Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 7 revêt une importance capitale, car il porte sur la création de la « Société du Grand Paris », dotée d’un statut un peu particulier, puisqu’il s’agit d’un établissement public industriel et commercial, comme tous les établissements publics d’aménagement, même si elle n’est nulle part définie concrètement comme un établissement public d’aménagement.
Et pour cause : la gouvernance de cette nouvelle structure, telle qu’elle nous est proposée, est fondamentalement différente de celle de ces établissements spécifiques. Une nouvelle fois, vous nous proposez d’adopter un article créant un ovni juridique. Je vous avoue que nous ne pouvons pas comprendre votre démarche.
En effet, vous avez légitimé la réforme des collectivités locales par l’obsolescence et l’inefficacité du « mille-feuille territorial ». Pourtant, je l’ai déjà dit lors de mon intervention dans la discussion générale, ce projet de loi ajoute une nouvelle structure, concurrente à la région et au Syndicat des transports d’Île-de-France, structure absolument technocratique, dotée de compétences ôtées à des structures qui, elles, sont démocratiques.
Cet établissement public aura « pour mission principale de concevoir et d’élaborer le schéma d’ensemble et les projets d’infrastructures composant le réseau de transport public du Grand Paris », en totale indépendance du Syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF, autorité organisatrice des transports en Île-de-France. Le STIF sera simplement consulté, aux termes de l’article 3 de ce projet de loi.
En outre, il n’est nulle part écrit que ce schéma doit être compatible avec le schéma directeur de la région d’Île-de-France, le SDRIF ; c’est même du contraire qu’il s’agit, puisque les projets menés par cette société seront qualifiés de projet d’intérêt général et obligeront donc la région à modifier son schéma directeur.
Comment ne pas voir que ce montage juridique représente, en termes d’aménagement, une arme particulièrement efficace – redoutable, dirai-je même – pour contourner la région et remettre aux mains d’une société contrôlée par l’État l’aménagement de l’Île-de-France. Nous ne pouvons accepter ce coup de force !
Ainsi, il est également précisé que « l’établissement public “ Société du Grand Paris ” peut conduire des opérations d’aménagement », en dehors de tout accord des collectivités concernées, dans le périmètre des zones sur lesquelles celles-ci disposent du droit de préemption. À quoi bon organiser un débat public, puisque, sur le fond, la « Société du Grand Paris » pourra tout, en dépit de la volonté des collectivités et des Franciliens ? Nous estimons que ce déni de démocratie est inacceptable.
Par ailleurs, cet ovni juridique pourra rapidement se transformer en nébuleuse puisque, non content de lui conférer des pouvoirs immenses, le projet de loi prévoit que ceux-ci pourront être étendus au gré de la volonté des collectivités territoriales ou de l’État, sous réserve qu’il s’agisse d’une mission d’intérêt général connexe.
Les travaux de la commission spéciale ont ajouté une nouvelle compétence à celles que le projet de loi confie à cette société, à savoir « une offre de transport de surface permettant la desserte des gares du réseau ». Comment ne pas y voir un autre empiétement majeur sur les compétences du STIF ?
De plus, sachant que le principal souci de la « Société du Grand Paris » sera de permettre le financement de la « double boucle », sa capacité à mener des opérations d’aménagement nous fait craindre la mise en œuvre d’une spirale spéculative liée à une chenille d’expropriations et d’urbanisation sur le tracé du Grand huit, en dehors de toute réflexion sur la nécessaire maîtrise de l’étalement urbain. Il s’agit en effet du plus sûr moyen de créer un nouveau périphérique, rejetant les couches les plus défavorisées encore plus loin du centre de la métropole. On parle beaucoup du désenclavement de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil, vous voyez ce que je veux dire par là !
Pour en finir avec l’ineptie de la création de la « Société du Grand Paris », j’ajoute que celle-ci pourra créer des filiales, sans que leurs modalités de création ni leur composition soient définies par ce projet de loi. Elle pourra également déléguer, par voie de convention, sa mission d’aménagement à toute personne publique comme privée, ce qui, concrètement, autorise, à terme, une privatisation de l’aménagement en Île-de-France. Nous considérons, pour notre part, que les questions liées à l’aménagement urbain en Île-de-France sont des questions politiques qui intéressent prioritairement les collectivités locales et leurs élus, représentants démocratiques des Franciliens.
En aucune manière, la confiscation des pouvoirs par la « Société du Grand Paris », bras armé de l’État, ne peut constituer un progrès ; il s’agit bien au contraire d’un net recul sur les principes portés par les lois de décentralisation. Ce projet s’insère pleinement dans la réforme des collectivités territoriales que vous voulez faire adopter, où les métropoles seront les outils les plus sûrs de dévitalisation des espaces démocratiques de proximité que sont les communes et les conseils généraux.