsi aux baux emphytéotiques administratifs, conclus dans le cadre de projets de construction ou de rénovation de stades destinés à accueillir l'Euro 2016, de devenir éligibles aux mêmes aides versées par les collectivités territoriales que les projets réalisés sous le régime de la loi sur la maîtrise d'ouvrage publique ou dans le cadre des contrats de partenariat. Les stades de Nancy et Lens dont la rénovation est actuellement bloquée en raison de l'incapacité des collectivités à intervenir financièrement dans le cadre des BEA pourraient ainsi être modernisés. La rénovation du Parc des Princes pourrait aussi être concernée. Cet article permettra qu'une partie des 150 millions du CNDS dégagés par la dernière loi de finances pour les stades serve aux trois stades mentionnés et à leurs équipements annexes. Il est en outre prévu que le versement des subventions, redevances et autres participations financières puisse être échelonné en fonction de la durée du bail.
L'article 2 prévoit que les collectivités territoriales et leurs groupements puissent, de façon dérogatoire, apporter des aides aux projets de construction ou de rénovation des onze stades mentionnés dans la candidature française. Il déroge d'une part, à l'article L. 1511-2 du code général des collectivités territoriales qui confie au conseil régional la définition du régime ainsi que la décision d'octroyer des aides aux entreprises ; dans le cas des stades, projets importants et structurants pour les communes, il peut être opportun d'élargir le régime d'aides et de permettre leur autonomisation ; pour l'organisation de l'Euro, il est impératif de croiser les financements. D'autre part, cet article 2 prévoit une dérogation aux articles L. 113-1 à L. 113-3 et L. 122-11 du code du sport qui instituent des plafonds d'aide et interdisent les garanties des collectivités territoriales aux associations et sociétés sportives. Tous les projets faisant intervenir un opérateur privé - c'est-à-dire tous sauf Toulouse - sont potentiellement concernés par cet article.
L'article 3 permet enfin aux contrats en lien avec les stades destinés à accueillir l'Euro, avec leurs équipements connexes et avec l'organisation et le déroulement de l'Euro, passés par des personnes morales de droit public, de prévoir le recours à l'arbitrage avec application de la loi française. Cet article, qui peut potentiellement s'appliquer à tous les stades, est une dérogation au principe de droit public d'interdiction de clauses compromissoires dans les contrats de droit public. Outre qu'on peut s'interroger sur la pertinence d'une telle règle, il ne pourra y avoir arbitrage que sur des contrats et non sur des actes unilatéraux, comme les permis de construire. L'objectif est d'éviter les retards dans la construction des nouveaux stades, qui doivent être livrés impérativement à la fin de l'année 2014.
Je suis convaincu que ces dispositifs dérogatoires, notamment ceux prévus aux articles 1er et 3 ont un réel avenir, et que leur utilisation dans le cadre de l'Euro 2016, justifiée par l'urgence de la situation, sera un test grandeur nature parfait pour savoir s'ils devront ultérieurement être étendus à l'ensemble des stades et enceintes sportives. Notre réflexion sur les stades, et plus largement sur les équipements sportifs, est loin d'être terminée. D'autres facilitations de procédure et améliorations du cadre juridique devront être examinées à l'avenir. J'ai auditionné le 30 mars dernier, le Président de l'Association nationale des ligues de sport professionnelles, qui m'a fait part, en accord avec les 5 fédérations de sports collectifs qu'il représente, de son souhait de voir cette loi adaptée à l'ensemble des enceintes sportives, stades et gymnases,
Dans un premier temps, je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi sans la modifier. Elle est nécessaire pour la réussite de l'Euro 2016 en France. Elle est surtout un impératif pour enfin moderniser nos équipements sportifs et en faire plus que des lieux de sport : des lieux de spectacle, de vie, de rassemblement, de mixité.