Nous savions qu'il nous faudrait légiférer cet automne sur la gestion de la dette de la sécurité sociale, mais nous ignorions qu'il nous faudrait repousser la date d'extinction de la CADES et anticiper l'entrée en jeu du FRR dès 2012.
L'année dernière, je dénonçais l'attentisme du Gouvernement et notre manque de responsabilité collective vis-à-vis des générations futures. Toutefois, la crise a « pipé » les dés et les décisions que le Gouvernement propose aujourd'hui sont malheureusement inévitables.
La dette sociale correspond à la dette des organismes sociaux, soit la dette brute portée par la CADES additionnée à celle prise en charge par les administrations de sécurité sociale (ASSO), régimes d'assurance sociale et organismes dépendant des assurances sociales. En 2009, la dette des organismes sociaux a atteint 155,8 milliards d'euros, soit 8,2 % du PIB : cinq points de plus qu'en 1999. La dette du régime général représente 15 % de ce montant, celle des hôpitaux 14 %, l'UNEDIC près de 6 %.
Dans le contexte du projet de loi organique, la « dette sociale » correspond aux déficits du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Elle a explosé avec la diminution des recettes induite par la crise financière, alors que les dépenses ne diminuaient pas. Le déficit annuel du régime général, d'une dizaine de milliards d'euros par an entre 2005 et 2008, a atteint 20,3 milliards en 2009 et devrait s'élever à 26,8 milliards en 2010.
Le dynamisme de la dette publique, qui atteint 80 % du PIB, pose la question de sa soutenabilité, le risque qu'un État développé fasse défaut n'étant plus aujourd'hui une hypothèse d'école.
La crise a également souligné les limites d'un système de protection sociale structurellement déficitaire. Entré dans la crise avec un handicap de 10 milliards d'euros, c'est avec un handicap de près de 30 milliards qu'il en sortira... Si les marchés avaient l'impression que la France ne compte pas réellement réduire sa dette, les conséquences pourraient être fort dommageables. Ceci doit nous inviter à prendre toutes nos responsabilités.
Les déficits du régime général et du FSV constituent une composante spécifique de la dette publique. En principe, l'équilibre financier de chaque branche est assuré par sa caisse, ce qui justifie, d'une part, le recours limité aux emprunts pour couvrir des besoins de court terme, d'autre part, le caractère exceptionnel de la CADES.
La gestion de la dette sociale est ainsi scindée en deux compartiments : un à court terme et un à long terme. Chaque compartiment a ses contraintes et ses avantages. Le financement à court terme, via l'ACOSS, ne peut être indéfiniment détourné de ses objectifs : le relèvement du plafond d'avances de l'ACOSS proposé l'an dernier, à hauteur de 65 milliards, ne pouvait être réitéré. Au-delà de la dérogation implicite au partage de responsabilités entre la CADES et l'ACOSS, cette dernière ne peut financer n'importe quels besoins de trésorerie. Le Gouvernement doit donc organiser cette année la reprise de la dette du régime général et du FSV. Ce n'est pas une décision courageuse, mais contrainte et forcée !
Depuis 2005, les conditions de reprise ont été durcies afin de garantir le caractère exceptionnel et provisoire de la CADES. Désormais, toute reprise de dette ne peut être opérée que si la Caisse perçoit des ressources nouvelles de manière à ne pas prolonger sa durée de vie au-delà de 2021, afin d'éviter de reporter sur les générations futures des charges correspondant à des dépenses courantes. Cette règle, dont le Conseil constitutionnel a souligné la nature organique, constitue aujourd'hui un obstacle pour un Gouvernement qui ne souhaite pas augmenter les impôts, et notamment la CRDS.
Le cantonnement de la dette sociale au sein de la CADES a l'avantage de permettre l'amortissement de la dette sociale : 46 milliards d'euros depuis 1996. Le déficit est amorti sur une durée limitée, alors que la dette portée par l'État est refinancée sans horizon déterminé. Dotée d'une ressource dédiée, la dette sociale a été conçue pour s'éteindre. Contrairement à la CADES, 1'ACOSS n'amortit pas les déficits. Elle finance le découvert par des emprunts de court terme, eux-mêmes remboursés par de nouvelles ressources de court terme. Ce dispositif permet aux différents gouvernements de différer les reprises de dette.
La reprise de la dette préparée par le présent projet de loi organique révèle particulièrement complexe compte tenu des montants de transferts envisagés en 2011, puis entre 2012 et 2018 : en sept ans, la CADES devrait en effet reprendre 130 milliards d'euros, soit l'équivalent des déficits transférés en quatorze ans. L'importance des déficits transférés a suscité un débat sur l'opportunité d'une reprise de la dette par l'État ou par une caisse spécifique. Pour reprendre 80 milliards d'euros sans allonger la durée de vie de la Caisse, il faudrait doubler le taux actuel de CRDS ! Il devient difficile de maintenir le dogme présidentiel de non augmentation des impôts alors même qu'on envisage de réduire les niches fiscales et sociales... Au total, la reprise de dette proposée cette année nécessite l'adoption de trois textes législatifs, dont une loi organique, afin de proroger la durée de vie de la CADES.
Le schéma financier du Gouvernement mobilise trois leviers afin d'éviter une hausse trop brutale des prélèvements obligatoires. La CADES serait destinataire de 3,2 milliards de recettes supplémentaires résultant de la révision des niches fiscales et sociales, ce qui correspond en 2010 à 0,26 point de CRDS. Elles ont vocation à financer, à hauteur de 34 milliards d'euros, le remboursement des déficits structurels du régime général et du FSV en 2009 et 2010, ainsi que le déficit prévisionnel de la branche maladie en 2011.
La durée de vie de la CADES serait prolongée de quatre ans. Cet allongement, qui sera organisé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, a vocation à financer les déficits de crise du régime général et du FSV en 2009 et 2010, évalués également à 34 milliards.
Le FRR serait adossé à la CADES qui se verrait donc affecter les ressources du Fonds, soit 1,5 milliard d'euros correspondant notamment à une partie du produit du prélèvement de 2 % sur les revenus du capital ; cet adossement sera précisé en PLFSS. La liquidation progressive des actifs du FRR entre 2012 et 2024 financera, dans la limite de 62 milliards, le remboursement des futurs déficits vieillesse transférés à la CADES entre 2012 et 2018.
Le projet de loi organique n'ouvre que des possibilités qui devront être confirmées lors du PLFSS pour 2011 ou du PLF pour 2011. Principal sujet d'inquiétude, les ressources affectées à la CADES s'éloignent des fondamentaux ayant présidé à sa création.
La création d'un panier de recettes et la liquidation progressive des recettes du FRR constituent -elles des mesures pertinentes et opportunes ? Sont-elles de nature à garantir le financement du remboursement de la dette sociale ? Le produit des mesures concernant les niches ne devrait-il pas être affecté à la réduction des déficits de l'État ?
L'exonération de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance (TSCA), dont bénéficient aujourd'hui les contrats complémentaires santé dits « solidaires » et « responsables » serait supprimée et remplacée par une taxation à un taux intermédiaire de 3,5 %, pour un rendement attendu de 1,1 milliard. Si le dispositif devrait demeurer attractif pour les complémentaires, cette charge nouvelle risque d'être répercutée sur les assurés, d'autant que les complémentaires ont déjà vu leur régime fiscal s'alourdir ces dernières années. L'impact de cette mesure sur la CMU-complémentaire ou aide à l'acquisition d'une complémentaire devra être analysé avec attention.
L'assujettissement annuel aux prélèvements sociaux de la partie « euros » des contrats d'assurance-vie multisupports pose des difficultés techniques et nie le caractère global de ce type contrat et la nature incertaine des plus values. Ce dispositif, dont on attend un rendement de 1,6 milliard d'euros, pourrait conduire à prélever les cotisations sur le rendement « euros» du contrat, y compris en l'absence in fine de produits, si la performance des unités de compte est mauvaise.
Enfin, la création d'une taxe de sortie sur les sommes de la réserve de capitalisation des sociétés d'assurance, qui devrait rapporter 1,4 milliard d'euros, ne doit pas remettre en cause l'engagement prudentiel de solvabilité envers les assurés. Il faudrait en tirer les conséquences dans l'application des nouvelles règles issues de la transposition de la directive Solvabilité II. En l'état actuel des règles prudentielles, la réserve de capitalisation est comptabilisée dans la catégorie des quasi-fonds propres, mais pourrait ne pas être entièrement intégrée dans la marge de solvabilité dans le cadre de Solvabilité II. Il appartiendra à la France de définir le rôle de cette réserve et donc sa qualification ou non de quasi fonds propres.
Trois incertitudes demeurent quant à l'adéquation des nouvelles recettes aux besoins de la CADES. Premièrement, l'exposition de la Caisse au risque de taux s'intensifiera : leur remontée, qui paraît vraisemblable, aurait, selon M. Ract-Madoux, été prise en compte par le rallongement de la durée de la caisse ; la reprise de dette induit un changement d'échelle de la CADES, de sorte que l'augmentation du coût du portage pourrait affecter le calcul du niveau de ressources nécessaires pour refinancer l'ensemble des déficits repris. Le Parlement devra vérifier annuellement qu'on est dans l'épure.
Deuxièmement, dans quelles conditions les actifs du FRR seront-ils mobilisés ? Le Gouvernement souhaite que la vente soit progressive. La somme de 2,1 milliards d'euros n'est pas de nature à perturber les cours. Cependant, l'objectif de résultat représente une contrainte, surtout en fin de période.
Troisièmement, le panier de recettes ressemble à un « panier percé ». Il faut des recettes pérennes et dynamiques. Lors de chaque transfert, la CADES calcule un tarif en points de CRDS. C'est ainsi que pour reprendre en 2011 les 34 milliards de déficit structurel, il conviendrait de lui affecter 0,26 points de CRDS au tarif 2011, soit 3,2 milliards d'euros. Or de même que 0,26 point 2002 représentait 2,4 milliards d'euros, soit 800 millions d'euros de moins qu'en 2010, de même, 0,26 point de CRDS 2011 n'équivaut pas à 0,26 point 2020. Le produit de la CRDS a augmenté en moyenne de 3,7 % par an entre 2002 et 2010.
L'une des trois mesures de recettes alternatives étant « à un coup », on devra revoir le panier de recettes. Cela a fait l'objet d'une polémique récente à l'occasion de la reprise par la presse d'une lettre envoyée par le ministre aux membres de la commission de suivi de la dette sociale.
L'exit tax sur la réserve de capitalisation n'aura pas d'impact au-delà de 2012 et l'assujettissement des compartiments euros aux prélèvements sociaux aura un rendement décroissant à partir de 2012 ; la TSCA à taux réduit sur les complémentaires-santé aura un rendement au mieux constant car ces contrats sont déjà très répandus, et au pire décroissant, en cas de perte d'assiette.
Cette fragilité des recettes est-elle acceptable ? Les mesures proposées ne possèdent pas la pérennité et le dynamisme souhaités. Toutefois, l'article 7 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 prévoit un mécanisme de correction, le Gouvernement devant soumettre au Parlement « les mesures nécessaires pour assurer le paiement du principal et des intérêts aux dates prévues ». Le mécanisme pourrait être réaffirmé par le présent projet qui modifie les règles organiques applicables à la Caisse. La commission des affaires sociales a proposé que chaque année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale vérifie l'adéquation des ressources de la CADES afin d'éviter une nouvelle prorogation de sa durée de vie. Elle a également adopté un amendement permettant d'avancer la dernière échéance de remboursement de la dette sociale si ses recettes sont deux années de suite supérieures de 10 % aux prévisions.
La confiance des investisseurs devrait ne pas être affectée, a assuré l'agence de notation Fitch France lors de son audition par la commission des affaires sociales. En tant qu'établissement public administratif, la CADES est, en effet, considérée comme un « démembrement de l'Etat » et donc à ce jour parfaitement solvable
Est-il opportun d'affecter 3,2 milliards d'euros de recettes nouvelles au refinancement de la dette sociale ? Sur 10 milliards attendus de la réduction des niches fiscales et sociales...