Cette présomption sans fondement démocratique nous venait d’une tout autre époque. Il appartiendra maintenant à chaque organisation de faire établir sa représentativité sur la base de critères objectifs.
Deuxième archaïsme : l’ouverture du premier tour des élections professionnelles aux seules organisations syndicales représentatives. Cela aussi, heureusement, va changer. L’ouverture du premier tour de ces élections à tous les syndicats est une mesure de justice.
Troisième archaïsme : un délégué syndical peut engager les salariés parce qu’il a été désigné par son organisation. C’est encore un changement majeur : dorénavant, le délégué syndical devra avoir recueilli personnellement au moins 10 % des suffrages valablement exprimés au premier tour des élections professionnelles. Le délégué syndical tirera sa légitimité de sa désignation, mais aussi directement des urnes.
Quatrième archaïsme, peut-être le plus important : la possibilité qu’avait chaque syndicat représentatif d’engager tous les salariés en signant un accord jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.
La loi du 4 mai 2004 est heureusement revenue là–dessus en posant le principe de l’accord majoritaire, principe dont la mise en œuvre est concrétisée par ce texte avec la création du droit d’opposition.
Le présent projet de loi va beaucoup plus loin en prévoyant que la validité d’un accord soit subordonnée à sa signature par des syndicats ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés aux élections professionnelles, ainsi qu’à l’absence d’opposition de syndicats représentatifs ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés lors du même scrutin. Avec ce texte, c’est la conclusion même des accords qui se démocratise réellement.
Cette démocratisation renforce la légitimité des organisations et devrait théoriquement conduire à un accroissement de leur poids dans le dialogue social. Pourtant, paradoxalement, de nombreux aspects du texte nous font craindre que son application ne conduise à un affaiblissement des syndicats.
Tout d’abord, si la réforme démocratise la représentation syndicale, le fait-elle en favorisant le pluralisme ? En apparence, oui ; en réalité, nous craignons que ce ne soit pas le cas.
En apparence, entre l’ouverture du premier tour des élections professionnelles à tous les syndicats, l’abandon de la présomption irréfragable de représentativité et le droit de désigner un représentant de la section syndicale à toute organisation, le projet de loi favorise le pluralisme syndical.
Cependant, la réalité est certainement moins favorable. Le choix des élections professionnelles comme mesure de l’audience n’est pas satisfaisant, car il exclut les salariés des très petites entreprises, qui représentent 92 % des entreprises françaises et 37 % des salariés.
C’est pourquoi nous présenterons deux amendements, l’un visant à retenir les résultats des élections prud’homales comme mesure de l’audience, l’autre étendant à toutes les branches le mécanisme prévu par le projet de loi pour les seules branches au sein desquelles plus de 50 % des entreprises n’organisent pas d’élections professionnelles.
Non seulement le choix des élections professionnelles ne nous semble pas judicieux, mais le seuil de voix retenu pour déterminer la représentativité dans l’entreprise, sans qu’il ne soit fait de distinction entre les entreprises, est aussi de nature à exclure de la table des négociations des organisations qui représentent pourtant de nombreux salariés. Pour mémoire, on a retenu un seuil de 10 % alors que le Conseil économique et social évoquait, dans son avis de décembre 2006, un seuil de 5 %.
Un tel système pourrait réduire le pluralisme syndical dans les grandes entreprises, et ce alors même que l’entreprise devient l’échelon de négociation de droit commun.
Afin de corriger cet effet indésirable de la loi, nous proposerons de distinguer entre les entreprises de plus de 1000 salariés et les entreprises de moins de 1000 salariés pour l’application du seuil de 10 %.
Mais que révèlent ces choix ? Certainement que l’on attend une recomposition du paysage syndical, faite de fusions et d’alliances. Une fois de plus, si c’est le choix de la démocratie, c’est aussi celui d’une forme de démocratie bien déterminée : la démocratie majoritaire.
En d’autres termes, si nous nous félicitons des réelles avancées qu’elle permet en matière de représentativité syndicale, nous craignons que cette réforme ne porte irrémédiablement atteinte au pluralisme syndical.
La position commune du 9 avril dernier porte bien mal son nom. Seules deux des centrales syndicales bénéficiant de la présomption irréfragable et représentant l’ensemble des catégories socioprofessionnelles l’ont signée : la CGT et la CFDT. Cela ressemble à une alliance de deux grands contre les petits. Cette tendance lourde, que nous autres centristes connaissons bien pour la subir, nous ne pouvons que la déplorer. La démocratie, ce n’est pas seulement la majorité, c’est aussi la représentativité ; la représentativité, ce n’est pas uniquement le vote, c’est aussi le pluralisme.
Ainsi, le présent projet de loi risque de fragiliser le syndicalisme en ne favorisant pas son pluralisme. De surcroît, alors qu’il vise prétendument à renforcer les organisations, il pourrait encore les affaiblir.
En premier lieu, ce texte consacre, paradoxalement, la fin du monopole syndical de négociation.
En effet, il permet tout d’abord aux institutions de représentation du personnel ou à un salarié de négocier en l’absence même d’accord collectif préalable. Afin de conserver le principe de la négociation des accords collectifs par les syndicats, nous défendrons un amendement visant à abaisser de 200 à 50 l’effectif salarié au-dessous duquel les accords collectifs peuvent être négociés par les représentants élus du personnel ou par des salariés mandatés en l’absence de représentation syndicale.
Par ailleurs, le projet de loi bat en brèche le monopole de négociation syndical en faisant sortir certaines matières du champ de la négociation et en multipliant les cas d’accord de gré à gré entre salariés et employeurs. C’est justement ce que prévoit ce texte, en matière d’aménagement du temps de travail, avec les dispositions relatives au forfait annuel jours.
En second lieu, en faisant de l’entreprise l’échelon de principe du dialogue social, le texte affaiblit les syndicats. Cela apparaît notamment en matière de réforme du temps de travail.
J’en arrive ainsi au second volet du projet de loi.
Cette partie du texte ne bénéficie pas, à nos yeux, de la même légitimité sociale que la précédente. Sans avoir été formellement transgressée, la règle posée par la loi du 31 janvier 2007 n’aura pas été appliquée avec l’effectivité que l’on pourrait attendre. La question du temps de travail n’a été rajoutée aux négociations ayant conduit à la position commune que tardivement, par le biais d’un document d’orientation additionnel. Aussi ce qui est aujourd’hui proposé dépasse-t-il de très loin le seul article de la position commune abordant la question.
Cet article 17 prévoyait, à titre expérimental, que des accords d’entreprise puissent déroger aux règles fixées par la branche en matière de dépassement du contingent d’heures supplémentaires. Ce qui est proposé va bien au-delà de ce dispositif, sans toutefois bouleverser directement le régime des 35 heures.
Vous le rappeliez, monsieur le ministre, la durée légale du travail demeure fixée à 35 heures et constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Le taux de majoration de ces heures reste le même. La durée maximale hebdomadaire n’est pas modifiée, comme la durée maximale hebdomadaire moyenne de travail sur douze semaines ou la durée maximale quotidienne de travail et les durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire.
Toutefois, avec ce texte, nous assistons à un renversement des principes gouvernant la négociation relative au temps de travail : l’entreprise devient l’échelon de négociation de principe. L’autorisation administrative est supprimée et le repos compensateur entre dans le champ de la négociation.
Certes, un règlement continuera de jouer le rôle de filet de sécurité en déterminant les règles de dépassement du contingent d’heures supplémentaires, mais faire de l’entreprise l’échelon de négociation de principe ne constitue pas un progrès social et humain. C’est pourquoi, le pouvoir de négociation des syndicats nous paraissant affaibli, la branche doit demeurer l’échelon pertinent. Nous défendrons des amendements en ce sens.
Nous avons relevé que les changements les plus substantiels relatifs au temps de travail portent sur les forfaits annuels jours. Or le dispositif présenté nous semble insuffisamment protecteur des salariés. Nous considérons que le nombre de jours annuels travaillés doit être mieux encadré et que leur rémunération doit être réellement attrayante. Par ailleurs, il appartient au législateur de favoriser une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Là encore, nous défendrons des amendements visant à corriger les insuffisances du texte.
Comme je l’ai dit, monsieur le ministre, notre groupe accueille favorablement la réforme que vous nous proposez, …